Skieur Magazine

SE FAIRE LA PEAU

- Laurent Belluard

Si l’on est optimiste, l’essor de la pratique de la peau de phoque, qu’il s’agisse de rando ou de freerando, peu importe les terminolog­ies, va permettre aux skieurs de s’impliquer davantage dans la compréhens­ion du manteau neigeux et des risques d’avalanche induits.

Quand le hors-pistard sort de la remontée mécanique pour directemen­t plonger de l’autre côté du balisage, parfois sans même avoir l’équipement de sécurité de base (DVA, pelle-sonde), le randonneur remonte patiemment sa pente ou un autre versant en ayant tout le loisir d’étudier la neige, de comparer ce qu’il voit avec les indication­s du BERA (bulletin avalanche de Météo France), mais aussi en échangeant avec ses amis peut-être plus savants que lui sur le sujet. Le temps long de la randonnée facilite cette éducation jamais terminée qui permet, si ce n’est de survivre, de minimiser les risques d’accidents quitte parfois à faire demi-tour lorsque les signaux d’alarme se mettent au rouge. Rebrousser chemin, ce n’est pas forcément rentrer à la maison, cela peut signifier changer d’objectif et skier un autre versant, sans être étouffé par le stress. Rebrousser chemin, c’est s’assurer du ski plaisir plutôt que de se tordre le bide en serrant les fesses tant on sait que les conditions sont craignos. Pendant ce temps, l’ignorant prend son pied. Il ne sait pas, il profite. « Heureux les simples d’esprit » disait l’autre qui marchait sur l’eau (l’inventeur du freeride ?), et il n’avait pas vraiment tort. Sauf que ces simples d’esprit font la majorité des statistiqu­es d’accidents par avalanche même si, soyons honnêtes, des gens de grande expérience viennent aussi chaque année alourdir le bilan des victimes. Le risque zéro qui n’existe pas, tout ça... L’ennuyeux, c’est que ce tableau demeure un peu fantasmé : rien ne prouve que la pratique de la rando incite à la sagesse, à la prise de conscience que le manteau neigeux est vivant et capricieux, pas facile à cerner et éminemment dangereux puisque éminemment attirant, complément débonnaire d’apparence. D’ailleurs, les statistiqu­es de l’Anena (on ne vous invitera jamais assez à vous rapprocher de cet organisme pour vous éveiller ou vous perfection­ner au risque d’avalanche) montrent bien que le pourcentag­e de décès en rando augmente : l’hiver dernier, il y a eu 24 accidents en rando contre seulement 17 en hors-piste, mais 9 décès en rando contre 10 en hors-piste. La saison précédente, on dénombrait 19 accidents en hors-piste contre 18 en rando, pour 6 décès en hors-piste et déjà 11 en rando. Un an plus tôt, c’était 28 accidents en rando pour 23 en hors-piste, et pas moins de 25 morts en peaux contre 10 en freeride. Les saisons étant parfois très différente­s l’une de l’autre, difficile de tirer des enseigneme­nts de ces statistiqu­es, il n’empêche que la part des randonneur­s grandit quand celle des skieurs stagne, reste à savoir si c’est proportion­nel à l’augmentati­on des pratiquant­s ou pas. D’un autre côté, la banalisati­on de la pratique a eu un effet bénéfique sur les « classiques » surfréquen­tées qui deviennent, si ce n’est des champs de bosses, des pentes beaucoup moins fragiles qu’auparavant car plus souvent « travaillée­s » par les multiples passages de skieurs. C’est d’ailleurs le sens de cet édito : commencez par les classiques pour vous faire la main, vous imprégner de ce milieu et des règles à suivre, d’abord parce que ces itinéraire­s sont souvent très beaux mais aussi afin d’avoir le temps d’observer, d’être curieux et de progresser dans les protocoles de sécurité, quelle que soit la méthode de réduction des risques utilisée (voir www.anena.org ou commander sur skieur.com le hors-série 106 Neige et avalanche). L’avenir dira si se mettre à la rando (ou freerando) permet, au-delà de l’évident plaisir de pratiquer, d’augmenter la vigilance face au risque d’avalanche. D’ici là, faites vous plaisir et sachez renoncer avant de voir la première coulée.

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