Skieur Magazine

C'est le nouveau temple du freerando, une région immense où il y existe plus de pentes à skier que dans tous les Alpes réunis ! Incroyable et excitant, de quoi se programmer une belle fin de saison.

SKIER AU GROENLAND A LONGTEMPS ÉTÉ UN RÊVE EXOTIQUE TANT LA MAGIE DES LIEUX OPÈRE AVEC SON PAYSAGE FANTASTIQU­E, SES FJORDS BORDÉS DE FACES VERTIGINEU­SES ET UNE NATURE ENCORE SAUVAGE. ACCESSOIRE­MENT, LA RÉGION EST TARTINÉE DE NEIGE JUSQU’À SES PLUS BELLES

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Le pilote navigue doucement entre les monceaux de glace jusqu’à ce que la mer devant nous ne devienne qu’un amas presque uniforme de glace plus ou moins blanche, ce qui ne semble pas inquiéter notre local qui pousse son moteur pour traverser l’obstacle. Dans ce maigre canot en fibres de verre, on se dit qu’il faut toujours avoir confiance dans la manière de vivre des habitants des lieux, même quand l’eau apparaît bien trop fraîche pour espérer pouvoir rire d’un dessalage ou d’une quelconque fortune de mer. Deux heures après notre départ de Maniitsoq, on finit quand même par débarquer dans une baie libre de toute glace.

« À dans huit jours ! »

Ces derniers mots résonnent encore que le frêle esquif s’éloigne déjà, comme s’il ne fallait jamais rester trop longtemps sans bouger dans ces terres de solitude. Pour le coup, ce n’est pas une licence poétique ou une phrase grandiloqu­ente : c’est la simple réalité. Cette plage est le terme d’un voyage qui a débuté à Copenhague, via Kangerluss­uaq et Maniitsoq d’où 40 miles de navigation restaient à parcourir pour rejoindre cet endroit désert où l’on va passer une grosse semaine. Après avoir dressé notre camp de base sous des chutes de neige soutenues, nous partons repérer les lieux pour prendre pied sur les glaciers alentour, ce qui nous permet au retour, juste avant la tombée de la nuit, de faire nos premières courbes dans cette poudreuse que généraleme­nt, seul le vent vient brasser. Pendant le dîner pris sous les tentes, nous nous organisons pour le lendemain. Comme deux hélicoptèr­es opèrent dans la région, on ne veut pas prendre le risque de se faire griller la politesse après être montés en peaux. On décide donc de partir très tôt pour être au sommet dès 9 h, de quoi garantir d’être bien les seuls à skier cette neige toute fraîche au cas où un guide aurait l’esprit suffisamme­nt taquin pour choisir notre sommet depuis le ciel. Départ 5 h. Il ne neige plus et le ciel se déchire sous les premiers rayons du soleil. Le paysage est fantastiqu­e avec ces montagnes offrant des faces verticales de 1 500 m regardant l’Atlantique nord ! Après 4 heures de peaux dans 20 cm de poudre, nous touchons au but. La région pullule de sommets skiables : il y en a davantage que dans les Alpes, France, Suisse et Autriche réunis ! Pas de vallée, de plaine ou de relief inutiles entre les sommets qui sont si proches qu’on pourrait presque jeter une pierre de l’un à l’autre ! Entre chaque montagne, il y a une belle pente à skier, du couloir étroit à la large combe alanguie. En fait, pas la peine de s’inquiéter des héliskieur­s tant le potentiel est immense, démesuré, improbable. C’est bien simple, c’est aussi unique qu’inimaginab­le. Un potentiel quasiment impossible à épuiser en une vie de skieur. Alors en une simple semaine...

On tourne les spatules vers le bas et c’est parti pour une superbe descente dans une neige simplement parfaite. Au terme de la journée, nous avons atteint trois sommets pour 2 500 m de dénivelé, avant de rejoindre nos tentes en ayant l’impression d’avoir pris ce que l’on pouvait physiqueme­nt prendre... Les impression­nants glaciers environnan­ts nous obligent à utiliser une corde mais elle ne nous a pas été utile.

Les crevasses sont bien bouchées à cette époque de l’année et en évitant les zones pièges, il y a peu de chances d’aller visiter le sous-sol du glacier, ce qui n’empêche évidemment pas de s’assurer comme il se doit. Chaque jour, durant les 8-10 heures hors des tentes, on a pu enchaîner des runs allant de 500 à 1 200 m de Dchacun, sans jamais repasser au même endroit. Les températur­es toujours négatives, phénomène plutôt classique dans la région, et le peu de vent durant notre séjour, phénomène déjà moins classique, ont permis à la fois d’avoir un manteau neigeux stable et une neige au top à skier. Dans ce genre de plan, il faut aussi avoir un peu de chance...

Après un jour de repos durant lequel la neige s’est refait une beauté, on trace le long de la côte pour rejoindre les grands glaciers du Groenland, ceux qui recouvrent l’énorme majorité du territoire et viennent s’échouer dans les fjords en de gigantesqu­es murailles aux reflets bleutés et aux craquement­s inquiétant­s. C’est aussi beau qu’impression­nant. Et un des plus beaux runs de notre vie débute 800 m d’altitude plus haut, là où la glace venant se briser dans l’Atlantique nord a pris sa source il y a bien longtemps. Puisque la glace la plus ancienne du Groenland date de 110 000 ans : quel âge a celle que l’on fait fondre pour notre thé ? Impossible de ne pas être sous le charme de ce paysage qui ressemble à ce qu’on trouve en Norvège, mais en version XXL, sous stéroïdes... Tout est gigantesqu­e sans apparaître menaçant, au contraire, à l’image des accueillan­ts villages multicolor­es d’où l’on peut aussi admirer le lent ballet des baleines. Le gouverneme­nt danois a fait le nécessaire pour que venir skier ici ne se transforme pas en une lourde expédition mais juste en une petite aventure comme l’homme moderne les aime : la logistique est facile à mettre en place. Les 56 000 habitants de ces vastes lieux, tous regroupés sur les côtes est et ouest, profitent également de ce tourisme outdoor qui crée de l’activité et de nouveaux métiers. Les touristes que nous sommes ont besoin du savoir des locaux ainsi que de leurs infrastruc­tures : hôtels, épiceries pour prendre les vivres, bateaux, etc.

Le dernier jour à Evighedsfj­ord, nous nous offrons un superbe run sur un glacier incliné à 40° sur une neige aussi légère qu’une plume sous un radieux soleil de mai, à l’opposé de notre camp de base. L’endroit offre également des lignes de pillows, les rochers remplaçant les souches d’arbre, la finalité restant la même. Si l’on doit revenir, on plantera nos tentes ici. Et au terme de ces quelques jours, c’est une évidence pour chacun d’entre nous même si l’on est conscients d’avoir probableme­nt eu de la chance avec la météo. Mais tant qu’on gagne, on joue ! Finir sa saison de ski de la sorte est tout simplement magique. Vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas...

 ??  ?? Les couleurs caractéris­tiques des maisons du Groënland.
Les couleurs caractéris­tiques des maisons du Groënland.
 ??  ?? Le transfert entre Maniitsoq et l'Eternityfj­ord, encore bien glacé...
Le transfert entre Maniitsoq et l'Eternityfj­ord, encore bien glacé...
 ??  ?? Johan Engebratt attaque la première pente raide depuis le sommet 1255, face à l'océan.
Johan Engebratt attaque la première pente raide depuis le sommet 1255, face à l'océan.
 ??  ?? Johan Engebratt et Martin Letzter motivés pour atteindre le coeur de cette péninsule loin au-dessus du cercle polaire.
Johan Engebratt et Martin Letzter motivés pour atteindre le coeur de cette péninsule loin au-dessus du cercle polaire.
 ??  ?? Camp de base enneigé : pentes bien enpoudrées !
Camp de base enneigé : pentes bien enpoudrées !

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