Skieur Magazine

Au coeur du pays basque, tout près de l'Atlantique, se dressent les picos de l'Europa, ces montagnes abruptes qui bloquent en premier les dépression­s d'ouest. Un endroit éminemment sauvage, à découvrir vraiment.

QUELQUES KILOMÈTRES APRÈS AVOIR QUITTÉ LA CÔTE ATLANTIQUE DU NORD DE L’ESPAGNE, SE DRESSENT LES PICOS DE EUROPA, UN MASSIF RAMASSÉ, SAUVAGE ET PROTÉGÉ. UN CADRE UNIQUE, COMME SI LES FJORDS SEPTENTRIO­NAUX AVAIENT MIGRÉ VERS LE SUD POUR VENIR PLONGER DANS L

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ON DÉCOUVRE CES MONTAGNES ABRUPTES, DRESSÉES FIÈREMENT FACE À L’OCÉAN. LES PICOS S’ÉLÈVENT D’UN COUP, SANS PRÉVENIR, SANS CONTREFORT­S NI RAMPE DE LANCEMENT.

Il est toujours un peu étrange de longer le littoral pour gagner les montagnes, de respirer l’air iodé en chaussant ses skis, de s’élever en gardant un oeil sur l’océan. Santander passé, la route quitte les côtes et bifurque vers l’intérieur pour serpenter à travers le corridor encaissé du défilé de La Hermida. Quand les gorges s’effacent, on découvre ces montagnes abruptes, dressées fièrement face à l’océan. Les Picos s’élèvent d’un coup, sans prévenir, sans contrefort­s ni rampe de lancement. Dans la vallée, si l’on se croit dans des villages de montagne, l’altitude ne dépasse en fait pas les trois cents mètres. Notre camp de base est établi dans le hameau d’Aliezo, à proximité de Potes, à l’est du massif. Une petite vie de vallée s’organise là, peu concernée par les pics acérés qui couvent les maisons de leur menaçant regard. L’ambiance, alourdie par un ciel bas chargé de nuages et de brouillard, apparaît morne voire austère. Peu de neige aux alentours. Mike, notre hôte, est anglais mais installé ici depuis vingt-cinq ans : « Il n’y a pas grand-chose cet hiver. On a eu quelques bonnes journées mais les quantités de neige ne sont pas énormes. » Il skie le plus souvent seul, accompagné de ses deux chiens dont on ne soupçonne pas l’endurance redoutable. Heureuseme­nt, le temps s’annonce chargé pour les deux prochains jours et il devrait neiger en quantité substantie­lle. Pour skier dans les Picos, il convient de consulter les prévisions locales de précipitat­ions aussi bien que les reports des spots de surf situés à une quinzaine de kilomètres. Plus qu’ailleurs, le vent océanique conditionn­e la qualité de la neige, réchauffe l’atmosphère, humidifie les flocons et influence directemen­t la météo du jour. Ça change très vite et les quatre saisons se succèdent parfois en une journée. Même en été, l’Orbayu, une pluie particuliè­rement fine ou un brouillard particuliè­rement humide, selon les points de vue, peut se former en quelques minutes transforma­nt du tout au tout l’ambiance bucolique des lieux en enfer de haute montagne. Bref, les Picos de Europa, c’est un endroit particulie­r, magique, mais à grandement respecter malgré son altitude d’apparence modeste.

PAR LA PORTE D’ENTRÉE

Plusieurs accès existent pour aller se percher dans cette montagne vierge de toute station de ski. Du village de Potes, la route circule autour du massif et atteint, plein sud, le téléphériq­ue de Fuente Dé. Le câble vainc un mur impression­nant, paroi quasi verticale de 800 m qui, dans l’ambiance neigeuse du jour, nous propulse dans un épisode de Game of Thrones... À son sommet, à 1 850 m d’altitude, on distingue un vaste cirque duquel se détachent de nombreux sommets, très proches les uns des autres. C’est rocailleux, aucune végétation n’a ici droit de citer. Gros avantage des lieux, il n’y a aucun skieur. Au cours de notre séjour, on a croisé seulement deux aficionado­s de ski alpinisme, moulés dans leur collant et chaussés de leurs allumettes, partis pour se faire chauffer les cuisses à la montée plus que pour dégoter de la poudreuse à la descente. Ici, tout est calme, brut, silencieux. Il est l’heure de faire glisser les peaux alors que la neige tombe lourdement et que la visibilité, ce matin, est bien faible. Notre premier objectif est de rallier une cabane, cinq cent mètres plus haut, d’où, si le temps le permet, on pourra s’orienter vers différents sommets. On fait nos traces dans des pentes douces, longeant sur notre droite d’énormes falaises. À gauche, d’innombrabl­es corridors, des grottes, des crêtes, des cimes créent un labyrinthe minéral. Pas évident de s’orienter, on se contente de coller aux parois de droite sans trop en savoir plus. On se sent encerclés, enfermés dans ce massif d’où l’on ne semble pouvoir s’échapper par nos propres moyens. Plus haut, Yvan distingue un potentiel intéressan­t dans des couloirs plutôt raides. Si les conditions de neige ne semblent pas favorables pour s’y frotter ces jours-ci, ça pose malgré tout sérieuseme­nt et la neige fraîche qui s’entasse petit à petit laisse présager d’une bonne descente.

CHEZ VERONICA

En attendant, on atteint au bout de deux bonnes heures, l’improbable cabaña Veronica, juchée sur un promontoir­e exposé à tous les vents. En fait de cabane, il s’agit d’un igloo aux allures de barquette de congélatio­n, bâtie avec des matériaux récupérés d’un porte-avions. Sur la côte, non loin de là, à Sestao, se trouve en effet un chantier de démantèlem­ent maritime où les pièces du USS Palau, retraité après la Seconde Guerre mondiale, ont trouvé grâce à l’imaginatio­n d’un ingénieur fan de rando un nouvel usage. Hissés à dos d’âne au cours de l’été 1961, les éléments de récupérati­on ont ensuite été assemblés sur place. Son aspect métallique, ses hublots, sa porte d’embarqueme­nt confèrent à l’endroit un look irréel, comme sorti d’un film de science-fiction. Ce mini refuge de neuf mètres carrés et de six couchages n’est gardé que l’été. L’hiver, il est possible d’y dormir et de vivre en autarcie, une bonne idée pour s’économiser la montée d’approche depuis le téléphériq­ue pour ensuite rayonner aux alentours. On s’y arrête un instant pour se mettre à l’abri du vent et se restaurer avant de poursuivre notre route, le ciel se dégageant, vers la Torre de Horcados Rojos. Le confort est spartiate, il fait presque plus froid qu’à l’extérieur et les couchettes ressemblen­t aux étagères d’un frigo sur lesquelles on n’a pas tellement envie de s’allonger. On n’a finalement qu’une hâte : se remettre en route avant de geler dans ce congélo d’altitude.

UNE TOUR ET DES FLANCS

Pour la reprise, une première et courte descente nous permet d’inaugurer la neige des Picos. Légère et profonde, c’est une bonne surprise ! La montée reprend jusqu’à déboucher sur un large col d’où le panorama embrasse tout le Macizo Central, la partie la plus élevée des Picos et la plus favorable au ski de rando. Au loin, le Naranjo de Bulnes, l’emblématiq­ue maître des lieux, érige son impression­nante paroi de calcaire. Le pic le plus célèbre d’Espagne est un haut lieu de l’escalade où les grimpeurs viennent défier, lors des beaux jours, les 550 m de verticalit­é de sa façade ouest. On y trouve même une voie de treize longueurs (“Orbayu” !) à la difficulté mondialeme­nt réputée. De notre poste d’observatio­n, le pic d’Uriellu, son autre petit nom, ressemble à une énorme tour carré, un donjon imprenable. Le Naranjo de Bulnes nous accompagne alors que l’on gravit les flancs pierreux de la Torre de Horcados Rojos. La langue de neige sur laquelle on enchaîne les conversion­s s’amenuise jusqu’à devenir trop étroite pour une paire de skis. Il est alors l’heure de se laisser glisser dans l’autre sens. Dans une ambiance toujours aussi rocailleus­e et des pentes plus ou moins marquées, le ski s’avère très agréable. Rien d’engagé, mais un grand ciel bleu nous aide à retrouver notre chemin parmi ce dédale de rochers, un décor somptueux et de belles pentes occasionne­lles pour allonger les virages et s’enfoncer dans une poudreuse réconforta­nte. Dix à quinze centimètre­s sont tombés depuis notre arrivée, mais le temps s’est dégagé. De l’aspect rigoureux du matin, on est passé à un après-midi printanier, si bien qu’on ne reconnaît plus vraiment notre environnem­ent. Heureuseme­nt, les imposantes falaises omniprésen­tes en arrière-plan constituen­t un efficace fil d’Ariane, en plus d’un décor photogéniq­ue et imposant pour les skieurs. Des arêtes acérées et parfois en équilibre précaire s’effilochen­t depuis des siècles en surveillan­t ces goulets au potentiel beaucoup plus engagé. À plusieurs reprises, pour profiter de conditions favorables, nous remontons sur quelques centaines de mètres pour mieux redescendr­e.

PICS ET CAÑAS

Pour conclure cette première journée, une dernière pente vierge nous tend les bras, déroulant sa pureté jusqu’aux volets verts de l’hôtel Aliva, fantomatiq­ue édifice fermé pour la saison. Les pentes filent au pied de l’imposant mur de la Peña Vieja (2 617 m) derrière lequel sombre rapidement le soleil. Une ultime remontée pour attraper à temps le dernier téléphériq­ue et nous revoilà dans la vallée, comme descendus d’une autre planète tant l’on passe sans transition des cimes au plancher des vaches. Dans la plus agréable tradition espagnole, on siffle quelques cañas dans le premier bar venu, que le propriétai­re des lieux agrémente d’une soupe bien épaisse pour soigner la fringale qui nous guettait depuis l’en-cas pris dans la cabane Veronica, conclusion idéale pour achever cette journée inaugurale qui nous a permis de prendre nos repères au coeur de ce massif original.

LE VENT OCÉANIQUE CONDITIONN­E LA QUALITÉ DE LA NEIGE, RÉCHAUFFE L’ATMOSPHÈRE, INFLUENCE LA MÉTÉO DU JOUR.

 ??  ?? Pause déjeuner à la cabaña Veronica, improbable igloo métallique posé au coeur des Picos.
Dans ces conditions neigeuses et bouchées, longer ces massives falaises reste le meilleur moyen de ne pas se perdre. En attendant l’éclaircie.
Pause déjeuner à la cabaña Veronica, improbable igloo métallique posé au coeur des Picos. Dans ces conditions neigeuses et bouchées, longer ces massives falaises reste le meilleur moyen de ne pas se perdre. En attendant l’éclaircie.
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 ??  ?? Au fond, l’emblématiq­ue paroi verticale du Naranjo de Bulnes surveille les Picos.
Au fond, l’emblématiq­ue paroi verticale du Naranjo de Bulnes surveille les Picos.

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