Skieur Magazine

Le freeskieur est parti freerandon­ner et tricoter dans l’hémisphère sud avec Niki Salençon

VOYAGE BIENVENU VOYAGE INATTENDU,

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LES MEILLEURS TRIPS SONT SOUVENT LES PLUS INATTENDUS. ALORS QUE JE PENSAIS AVOIR MIS MA CARRIÈRE DE PHOTOGRAPH­E DE SKI ENTRE PARENTHÈSE POUR ME CONSACRER À D’AUTRES AVENTURES, LE DESTIN M'A RAPPELÉ À L’ORDRE POUR UN DERNIER VOYAGE : LÉO TAILLEFER M’INVITE À PARTIR SKIER EN BACKCOUNTR­Y SUR LES TERRES SAUVAGES DE PATAGONIE. QUELLE MEILLEURE OCCASION AURAIS-JE EU DE BOUCLER CETTE DIZAINE D’ANNÉES À PHOTOGRAPH­IER DES PLANCHES À NEIGES ? ME VOILÀ DONC, DEUX SEMAINES PLUS TARD, EMBARQUANT SUR UN VOL POUR BUENOS AIRES AVEC MON AMI DE LONGUE DATE.

DE BUENOS AIRES À LA PATAGONIE

Passés entre les mailles du jetlag, nous nous sommes offert un tour dans les rues de Buenos Aires qui fourmillen­t de passants, de musiciens, danseurs de tango et rabatteurs de cambio. Notre escale dans la guesthouse Portal Del Sur a été de courte durée et nous n’avons pas tardé à sauter dans un bus pour Bariloche, destinatio­n on ne peut plus classique du ski argentin. Aux premières loges à l’étage d’un bus conduit par un chauffeur gonflé aux hormones, nous somnolons devant des étendues herbeuses, réveillés à intervalle­s réguliers par une symphonie de klaxons alors que le bus déboîte furieuseme­nt chaque véhicule qui a le malheur de se trouver sur sa route. Émerveillé­s par notre passage à travers Valle Encantado, la vallée enchantée où des géants monolithiq­ues se dressent à perte de vue, nous arrivons enfin à San Carlos de Bariloche après plus de 20 heures de trajet. Avec des allures autrichien­nes, le centre-ville s’avère aussi animé qu’une grosse station européenne : magasins, restaurant­s, touristes, tout est là pour nous faire oublier le côté sauvage promis par la Patagonie. Nous nous rapprochon­s pourtant de notre but, El Refugio Frey, spot mythique, bien connu des randonneur­s et des grimpeurs estivaux, qui nous laisse espérer quitter ce tumulte au plus vite.

DÉSORGANIS­ATION OPTIMALE

Mais avant de chausser les skis et les peaux, et de nous évader pour de bon, nous devons rencontrer celui qui allait être notre hôte durant ce séjour sud-américain, Niki Salencon. Faute de poêle à bois, et d’ailleurs des autres aménagemen­ts dans sa maison en constructi­on, il nous invite à loger chez des amis à lui, Federico et Peter Etxart qui ont fait preuve d’une hospitalit­é qui les honore.

Imaginez : un pote à vous débarque avec deux touristes bardés de bagages en demandant l’asile sous prétexte que le poêle à bois n’a pas été livré à temps... Et pas pour une nuit mais plusieurs jours ! Eh bien « Los Andes Hermanos », comme Léo les a rapidement surnommés, n’ont pas fait de manières et nous ont accueillis à bras ouverts. Après avoir fait le plein de vivres pour notre petite semaine en autonomie, l’heure du départ a enfin sonné. Désormais, il ne manque plus grand-chose avant de toucher au but : Frey et sa nature préservée.

Les sommets restent pourtant blancs sous la couche de neige tombée la semaine passée mais une fois là-haut, il sera temps de découvrir la véritable qualité de la neige de Patagonie.

L’ELDORADO DU FREERIDEUR CRASSEUX

Nous sommes enfin au pied des pistes de Catedral, la station locale. Ça sent la fin de saison et des langues de neige brunes viennent mourir dans la boue des rues de la station. Les sommets restent pourtant blancs sous la couche de neige tombée la semaine passée mais une fois là-haut, il sera temps de découvrir la véritable qualité de la neige de Patagonie. Après nous être acquittés d’un forfait aussi cher que celui de Val-d’Isère mais simplement pour faire quelques pistes dans cette neige printanièr­e, nous nous lançons à l’aventure sur la voie d’Emilio Frey. Depuis le sommet du siège de Nubes, nous glissons à l’arrière de la Punta Princesa avant de grimper, skis sur le dos, dans un pierrier glacé par le vent. Du haut d’un col étroit, nous dominons un cirque aux pentes ombragées qui nous donnent un avant-goût des jours à venir. Nos carres s’enfoncent dans une neige fraîche et profonde qui nous met dans un état d’euphorie avancé. Nous avons enfin quitté la civilisati­on et la première bouchée de cette aventure est déjà savoureuse. La descente prend fin à la lisière d’une forêt éparse mais aux arbres mystiques avec leurs allures de titans et leurs

barbes de mousses et de lichens. Tolkien n’aurait pas été plus inspiré qu’ici lorsqu’il imagina ses Ents... Maintenant, il faut chausser les peaux et attaquer la montée vers El Refugio Frey quelques centaines de mètres plus haut.

La refuge de pierre qui va nous abriter durant les prochains jours porte donc le nom d’Emilio Frey, un géographe fils d’un immigré suisse et d’une mère argentine, co-fondateur du club Andino Bariloche en 1931. Emilio a oeuvré au « Treaty of Arbitratio­n between Chile and Argentina » en 1902 et a passé une grande partie de sa vie à explorer et cartograph­ier la Patagonie. Reste aujourd’hui son souvenir, une statue de bois, un lac et un refuge à son nom et… Emilio, le chat noir du Refugio.

Niki débarque ici comme à la maison au milieu des gardiens du refuge. Impossible de ne pas se sentir le bienvenu dans ce havre pour randonneur­s. Avec la fin de la saison et une météo clémente annoncée pour les jours à venir, le refuge ne cesse de se remplir. Dans la salle à manger, les peaux de phoque pendent au plafond, tout comme les chaussette­s, les gants et tout ce qui nécessite de sécher après une dure journée de ski... Autant dire que l’odeur est un peu rustique elle aussi !

Chacun prend son tour dans la petite cuisine, les gardiens préparent un repas pour ceux qui ont commandé, alors que les autres, comme nous, font leur propre tambouille. Un refuge quoi ! Toutes les langues se mélangent dans ce semblant de colonie de vacances : Argentins, Espagnols, Américains, Canadiens, Suisses, Français, le monde se retrouve ici, au centre de l’univers. C’est du moins ce qu’indique le panneau cloué à la porte de la cuisine : Centro d’El Universo. Comment s’étonner alors d’y retrouver aussi nos hôtes de Bariloche, Federico et Peter ? Les dortoirs, aussi bondés que la salle commune, imposent à certains de dormir dans une petite cabane annexe qui ne profite pas de la chaleur de la cuisine. Personne ne fait trop attention ni aux odeurs ni à l’hygiène, qu’il est bien difficile d’entretenir en l’absence de douches ou avec les canalisati­ons gelées et le papier toilette rationné... Nous nous sommes donc débrouillé­s pour avoir les dents propres et nous rincer l’entrejambe de temps en temps : le minimum syndical pour ce trip où l’important réside dans la nature alentour et la trace qu’on espère y laisser.

LE COEUR DU POULET

Et qu’en est-il de ces traces laissées dans la neige de ce cirque glaciaire qui s’étend autour de la Laguna Toncek ? Pour notre première expédition, nous avons traversé le lac gelé en direction du Torre Principal, le premier sommet alentour à voir le soleil du matin. À l’extrémité du lac, nous avons entamé la montée dans le couloir Vertical Sur, qui donne sur un col entre El Vecinal et Las Tres Marias. On y distingue les grands lacs et Cerro Tres Reyes au loin. De là, on imagine deux spots où construire un beau step down et un hip, de quoi nous occuper avant de rejoindre le refuge par le couloir monté plus tôt, qui n’a pas encore subi les assauts de la horde de randonneur­s partageant notre gîte.

Le lendemain, Léo a décidé de partir tracer la face qui s’étend sous El Abuelo. Depuis le chalet, je l’observe à travers le zoom de mon appareil photo. Petite fourmi zigzaguant au ralenti vers le sommet. Après avoir disparu derrière un pilier rocheux le temps de ranger ses peaux de phoque, le ridicule petit point trace en grandes courbes avant de s’engouffrer en ligne droite dans un couloir, les bras grands ouverts et en poussant des cris de joie.

Nous sommes ensuite partis retrouver nos deux oeuvres d’art éphémères, catapultes de neige,

avant de profiter d’un coucher de soleil à faire pâlir une carte postale.

L’objectif suivant a été une corniche bien charnue qui déborde au pied d’El Patriarca. En longeant la pente est du lac, nous avons rejoint la Laguna Schmoll avant de contourner Cerro Melisa et de surplomber la corniche. S’est ensuite orchestré un joyeux lâcher de viande entre Niki, Léo et Peter, avant de redescendr­e par le couloir au pied de Cerro Pyramidal. Au regard du printemps qui s’installe et des températur­es à se promener en tee-shirt, la neige reste exceptionn­ellement fraîche dans les couloirs. Une fois de plus, nous avons évité les boulevards pour choisir un itinéraire vierge. Pourtant, plus les jours passent et moins il reste d’options quant au choix des pentes non tracées. La fatigue commence aussi à se faire sentir et il est difficile de trouver la force de suivre la petite troupe qui se prépare à repartir « regarder le coucher de soleil » sous la face de la Roca Inclinada, quelque 400 mètres plus haut. Après une bonne journée à suer, dure a été l’ascension et encore plus rude la course aux derniers rayons de soleil pour capturer quelques virages, fouettés par le grésil tempêtant dans la lumière orange. Mais nul endroit ne vaut celui-ci à cet instant.

Gelés jusqu’aux os dans la nuit tombante, nous avons lutté contre le vent qui tourmente la crête avant de nous élancer dans la pénombre, sur une couche de neige rendue légèrement croustilla­nte mais toujours aussi douce en dessous. Nous sommes six zouaves à enchaîner les virages, ne distinguan­t plus que nos silhouette­s sur la face lisse qui mène à la Laguna Schmoll. De là, le retour au refuge s’est fait dans le noir complet, d’abord à tâtons dans la pente, puis guidés par la lueur du chalet au bout de la grande étendue plate de la Laguna Toncek. Depuis le milieu du lac, levant les yeux à la verticale, une incroyable voie lactée s’étire dans le ciel de Frey. Aux extrémités de la vision, se dessinent tous les sommets qui entourent le cirque.

Nous ne sommes en effet pas loin du centre de l’univers.

Deux jours plus tard, nous sommes repartis vers Catedral et la vraie vie en repassant une dernière fois par la Laguna Schmoll – je ne me ferai jamais au nom de ce lac – et le Concha de Futbol avant d’entamer la longue traversée vers la station. Exposées plein sud, ces pentes nous ont obligés à passer autant que possible par des zones rocheuses...

BOUQUET FINAL

De retour à Bariloche, les frères Etxart nous ont à nouveau hébergés de bon coeur sous leur toit. Nous avons de loin dépassé le stade du simple dépannage et avec leur accord, avons posé pour de bon nos valises chez eux. Les plus belles rencontres, comme les voyages, sont de celles que l’on n’attend pas. La neige nous a fait une nouvelle surprise pour le dernier jour passé tous ensemble. Une quarantain­e de centimètre­s est tombée durant la nuit et, le temps de reprendre la route baignant dans la boue et la neige mêlées vers Catedral, nous avons tracé en forêt, guidés par Peter. Mémorable. La suite a été une journée de poudreuse comme on n’en espérait plus au vu des conditions printanièr­es des jours précédents. Les remontées ferment alors que nous sommes encore en train de grimper la crête entre Cerro Nuerte et Nubes à pied, pour toujours et encore trouver de nouvelles traces à laisser dans cette neige providenti­elle.

Le lendemain, je serre Niki, Federico et Peter dans mes bras, ne sachant comment les remercier pour ces dix jours passés en leur compagnie sur la terre des Gauchos. Je laisse là mon Léo qui va continuer son trip argentin, le remerciant lui aussi de m’avoir entraîné dans cette aventure. À tous ceux qui sont tentés par la Patagonie, attendez-vous quand même à devoir adapter vos plans de voyage, mais soyez surtout ouverts à tout. Et la Patagonie vous le rendra bien !

 ??  ?? À gauche, le refugio Frey, un phare dans une nuit étoilée.
À gauche, le refugio Frey, un phare dans une nuit étoilée.
 ??  ?? À droite, un aperçu du Centro del Universo : la cocina.
À droite, un aperçu du Centro del Universo : la cocina.
 ??  ?? À droite, retour poudreux vers le refuge pour Peter.
À droite, retour poudreux vers le refuge pour Peter.
 ??  ?? À gauche, l'éperon de Las Très Marias avait l'air d'inspirer notre Léo.
À gauche, l'éperon de Las Très Marias avait l'air d'inspirer notre Léo.
 ??  ?? Tea time avec Léo et Niki, on est pas bien là? À la fraîche...
Tea time avec Léo et Niki, on est pas bien là? À la fraîche...
 ??  ?? Au bout de steppa : Bariloche
Au bout de steppa : Bariloche

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