Skieur Magazine

Sam Favret et sa bande ont planté leurs tentes sur le glacier d'Argentière pour s'offrir quelques belles faces nord ici et ailleurs dans le massif. De belles images, qui font le film éponyme également.

CAMPING SUR LE GLACIER D'ARGENTIÈRE

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LE GLACIER D’ARGENTIÈRE EST PROBABLEME­NT L’ENDROIT LE PLUS EXTRÊME ET LE PLUS ACCESSIBLE QU’OFFRENT NOS MONTAGNES, LA FAUTE À UNE INCOMPARAB­LE SÉRIE DE FACES NORD ALLANT DE LA VERTE AUX COURTES, EN PASSANT PAR LES DROITES, LE TRIOLET ET LE MONT DOLENT, À CHEVAL SUR TROIS FRONTIÈRES, MAIS AUSSI À SON ACCÈS FACILITÉ PAR LE TÉLÉPHÉRIQ­UE DES GRANDS MONTETS ET LA PROXIMITÉ DU REFUGE D’ARGENTIÈRE. QUE DES MYTHES DE L’ALPINISME. ALORS POUR CE QUI EST DU SKI, C’EST LE BERCEAU DU TRÈS RAIDE, L’ÉCRIN DES PIONNIERS... C’EST POURTANT LÀ QUE SAM FAVRET ET JULIEN HERRY ONT DÉCIDÉ DE PLANTER LEURS TENTES AFIN D’ÉCUMER LES PENTES EN CONDITION.

Lancé à pleine vitesse dans une interminab­le forêt truffée de pillows, enchaînant faceshot sur faceshot dans une poudreuse de rêve, je survole la pente en enchaînant des tricks fluides et aériens. Un bruit strident m’agresse et me fait ouvrir les yeux : tout est noir, retour à la réalité. Je regarde ma montre : 1 h du matin. Je suis seul dans cette grande tente froide et je préfère retourner dans mon rêve. Deuxième sonnerie désagréabl­e. Je me souviens maintenant pourquoi je suis là et ce projet qui paraissait si excitant hier soir semble un peu dénué de sens à l’instant présent. Il faut faire preuve de motivation pour quitter la confortabl­e chaleur du duvet, enfiler les vêtements gelés, mettre des chaussures dures comme du béton et enfin sortir de la tente. Les étoiles sont là, l’air est pur et frais, le cerveau sort doucement d’une profonde léthargie. J’allume le réchaud pour préparer un thé, effectue quelques battements de bras pour me réchauffer le corps, puis Sam me rejoint dehors. Nous échangeons quelques mots et essayons d’avaler un petitdéjeu­ner avant de finir de nous préparer. Nous chaussons skis et snowboard et glissons désormais vers l’autre rive du glacier...

Seul le bruit des planches sur la neige vient rompre le silence de la nuit. Enfin, la montée en peaux réchauffe les corps et délie les langues. La face se rapproche, raide et austère. Nous trouvons néanmoins un endroit confortabl­e et protégé pour mettre les crampons et attacher les skis sur le sac. La rimaye est effrayante dans cette nuit noire mais son franchisse­ment s’avère plutôt aisé en passant sur un fragile pont de neige. Nous sommes enfin sur la montagne, accueillis par les volutes de neige arrachées par le vent et une neige béton armé. La progressio­n est lente, exposée en traversée au-dessus de la rimaye, et nous sortons la corde pour nous assurer. Après de longues minutes de doute et d’effort, nous arrivons enfin dans une zone moins raide maculée de belle neige froide. Les pas s’enchaînent maintenant à un rythme plus soutenu et nous rejoignons rapidement la pente principale. Elle est raide et impression­nante. L’obscurité nous oblige à ressortir les photos de la veille afin de nous repérer dans ce mur où tout se ressemble. Enfin, les premières lueurs du jour apparaisse­nt à l’est, amenant un peu de contraste dans le paysage et révélant la pente à sa juste raideur. Le lever du jour se poursuit

« SAM FAVRET DANS LES PENTES RAIDES DE CHAMONIX, CE N’ÉTAIT PAS ÉCRIT D’AVANCE ET POURTANT ASSEZ ÉVIDENT POUR CE SKIEUR LOCAL AUSSI DOUÉ QUE TOUCHE À TOUT »

harmonieus­ement, progressiv­ement. Fini de grimper la tête dans le guidon dans l’obscurité, nous pouvons désormais élargir notre regard et profiter du spectacle... Les premiers rayons de soleil touchent maintenant le sommet de la face et les pâles couleurs de l’aube laissent place à un rose éclatant. Passant du rose au jaune, cette chaude lumière arrive désormais sur nous. Le lever de soleil derrière les hauts sommets valaisans est un magnifique spectacle : voilà la récompense de ce départ nocturne. Les formes et les couleurs s’accordent avec élégance, donnant l’impression de quitter la réalité et de replonger dans un rêve, un rêve qui semble tourner au cauchemar lorsque la glace fait son apparition sous les pointes de nos crampons. Cachée par quelques centimètre­s de neige collée, elle ralentit notre progressio­n et sème le doute dans nos têtes, à l’endroit le plus impression­nant de la face. Plus que la difficulté technique à remonter sur cette glace sous-jacente, la question se pose surtout quant à nos capacités à descendre skis aux pieds dans ces conditions... Enfin, après une centaine de mètres de traversée délicate, nous arrivons au pied du couloir sommital. L’altitude et la fatigue commencent à se faire sentir mais le retard pris dans cette traversée nous oblige à reprendre un rythme élevé afin de tenir notre horaire puisqu’il s’agit aussi de filmer la descente sous de belles lumières matinales. À bout de souffle, nous débouchons enfin au col de la Verte (3 800 m), élargissan­t notre horizon à la quasi-totalité du massif du Mont-Blanc. Seuls dans le bassin d’Argentière, nous nous réjouisson­s d’avoir patienté toutes ces années pour trouver un créneau favorable à la réalisatio­n de cette descente même si les conditions de neige ne sont pas exceptionn­elles, bien que très satisfaisa­ntes. Mais les couleurs du matin et cette trop rare solitude rendent cet instant magique et inoubliabl­e. Je suis heureux de pouvoir partager ce moment avec Sam, célèbre freerideur chamoniard que j’ai rencontré le printemps précédent, et qui est rapidement devenu un ami. Une confiance mutuelle s’est vite installée entre nous et nous avons appris à rider ensemble, utilisant à bon escient nos atouts de skieur ou snowboarde­ur pour faire la première trace suivant les conditions rencontrée­s. Pressés par le temps dans cette chasse aux belles lumières, nous nous dépêchons de nous préparer et de chausser. Cette première pente ne convient a priori pas mieux à l’un ou à l’autre mais je ne peux décliner l’offre d’ouvrir le bal. Les premiers virages sont hésitants, la neige changeante et le fond bien dur. Suivent quelques courbes maîtrisées, suffisamme­nt rapides pour devancer le sluff mais assez retenues pour ne pas exploser et être entraîné dans une chute sans fin. La fameuse traversée avec glace sous-jacente s’approche alors que les 600 m de vide sont omniprésen­ts sous nos pieds. Sam se lance le premier. Il est le plus à l’aise avec deux skis aux pieds mais finalement l’accroche n’est pas si mauvaise et l’exercice s’avère moins compliqué que prévu. La suite se déroule sans encombre sur une pente très soutenue jusqu’à la rimaye... La neige est froide, bonne à skier, mais ne permet pas la moindre erreur. La rimaye, insautable, nécessite un rappel exposé dans l’entonnoir à spindrifts de la face, ces volutes de neige qui nous fouettent le visage. Puis le terrain devient moins pentu et nous pouvons enfin nous relâcher en nous éloignant de la montagne. Un grand sourire sur les lèvres, heureux comme des gamins ayant fait une bêtise, nous remontons sereinemen­t le glacier jusqu’au camp de base.

« AU-DELÀ DE LA RAIDEUR DES FACES QUI IMPOSE UNE MAÎTRISE TOTALE SOUS PEINE DE SANCTION ULTIME, IL S’AGIT AUSSI DE TROUVER SON CHEMIN DANS CE DÉDALE DE CULS DE SAC ET DE PIÈGES. »

Six semaines plus tôt, Sam et Bouli, un peu désespérés, me questionna­ient sur la possibilit­é de tourner un film de pente raide en cette fin de saison. Après un hiver très sec et délicat, leurs projets de vidéos en cours tombaient à l’eau l’un après l’autre avec l’arrivée du printemps. La montagne était sèche, pelée par le vent, et peu propice à la pratique du ski de pente raide. Malgré tout, début avril, nous sommes allés skier sous la pointe Kurtz au fond du bassin d’Argentière. La partie haute nous a offert une belle neige de printemps au milieu de rougeoyant­s gendarmes granitique­s, la moitié inférieure moins glamour sinuant le long de fines bandes de vieille neige au milieu d’un éboulis géant. Quelques jours plus tard, nous sommes revenus au fond du même bassin mais cette fois du côté des faces nord. Il n’avait pas reneigé entre-temps mais nous avons repéré une ligne moins travaillée par le vent, sous la pointe Tournier, à droite du col des Courtes. La montée, intéressan­te avec deux courts passages mixtes, offre une descente raide mais agréable, avec enfin un peu de neige poudreuse à rider. C’est là qu’a germé l’idée de revenir ici installer un camp de base après la fermeture des remontées mécaniques... Le mois d’avril passé, les conditions ne se sont guère améliorées. Nous réussisson­s tout de même à skier la face nord de l’aiguille de l’Amone en bonnes conditions un lendemain de chute de neige et début mai, les Grands Montets ferment au public alors que la neige commence enfin à coller en montagne. Il ne reste plus qu’à atten- dre un créneau météo favorable dans cette instabilit­é printanièr­e. Finalement, quelques jours plus tard, nous débarquons dans le bassin déserté accueillis par de belles éclaircies dévoilant des faces bien plâtrées de neige... Nous sommes une dizaine, Sam et moi irons vadrouille­r dans les faces nord. Bouli (Alex Blaise) et Jean Roland (Jr Ceron) assureront les prises de vue diverses et Schob (Hensli Sage) pilotera son drone.

« LA PRATIQUE DE LA PENTE RAIDE DEMANDE TELLEMENT DE CONCENTRAT­ION QU’ELLE PROCURE DE L’ADRÉNALINE À HAUTE DOSE ET DONC, UN SACRÉ GOÛT DE REVIENS-Z’Y ! DANS UN TEL PAYSAGE, COMMENT FAIRE AUTREMENT ?»

des Deschamps) Nanard photos, (Jeremy Christo et Chyco Bernard), (Christophe­r (Fabian Dédé Bodet) Baud) (Damien prendront guidera cette joyeuse équipe et Kaboul (Sébastien Overney) s’occupera de nourrir tout ce beau monde. Au-delà de la nécessité de camper ici, c’est le plaisir d’être immergé au coeur de la montagne, entre amis, qui appor te tout le sel de ces quelques jours. Le soir, le ciel se dégage totalement, nous aidant à comprendre un peu mieux l’enneigemen­t de la montagne. Nous choisisson­s la face nord-est de l’aiguille qui Remue pour nous mettre en jambes le lendemain. Après un bon repas dans la tente

"mess", nous allons nous mettre à plat pour une courte nuit...

2 h du matin, le réveil sonne. Apres un rapide petit-déjeuner, nous nous dirigeons vers le haut du bassin sur une neige déjà bien matée par le soleil de la veille. La rimaye passe facilement en rive droite et nous trouvons rapidement de la bonne neige froide tassée qui facilite notre progressio­n. Le jour se lève quand nous traversons sur la droite pour rejoindre le passage le plus délicat de la ligne, une raide et étroite bande de neige collée sur une grande plaque de glace. Grimper ce passage n’est pas très difficile, mais le descendre avec les planches aux pieds risque d’être plus délicat si l’on veut éviter de sortir la corde. Le soleil nous accueille au pied de la longue pente terminale. La neige devient profonde et le vent se renforce, nous devenons plus méfiants vis-à-vis des accumulati­ons de neige et ajustons notre itinéraire de montée en fonction des différente­s poches de neige rencontrée­s. Finalement nous arrivons au col à droite de l’aiguille qui Remue sans encombre, mais bien refroidis par cette bise devenue incessante. Nous nous préparons rapidement et Sam se lance en premier dans la pente. En quelques courbes rapides et calculées, il arrive au sommet de la plaque de glace où je le rejoins. Je prends soin de le laisser devant dans cette portion délicate. La neige tient mieux que prévu sous les skis et Sam perd rapidement de l’altitude en tâtonnant le terrain à l’aval avec son bâton. Suivent une traversée un peu scabreuse puis un dernier dérapage et il est sorti d’affaire. Je le rejoins doucement, avec l’aide de mes deux piolets qui m’assurent un ancrage constant à la montagne. La neige, désormais plus ferme, sert de rampe de lancement au sluff qui, malgré l’élargissem­ent de la pente, se fait vicieux. La concentrat­ion est totale, puis le relief s’adoucit un peu. La rimaye passe sans aucune difficulté, nous pouvons maintenant nous laisser glisser jusqu’au camp de base l’esprit léger.

Nos copains nous accueillen­t chaleureus­ement, ils ont pu regarder ou immortalis­er notre descente de près ou de loin. Il n’est que 9 h du matin : le reste de la journée s’annonce sous le signe du repos et de la contemplat­ion. Après un bon déjeuner cuisiné par Kaboul, chacun vaque à ses occupation­s. Certains vont à la chasse aux cristaux, d’autres chassent la neige de printemps et ça sieste dur dans les tentes dortoir. Le soleil, tant apprécié depuis ce matin, devient un ennemi durant les heures les plus chaudes tant il tape fort avec la réflexion de la neige. La chaleur devient insupporta­ble mais quelques nuages apportent une ombre salvatrice appuyée d’une petite brise montante bien agréable. Tout le monde est de retour au camp pour l’apéro, suivi d’un copieux dîner puis d’un délicieux coucher de soleil en guise de dessert.

Le lendemain, après notre aventure matinale au col de la Verte, le reste de la journée se passe sur ce même rythme contemplat­if. La météo est censée se détériorer le jour suivant mais nous espérons tout de même pouvoir skier une dernière pente avant le mauvais temps et acceptons un ultime départ nocturne.

Le réveil sonne de nouveau trop tôt, je jette un coup d’oeil hors de la tente et reviens aussitôt dans le duvet. Quelques nuages, un peu de vent mais surtout beaucoup de fatigue. Personne ne semble vouloir bouger dans le camp et je me rendors rapidement. Quand mes yeux s’ouvrent de nouveau, le jour est levé depuis bien longtemps. Pas de regrets, le temps est gris et la tempête de foehn annoncée dans l’après-midi semble bien se mettre en place. Nous nous rassemblon­s dans la tente « mess » pour jouer aux cartes, papoter et nous hydrater de boissons chaudes. Soudaineme­nt, un cri dehors dans la tempête de neige : la tente média a failli s’envoler avec les premières violentes rafales de vent ! Tout le monde se presse à l’extérieur et s’active à fabriquer des murs de neige protecteur­s, à retenir et ré-amarrer les tentes : après deux bonnes heures de remue-ménage, le camp est enfin déclaré sécurisé. Nous pouvons retrouver nos activités dans la grande tente collective, bercés par un souffle moins violent mais incessant. Les prévisions météorolog­iques nous annoncent un court créneau de beau temps le lendemain matin mais nous craignons de grosses accumulati­ons de neige sous le vent, dans les pentes exposées au nord. Nous préférons ne pas tenter le diable : nous pouvons donc veiller un peu avant de rejoindre nos lits pour une dernière nuit sur le glacier. Pas de grasse matinée, il faut encore ranger le camp et profiter de cette éclaircie matinale pour rentrer dans la vallée, salués par un magnifique lever de soleil contrarié par quelques nuages, créant un jeu d’ombres et de lumières qu’un peintre aurait dégusté à sa juste valeur.

Quelques jours plus tard, Sam et moi sommes de retour dans la face nord de l’aiguille du Peigne pour une belle aventure puis nous terminons la saison en skiant la mythique face nord du Pain de sucre. Le film Waking Dream est né de ces quelques passages dans le massif du MontBlanc, pour un rêve éveillé qui qualifie parfaiteme­nt cette petite expédition menée dans le bassin d’Argentière.

« LA HAUTE MONTAGNE A UN POUVOIR D’ATTRACTION ÉNORME, LES GRANDES FACES NORDS CHARGÉES D’HISTOIRE OFFRENT UNE FORME DE JEU DE PISTE À DÉCRYPTER : PASSERA , PASSER PAS ? »

 ??  ?? Doucement, Sam et Pica se présentent à l’entrée du Pain de Sucre, une autre face mythique du massif, raide.
L’erreur n’est pas permise.
Le camp de Base. Point clef de la mission et l’endroit où nous passerons le plus de temps alors mieux ne vaut pas...
Doucement, Sam et Pica se présentent à l’entrée du Pain de Sucre, une autre face mythique du massif, raide. L’erreur n’est pas permise. Le camp de Base. Point clef de la mission et l’endroit où nous passerons le plus de temps alors mieux ne vaut pas...
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T’en veux encore ? Rien de mieux qu’un bon repas entre amis dans la tente dôme pour recharger les batteries.
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Après 5 bonnes heures de montée, Sam et Pica s’élancent.
C’est raide, entre glace et neige dure, la...
Quand Sam et Pica nous informent vers 4h du matin que la glace est toute proche et que la montée est exposée, que penser de la descente ? Après 5 bonnes heures de montée, Sam et Pica s’élancent. C’est raide, entre glace et neige dure, la...
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Danse vertigineu­se entre les géants. Aiguille qui remue, couloir N-E.
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Scoper sa ligne. Une phase dure et laborieuse où seul le jugement humain peut faire la différence.
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En route pour le col de la Verte, au soleil levant.

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