Skieur Magazine

LE BUSINESS, LA GRANDE ILLUSION

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Mais ne serait-ce pas aussi les marques, les médias, tous ceux qui font le freestyle côté business, qui n’auraient pas un peu trop mis en avant une mode qui n’en a jamais vraiment été une ? C’est triste à dire et même à entendre mais le marché n’a jamais réellement existé en freestyle et tout le monde s’est contenté de participer à la grande illusion, de raconter de belles histoires sans vraiment vouloir voir la réalité, faire comme s’il y avait des retombées économique­s énormes alors qu’en fait, les ventes de skis de FS, certes assez stables, ont toujours été faibles chez les petits comme chez les gros fabricants. « Les marques ont à un moment profité du freestyle pour surfer sur cette image rebelle et cool mais n’ont au final pas vraiment vendu de skis. Elles ont beaucoup investi sur l’image mais en sachant presque que ça ne serait pas rentable », déclare Olivier Cotte, dont la tournée n’est plus supportée, depuis deux ans, par aucune marque de matériel de ski. De toute façon, que l’on parle de freestyle, de freeride, de freerando ou même de racing, on reste sur des segments de niche avec peu de consommate­urs finalement, le business se faisant plutôt sur les gammes grand public. À l’époque, on voulait quand même y croire, il fallait de toute façon y aller à fond et c’est ce qui a été fait chez Salomon, quitte à trop en faire. « Entre 1997 et 2005, Salomon a investi énormément dans sa communauté freestyle marketing. On voulait être plus core que les autres et on a fini par passer pour des gros lourds auprès du milieu », raconte Bruno Bertrand. C’est à cette époque que sont apparues de nombreuses petites marques, pour récupérer le vrai esprit core du freestyle et contrecarr­er les plans de ces « vilaines » grosses marques qui étaient trop dans le commercial et « assassinai­ent » le milieu. C’est à ce moment que tout le monde est

SKIEUR MAGAZINE tombé dans un piège en entonnoir selon Guillaume Desmurs : « Chacun a suivi cette illusion, avec de plus en plus de communicat­ion sur le freestyle, plus d’événements, plus de proriders, de contrats, de prize money, d’agents de riders, dans un milieu qui ne gagnait pas de sous. Au moment où tout le monde s’est rendu compte de la supercheri­e, il n’y avait plus de sous, c’était donc le moment d’arrêter de faire n’importe quoi, d’où ce rejet en quelque sorte du freestyle. » La mode médiatique ne s’est jamais transformé­e en véritable business, surtout quand on essaie de vendre des skis à des gamins qui soit n’ont pas les moyens, soit sont déjà équipés car faisant partie d’un club de stations. Les fabricants préfèrent aujourd’hui miser sur la freerando et les cadres dynamiques en manque de sensations et d’évasion qui constituen­t la cible privilégié­e, avec les mêmes espoirs… et peut-être la même déception ! Au total, les contrats des freestyler­s ont été divisés par 5 ou 10, pour ceux qui en ont encore un ! C’est aussi sans compter sur les agents de riders qui se sont trop crus à Hollywood à une époque et qui ont de fait participé au déclin du freestyle, faisant littéralem­ent sauter la banque d’un milieu qui le voulait bien, préférant évidemment penser argent plutôt que passion, mais qui peut vraiment leur en vouloir puisque c’est leur métier ! « Aujourd’hui, si tu veux te lancer dans une carrière de freestyler, c’est pour vivre une expérience hors du commun, rencontrer des gens, voir du pays, éventuelle­ment représente­r ton pays mais surtout pas pour gagner de l’argent », nous confie toujours Bruno. Du moins, du côté du ski, car les contrats venus d’entreprise­s extérieure­s au milieu, souvent de grosses firmes d’ailleurs, tiennent toujours bon la rampe pour ceux qui restent sous les projecteur­s. C’est le paradoxe de l’affaire : le bébé, porté aux nues par ses parents fabricants de skis, part vivre de ses propres ailes sans rendre quoi que ce soit à ses géniteurs. C’est l’exode rural, les enfants qui quittent la ferme familiale pour la retrouver, plus tard, enterrée sous les ronces et les mûriers…

ALORS, ON EN FAIT QUOI DU FREESTYLE ?

L’avantage de la situation fait que malgré son admission aux JO, le freestyle a su garder un pied de l’autre côté de la barrière, restant avant tout une pratique créative. Malgré un investisse­ment moindre de la part des marques, le sport continue à progresser, du moins à évoluer, dans de nombreuses directions mais plutôt dans le bon sens : l’AFP arrive à avoir le dessus sur la FIS, les beaux événements comme les X Games et le SFR rempilent pour une saison et le nombre de pratiquant­s, certes limité, ne faiblit pas. Selon Julien Regnier, même si le freestyle de park pur et dur intéresse peut-être moins et reste une niche, l’attitude freestyle en elle-même continue son expansion et se fait une place dans d’autres domaines : la vidéo, le freeride. C’est une forme de retour aux sources. Le freestyle est désormais plus naturel, plus backcountr­y (Ndlr : comme la freerando ?), moins compétitif mais surtout plus sauvage, comme à ses débuts, avec un bel avenir devant lui et encore plein de choses à inventer. C’est d’ailleurs sur ce créneau que l’on retrouve Candide Thovex, pionnier devant l’éternel et gardien du temple du freestyle, encore capable de faire parler de lui sans rentrer de triple cork aux JO, juste en se faisant plaisir mais en repoussant toujours les limites du freeski. En essayant des choses, sans suivre des règles imposées, comme lors de son « One of those days 2 », tellement sublime. « Candide incarne le freestyle, celui qui est loin d’être mort, mais qui ne colle malheureus­ement pas à l’économie », selon Guillaume Desmurs. Et même si le freestyle est devenu un sport normal, olympique et cadré, même s’il n’est plus mis en avant comme il a pu l’être par le passé, voire renié par ses pères fondateurs, on peut au moins se rassurer au sujet du véritable esprit freestyle qui continue de perdurer, en attendant peut-être une renaissanc­e dans les années à venir. Car la mode, véritable machine à réinventer ce qui existait déjà, a ses cycles. À qui le tour ?

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