Paul Ier, Hamlet à la cour des tsars
Dans l’Histoire russe, qui ne manque ni de dérives ni d’assassinats, Paul Ier occupe une place à part. Mal connu, totalement éclipsé par sa mère, Catherine la Grande et son fils, le flamboyant Alexandre, il n’a régné que quatre années à peine. Un temps qu’il a entièrement consacré à démonter et détruire l’héritage maternel, afin de venger un homme qui n’était peut-être même pas son père.
Le 1er octobre 1754, la future Catherine II met au monde son premier enfant. À la Cour, tous chuchotent. Ils savent que la tsarine Élisabeth Ire désire plus que tout que Pierre, son neveu et unique héritier, ait un fils. Or, un phimosis l’empêche de consommer son union et huit années ont passé avant qu’il n’accepte une opération. Il était temps ! Son épouse est déjà enceinte car, ne reculant devant aucun stratagème pour obtenir le petit-neveu espéré, Élisabeth Ire lui a conseillé de prendre un amant : le comte Saltykov est le premier d’une
longue liste de favoris mais nul ne peut prouver qu’il est le père biologique de Paul.
Accueil triomphal
Pierre, tenu éloigné du pouvoir par Élisabeth Ire, s’est lancé dans une débauche effrénée. Pendant ce temps, sa femme Catherine noue une liaison solide avec le redoutable Grigori Orlov… Au décès de la tsarine, le 5 janvier 1762, il monte sur le Trône sous le nom de Pierre III. Devenu tout-puissant, il traite Catherine avec mépris et affirme devant témoins vouloir s’en débarrasser : celle-ci tremble pour sa vie. Le
9 juillet 1762, soutenue militairement par Orlov, elle marche sur Saint-Pétersbourg, où elle est accueillie triomphalement. Elle prend la place de son époux : arrêté, ce dernier a abdiqué. Le 17 juillet, le tsar déchu meurt dans d’obscures circonstances, vraisemblablement assassiné.
Obsession mortelle
C’est donc peu dire que l’enfance du tsarévitch Paul est marquée par la mésentente entre ses parents. Enlevé à sa mère très tôt, il est élevé par des nourrices. C’est un garçon sensible, fragile, craintif et versatile. On le dit intelligent mais sujet à la mélancolie, souvent d’humeur taciturne. Lorsque Catherine prend le pouvoir, Paul n’a que 7 ans. Elle le traite avec le même dédain haineux qu’elle vouait à son défunt mari, père putatif de l’enfant. Plus tard, elle lui offre, en dérision, le pourtant superbe domaine de Pavlovsk : un « empire miniature », où il peut « jouer au gouverneur militaire » sans s’immiscer dans les affaires de l’État… Persuadé qu’il est bien le fils de Pierre III, Paul est obsédé par sa mort dont il rend Catherine responsable… Après le décès de sa première épouse en 1776, il convole avec la princesse Sophie-Dorothée de Wurtemberg, qui va lui donner… dix enfants. La nature du tsarévitch, étouffé par le despotisme maternel, change : il se montre maladivement susceptible, prompt aux accès de rage.
Comportements erratiques
Le 6 novembre 1796, la Grande Catherine meurt soudainement et intestat. À la Cour, tous savent que la tsarine voulait privilégier son premier petit-fils Alexandre, au détriment de son propre fils. Paul accède donc au pouvoir au mépris des volontés de sa mère. Il n’a de cesse de se venger en détruisant tout ce qu’elle a édifié. Il destitue ses protégés, rappelle ceux qu’elle avait bannis. Il favorise les serfs, rétablit les peines corporelles contre la noblesse, s’attirant ainsi l’hostilité de la Cour. Sa politique extérieure est erratique. Lui qui les détestait depuis la Révolution, se réconcilie avec les Français, rassuré par l’ascension de Napoléon. Il déclare la guerre aux Anglais et songe à faire marcher les régiments cosaques sur l’Inde. Toute la Russie est convaincue, à présent, de la démence de son souverain. Paranoïaque, Paul affirme, tel un Hamlet russe, que le fantôme de son ancêtre, Pierre le Grand, l’a prévenu de sa mort prochaine. Dans la nuit du 24 mars 1801, des conjurés pénètrent dans la chambre à coucher du Tsar, où un officier de la Garde l’étrangle avec une écharpe de commandement.