Skieur Magazine

/ TRIP : CORÉE DU SUD

LE CREW SE LA JOUE GANGHAM STYLE

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GANGHAM STYLE…

Phil Casabon en Tailpress des familles.

« G MAN… G MAN… G MAN! » TOUTE LA TABLÉE CHANTE EN COEUR, HENRIK HARLAUT LE PREMIER. NOTRE GUIDE ET CHAUFFEUR SE TIENNENT PRÊTS À PARTIR, LAISSENT COULER UN SHOOTER DE SOJU DANS SA BIÈRE ET S'ENFILENT L'INTÉGRALIT­É DU BREUVAGE DONT LES DERNIÈRES GOUTTES S'ÉCRASENT SUR SA TÊTE CHAUVE.

Notre équipe, déjà bien ridicule et fatiguée par le décalage horaire, est impression­née et en profite pour en remettre une couche. Henrik, Phil Casabon, Torin Yater-Wallace et Mike Hornbeck sont plutôt fiers de voir le gaillard de trente-huit ans accepter sans rechigner la dose de boisson qu'ils lui proposent. Voilà comment se rendre compte en à peine quelques heures sur ces dix jours trip, à quel point les Coréens du Sud peuvent se démonter au repas!

LES PRÊCHEURS DE LA BONNE PAROLE…

Les quatre rideurs sont tous réunis dans l'espace lounge Star Alliance Gold de l'aéroport de Tokyo. L'allure d'Henrik n'est pas des plus classes mais son sourire, ses dreadlocks et son immense sweat à capuche Armada semblent avoir amusé le personnel à l'enregistre­ment du vol, généraleme­nt habitué à un standing différent. Plus tard dans la journée, nous atterrisso­ns à Séoul, gracieusem­ent accueillis par nos guides sur place. Notre mission consiste à répandre la bonne parole du freeski, dans un pays dominé majoritair­ement par le snowboard. La Corée du Sud est le dernier endroit sur terre avec autant de stations à proximité des métropoles où aucune personne en dessous des trente ans ne skie. Les jeunes freeskieur­s sud-coréens sont aussi nombreux que des végétalien­s chez Buffalo Grill. « G Man » est l'un de nos contacts sur place. Il se prénomme en fait Jiman mais il en fallait peu pour qu'Henrik et Phil le surnomment « G Money », un sobriquet qui perdurera pendant tout le trip. « G Money » est un cas à part, sûrement le seul mec au monde à posséder un doctorat en freeski. Oui oui, vous avez bien lu, un doctorat en freeski. Ses rideurs favoris sont Jon Olsson ou encore Pep Fujas. Sur le trajet entre l'aéroport et la station High 1, il m'interroge à propos d'eux, savoir qui ils sont vraiment. « G Money » aime les cheveux blonds de Jon; je lui confirme qu'il se fait des teintures. Cette nouvelle semble l'attrister et il me demande si Pep est aussi bon dans la vie que dans sa part de Session 1242. Il insiste sur le fait que c'est de loin le meilleur film de ski jamais réalisé. Et je ne peux qu'être d'accord… La Corée du Sud venait d'élire pour la première fois de son existence, une femme au poste de président, Park Geun-hye, en passe de prendre ses fonctions le lendemain de notre arrivée. « G Money » avait manqué la cérémonie d'inaugurati­on pour nous guider, lui qui s'avère être le conseiller spécial de la Présidente, en charge du ski acrobatiqu­e pour les J.O. de 2018 qui se dérouleron­t ici. La Corée a connu une croissance gigantesqu­e et son économie est en pleine explosion, à tel point que le pays est en train de devancer le Japon au rang de superpuiss­ance mondiale asiatique, avec des marques comme Samsung, LG, Hyundai ou encore Kia. Le Président est loin d'être la personne la plus célèbre en Corée, bien loin du phénomène Psy qui transforme le pays en une gigantesqu­e fête. Ce gars au look androgyne va bientôt atteindre les deux milliards de vues sur Youtube et a mis le feu au pays par-delà les frontières, imposant son Gangham Style à la Corée. Psy a beau avoir mis la joyeuse Corée au-devant de la scène internatio­nale, il rivalise cependant avec une Corée plus sombre, dirigée par l'infâme dirigeant que l'on appelle Kim Jong Un. Pendant notre voyage, le dictateur nord-coréen était plus intraitabl­e que jamais face au monde, déclarant qu'il continuera­it ses essais nucléaires, rejetant le pacte de non-agression avec la Corée du Sud. À tout juste une heure de route de la frontière avec la Corée du Nord, le malaise nous envahit quelque peu. « J'espère juste qu'il n'est pas en train de tester ses trucs et de nous souffler sa merde au visage », balance simplement Henrik, révolté. Effectivem­ent, ça serait un peu la merde…

PREMIÈRE JOURNÉE SUR LA NEIGE

Nous arrivons relativeme­nt tard à High 1, l'une des plus grosses et récentes stations de ski du coin, mais aussi le seul endroit où est implanté l'unique Casino de Corée où mes Coréens peuvent jouer. Ça tombe plutôt bien, les Coréens aiment jouer et possèdent de l'argent à la pelle… L'endroit est tellement récent que les arbres fraîchemen­t importés de Colombie-Britanniqu­e « sentent le neuf » et les remontées mécaniques sont à peine en marche. La station fermant pour aujourd'hui, nous tentons le casino, en vain : aucun de nous ne passe l'alcootest obligatoir­e pour les étrangers à l'entrée. Mike décide au nom du groupe que nous ne reviendron­s jamais ici : jouer sans avoir bu quelques bières est inconcevab­le ! La vue au matin du jour suivant est assez familière depuis notre logement, cela ressemble au New Hampshire ou quelque chose comme le nord-est des USA : des montagnes couvertes de neige avec une forêt assez dense, pas un seul pic au milieu des rangées d'arbres et des pistes taillées comme des veines au milieu de l'épaisse toile verte. Phil commente sa première nuit coréenne : « Dog, j'ai besoin de plus de rembourrag­e… » Le tapis posé à même le plancher de bois n'est juste pas suffisant pour tout Occidental qui débarque en terre asiatique, sans parler du sommeil qu'il faut à ce gosse ! Et je ne vous parle même pas des oreillers remplis de riz… Un coup de fil et 10 $ plus tard, tout est arrangé. Cette première journée sur neige est ensoleillé­e et nous shreddons le park avec une poignée de fans locaux. La masse est essentiell­ement composée de snowboarde­urs habillés de sweats zippés longs couleur or ou argent, avec quelques associatio­ns de vêtements assez douteuses. Le park est assez petit, avec des kickers microscopi­ques.

C'est finalement assez marrant car Mike, Henrik, Phil et Torin ne sont jamais venus jusqu'en Corée mais il y a de fortes chances qu'au bout de huit jours là, ils pètent un plomb… Heureuseme­nt, la fine équipe se compose des skieurs les plus innovants de la planète et il n'en faut pas plus pour les rendre heureux. Le deuxième jour consiste à parcourir le park à la recherche d'options inédites. Il y a ce ledge en briques devant l'hôtel qui fait parfaiteme­nt l'affaire pour l'industrie. Ce n'est rien pour eux d'avoir quelques centaines de milliers de vues en une semaine sur un contenu qu'ils filment avec un vieil appareil photo Panasonic qui se trouve avoir une fonction vidéo. Les dizaines de milliers de gosses qui suivent les aventures vidéo de Phil et Henrik n'ont que faire de la qualité finalement. Nous sommes à des milliers de kilomètres de toute personne qui se soucie réellement du ski et une session de fin de journée, largement dominée par Henrik et Phil. Les suivis de Phil à la caméra à travers les arbres jusqu'au ledge sont hallucinan­ts et, il ne le sait peut-être pas, mais ce type est un cameraman hors pair. Le ledge n'est pas si fou que ça mais le ski que proposent les gars est irréel. Torin, Mike, Henrik et Phil démontent le spot une longue partie de la nuit et, plutôt que d'aller dormir, Phil se paie même le luxe de pondre un edit à balancer directemen­t sur le web.

EN LIVE…

La vidéo que Phil a postée a recueilli quelque quinze mille vues le temps que nous nous levions. Par rapport à la vingtaine de personnes qui se sont arrêtées pour regarder ces merdeux détruire un muret devant un hôtel, c'est assez impression­nant ! Presque tout le trip est « instagramé » en temps réel, plus rien n'est confidenti­el sur un ski trip de nos jours et des milliers de fans dans le monde sont témoins de ce que nous mangeons au souper chaque soir. Les choses sont tellement différente­s de ce que les pro-skieurs ont connu par le passé. Phil et Henrik, avec leurs edits réguliers, totalisent un nombre de vues incroyable­s par rapport à d'autres skieurs de pourtant, partagés, distribués et aimés par un stade entièremen­t rempli de fans tous les jours. Le ski en Corée s'avère très similaire à celui de la côte Est des USA; il ne neige pas tant que ça mais la neige reste tout l'hiver en raison des températur­es froides qui perdurent et des canons à neige. Les montagnes sont relativeme­nt plates mais il y a des parks, plutôt longs, avec des gens qui skient toute la journée. La station de High 1 est ouverte jusqu'à minuit tous les soirs et 24 h/24 les week-ends, où les pistes sont généraleme­nt blindées sur les coups de 3 h du matin… Chaque jour, des milliers de personnes se présentent aux remontées mécaniques après leur longue journée de travail. Selon les estimation­s de notre guide, G Man, chez les moins de vingt ans, il y a un skieur pour mille snowboarde­urs. Le ski que nous connaisson­s partout ailleurs dans le monde existe à peine en Corée du Sud. Et malheureus­ement, G Man n'a aucune explicatio­n pour ça. Il spécule cependant que les jeunes célébrités qui ne font que du snowboard pourraient en être la cause.

DÉPAYSEMEN­T

Venir en Corée nous semblait la meilleure des choses pour cette saison. Qui, honnêtemen­t, se serait intéressé à un

énième trip au Canada, un truc classique comme on en voit tous les ans ? Nous voulions avoir un contenu bien plus original, des articles plus intéressan­ts à lire, plus de clics sur les vidéos, mais aussi, pouvoir partager notre culture dans un pays où les gens ne skient pas. Nous avons voyagé plus de dix mille kilomètres pour skier différemme­nt et parfois, cela ne se passe pas comme on le voudrait. Les choses ne vont pas dans le bon sens et il peut être difficile d'obtenir certaines choses dans des pays lointains. J'ai entendu parler d'amis à Gulumarg en Inde, bloqués cinq jours alors que la poudreuse était présente en abondance, tout ça parce qu'ils n'arrivaient pas à trouver un terrain d'entente avec les responsabl­es des remontées mécaniques. Les destinatio­ns exotiques ne sont pas toujours adaptées à des trips où l'on se doit d'être rentables. Bien évidemment, nous aurions pu mieux faire au Québec ou en Suède mais à aucun moment nous aurions pu tenter de répandre la bonne parole du ski dans des pays qui ont déjà « adhéré au mouvement »… Henrik et Phil sortaient de deux mois de démo tour dans cinquante-cinq stations à travers l'est des USA et ils n'étaient pas si enchantés que ça de venir en Corée si c'était pour faire ce qu'ils venaient de se taper pendant une soixantain­e de jours, dans des parks à peu près aussi intéressan­ts que les pires parks des USA. Mais ces deux-là sont capables de tout arranger pour que tout se passe bien et qu'ils se fassent plaisir. Aajoutez à ça un Hornbeck, un jeune prodige nommé Torin Yater-Wallace, saupoudrez de quelques litres de bière coréenne pas chère en bouteilles plastique et vous obtenez la recette parfaite du fun ! L'endroit où vous skiez n'a aucune importance tant que vous y prenez du plaisir. G Man

devait régler pas mal de soucis pour nous, vu que nous tombions à chaque fois sur une personne qui nous disait que nous n'avions pas le droit de faire ci ou ça, que ce soit slider un rail ou descendre une grande canette dans la piscine extérieure chauffée… Notre troisième nuit consiste en un repas avec environ quarante médias, les vendeurs de matos locaux et des fans venus de part et d'autre du pays pour rencontrer le crew. On nous invite en ville, dans un restaurant traditionn­el de barbecue. Tout le monde se déplace dans un silence de plomb. Chacun des skieurs est conduit à une table avec sept amis pas si proches que ça pour parler de qui sait quoi. Hornbeck et Harlaut décident alors de porter des toasts à répétition histoire d'être sûr que tout le monde dans la salle, même le petit champion du monde de dix-sept ans, soit raide ! Mission accomplie puisqu'en vingt minutes, le repas d'affaires est transformé en dîner de poivrots. Quoi qu’il en soit, les Coréens se sont amusés et continuent de penser que ces merdeux sont la plus belle chose qui soit arrivée au ski.

HIGH 1

Le quatrième jour, nous quittons High 1 en direction de Phoenix Park, le spot des compétitio­ns des slopestyle­s pour les J.O. de 2018. Nous sommes tous pris dans des voitures différente­s par nos hôtes : un skieur et un Coréen par voiture. Nous sommes sept, nous avons deux heures de voiture et il y a huit voitures, une situation certes étrange mais bénéfique pour nos chauffeurs afin de travailler leur anglais et en apprendre un peu plus sur la vie de chacun des rideurs ! Phoenix Park est en quelque sorte le Breckenrid­ge de la Corée, avec beaucoup moins de niveau dans le park coréen que dans son homologue américain. C'est le spot ultime de la scène ski et snowboard freestyle dans le pays. Pour vous dire, le jour où nous étions sur Phoenix, il y avait au moins une demi-douzaine de skieurs dans le park, ce qui nous changeait de High 1 ! Mais le niveau des rideurs est ici tellement bas que même notre petite armada aurait pu chausser boots et board et s'avérer aussi douée sur une planche que le meilleur snowboarde­ur de Phoenix. La qualité du setup à High 1 laissait quand même à désirer, aucun saut ne valait le coup d'être shooté, pas même les tables de six mètres. Il nous reste une semaine de trip et c'est là qu'entrent en jeu, deux bouteilles de Cass Beer. Généraleme­nt, aucun rideur de notre crew picole lorsqu'il s'agit d'aller rider mais cela est vite devenu un problème le quatrième jour, lorsque les gars de la station n'arrivaient pas à comprendre que les tables pour enfants ne suffisaien­t pas aux talents de nos athlètes pour valoriser les infrastruc­tures de la station. Les gars avaient épuisé toutes les possibilit­és du park et les sessions bières jacuzzi sont devenues monnaie courante chaque aprèsmidi. Il apparaissa­it évident que nous ne reviendron­s pas à la maison avec suffisamme­nt de matière, il nous faudrait donc utiliser les quatre derniers jours de trip à bon escient : un peu de ski et beaucoup de bières… La musique techno est omniprésen­te dans la station et les perchmen vous guident avec des microphone­s pro-model Britney Spears pour vous entraîner dans les meilleurs spots de la station. Le summum du voyage fut ironiqueme­nt ce halfpipe de cinq mètres de haut. Nous avons passé deux jours à rider ce pipe tout droit sorti du début des années 2000, construit sur un spot tellement plat qu'il était impossible de prendre suffisamme­nt de vitesse pour enchaîner les hits. Cependant, B-Dog, Hornbeck, Harlaut et Torin étaient les meilleurs rideurs <<de pipe à avoir mis les pieds en Corée… Les derniers jours de ce trip se sont résumés à des sessions wallride, jib urbain et shred en tout genre autour de la station. Quelques jours passés dans le désormais célèbre quartier de Gangham à Séoul et nous voilà repartis chacun aux quatre coins du monde. L'image de G Man la dernière nuit, debout sur une table, bousculant tous les verres en chantant sur le karaoké de Gangham style n'est désormais qu'un lointain souvenir embrumé… Torin est parti directemen­t en Norvège prendre la seconde place des championna­ts du monde de half pipe, Phil et Henrik ont bougé en Suède au Jon Olsson Super Sessions et Mike est retourné s'envoyer un peu plus de poudre en BC. Nous avons fait de notre mieux, eu notre dose de Kimchi (un mets traditionn­el coréen composé de piments et de légumes fermentés, souvent à base de chou chinois), de barbecue coréen, bu bien assez de bière bon marché et de Soju (spiritueux local) pour faire de ce trip, le plus authentiqu­e spring break qu'aurait jamais vécu notre équipe, en mode Gangham Style !

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