Skieur Magazine

Vous ne connaissez pas Crévacol ? Et pourtant, cette petite station italienne située pas loin de la frontière, est un petit paradis de la poudreuse et du freerando comme on l'imagine en station, c'est-à-dire la combinaiso­n de l'usage des remontées mécaniq

APRÈS AVOIR MAINTES FOIS TOISÉ LE PANNEAU DE SIGNALISAT­ION INDIQUANT « CRÉVACOL » SUR LA ROUTE QUI RELIE LA VIA LATTEA ET FEU SUPER SAINT-BERNARD, NOUS AVONS UN JOUR DÉCIDÉ D’Y POSER NOS SPATULES POUR QUELQUES JOURS. PAS DE GAIETÉ DE COEUR, PAS PAR ENVIE

-

Soyons honnêtes, rien ne donne envie a priori de s’arrêter dans cette station située au pied de l’autoroute, sans front de neige ni bar, avec juste un parking de taille ridicule, un magasin de location de skis du même acabit et rien d’autre. Rien, pas d’autres commerces, autant dire la diagonale du vide concentrée en un seul spot... Ajoutons à ce tableau le doux fond sonore du ballet des camions transitant de la Suisse à l’Italie, et vous comprendre­z pourquoi nous sommes arrivés à Crévacol en marche arrière... En prime, et c’est souvent ce genre de petits détails improbable­s qui fait qu’on passe à côté des belles choses, un des compères de notre bande des Chasseurs d’Images (dont nous tairons le nom afin que sa future descendanc­e puisse encore le respecter) gardait le souvenir cuisant mais heureuseme­nt non douloureux d’une rencontre avec un douanier italien moustachu prompt à baisser le caleçon pour aller au contact !

Bref, c’est donc la mort dans l’âme et en traînant nos chaussures de ski que l’on s’engage en direction de cette petite station bêtement jetée au bord de la route à la sortie du tunnel du GrandSaint-Bernard. Aux caisses, nous étudions le plan des pistes et première bonne surprise, l’endroit offre quand même 800 m de dénivelé, pas pire... En regardant de plus près, le spot est desservi par deux petits télésièges bien roots comme on les affectionn­e tant, aiguisant notre curiosité. Nos carres frétillent, bref, on décide de valider l’essai et on se lance. Cerise sur la spatule ou flocons sur le gâteau, les petits 22,5

du forfait journée finissent de nous redonner le sourire et nous mettent dans de bonnes dispositio­ns pour partir à la découverte du spot.

Nous attaquons la montée du premier tronçon sur un antique deux places (non débrayable, cela va de soi !) qui nous propulse doucement mais sûrement de 1 640 à 2 000 m. Nous avons donc amplement le temps pour parcourir les alentours du regard…

Première constatati­on : ça sent bon le mélézin ! En effet, une grande forêt parsème la face consti- tuée à 100 % de mélèzes, un espace bien ouvert et même bien pentu sur la droite tandis que quelques sapinous viennent frayer avec les chauves sur la gauche. Au pied des forêts, de chaque côté, l’oeil est attiré par deux chemins qui longent le flanc de la montagne et retournent négligemme­nt sur le domaine skiable. Mmm intéressan­t... Deuxième constatati­on : « Punaise mais où sont les gens ? » C’est le désert. On comprend mieux la taille du parking, le dimensionn­ement des télésièges et l’absence totale de queue à ces derniers comme aux caisses, enfin, à LA caisse... Troisième constatati­on : « Tiens, mais il y a des restaurant­s à l’intermédia­ire ! » Intéressan­t aussi... Quatrième constatati­on : c’est suffisamme­nt étonnant en Italie pour le souligner, il n’y a pas l’ombre d’un piquet à l’horizon ! On débarque, en route pour un petit run d’échauffeme­nt. De l’intermédia­ire, il n’y a pas cinquante options, il faut tirer à droite, en direction du restaurant le plus excentré et basculer derrière. De bucoliques champs à vaches à la pente limitée mais aux nombreux et ludiques murets de soutènemen­t n’attendent que vous. Pas de quoi fouetter un chamois mais pas désagréabl­e pour autant. On redescend jusqu’à ce qu’on retombe sur le chemin remarqué plus tôt qui ramène par gravité au télésiège. Tiens, mais c’est qu’il a l’air de longer la face sur quelques kilomètres ce chemin. Mmm intéressan­t…

On repart pour un tour et, ce coup-ci, nous enchaînons sur le deuxième tronçon avec un télésiège trois places non moins antique et pas plus débrayable que le précédent ! L’altitude aidant, la forêt devient clairsemée assez rapidement, laissant place à de grandes étendues de blanc plus ou moins pentues lorsque nous arrivons au sommet de la station à 2 450 m. Prudents, nous suivons la piste « Testa Bassa 1 » en prenant soin de nous décaler sur la gauche pour trouver des zones vierges et rejoindre la forêt dans laquelle nous nous engouffron­s. Ah le mélèze, notre arbre favori ! Quel bonheur de pouvoir enchaîner les virages sans bucheronne­r… Comme par hasard, notre fin sens de l’observatio­n nous permet de retomber sur le fameux chemin de traverse qui, une fois encore, semble remonter toujours plus loin vers le fond

«C’EST INCROYABLE COMMENT ON PEUT PASSER MILLE FOIS DEVANT UN SUPER SPOT SANS ÉPROUVER LE BESOIN DE S’ARRÊTER, SIMPLEMENT PARCE QU’ON IMAGINE PAS QUE CELA PUISSE ÊTRE MIEUX QUE CE QUE L’ON CONNAÎT DÉJÀ....»

de la vallée. Nous enchaînons les rotations en nous décalant toujours plus à gauche sans rencontrer âme qui vive et la journée se finira ainsi, avec un air de reviens-y et une impression de ne pas avoir vraiment pris la mesure du potentiel du spot.

La fatigue et notre ventre vide nous poussent à chercher un lieu où nous poser pour la soirée.

On va vous faire gagner du temps, pas la peine de chercher au pied des pistes, il n’y a rien ! Le premier coin où il y a de la vie est le Relais du Pèlerin à environ un kilomètre en se dirigeant vers Étroubles. Le lieu est un peu austère de prime abord mais l’accueil est au top ! Biscuits apéro avec les bières, pizzas et autres prépara- tions bonnes et pas chères (et même moyen de négocier des douches dans l’hôtel pour les romanichel­s en camion). Bref autant dire qu’on en a vite fait notre quartier général et qu’au bout de quelques jours, on appelait les serveurs par leur prénom. Un seul point de vigilance tout de même : le restaurant est mitoyen avec une annexe de la douane italienne. Nos copains les serveurs nous ont d’ailleurs raconté que des imbéciles heureux avaient eu la douce idée de savourer des cigarettes à l’odeur un peu forte à quelques mètres de la porte de la « Guardia »... Cet affront leur aura valu une fouille en règle de leurs camions et une longue soirée de négociatio­ns se concluant par l’obligation de rester en Italie un minimum de trois jours ! Cette histoire nous a bien fait rigoler et on s’est dit qu’il y avait pire comme conditions que de devoir rester dans une station de ski déserte à prendre du bon temps. Finalement, il n’était pas à plaindre ces bougres…

Revenons à nos biscuits apéro et à nos bières salvatrice­s ! Une bonne roteuse s’accompagna­nt toujours d’un peu de lecture, nous sortons la carte topographi­que suisse du col du GrandSaint-Bernard et, ô miracle, elle déborde suffisamme­nt sur l’Italie pour avoir le domaine de Crévacol en ligne de mire ! C’est à ce momentlà que, définitive­ment, nous avons compris que nous n’avions fait qu’effleurer le potentiel du spot et que nous n’avions vu que la partie émergée du domaine…

En effet, ce fameux chemin maintes fois emprunté sans en voir le bout n’est autre que la route recouverte par l’étrange hydre paravalanc­he/tunnel. Pour être précis, ce n’est pas vraiment un chemin, c’est le toit du tunnel ! Et le truc qui va bien, c’est que le tunnel suit l’ensemble de la montagne sur laquelle est posée la station ! Regardez une carte ou Google Earth et vous vous rendrez compte que c’est un terrain de jeu d’environ 3 km de diamètre qui s’offre à vous ! Allez, comme on est sympas, on va vous aiguiller pour les principaux accès…

Le plus simple, mais finalement le moins précis, c’est de suivre la piste « Piccolo Alpino ». Aucun lien à imaginer avec un quelconque alcool local mais l’ivresse procurée par la descente à venir n’en sera pas moins forte... Après avoir contourné le mamelon nommé « Testa Bassa » et à partir du moment où le faux plat est passé, c’est simple, vous pouvez bifurquer quand vous voulez sur la gauche ! Quand il n’y a pas de traces, le meilleur ratio dénivelé/temps de retour, c’est de tout de suite décaler à gauche mais de ne pas trop s’éloigner de la piste au début. On est alors sur une grande pente ouverte, sans arbre mais sans trop de pente. Quand la piste amorce un virage plus prononcé sur la droite, c’est le moment pour tirer franchemen­t plus à gauche, dré dans la pente. Encore un petit passage sans arbre, si vous êtes sur la bonne voie en théorie assez raide et qui doit être parfois plaqué, puis vient la belle et pentue forêt de mélèzes dans laquelle il n’y a plus qu’à enchaîner jusqu’à s’en faire brûler les cuisses. Le paradis. Impossible de se perdre, vous croiserez forcément la route du tunnel ! Le seul risque est d’arriver dans une zone où on se retrouve sous la route ce qui peut imposer de brasser un peu pour remonter. Mais en étant un minimum vigilant, cet écueil est assez facile à éviter. Une fois sur le toit, il n’y a plus qu’à pousser dans une ambiance assez surréalist­e lorsqu’on entend et sent parfois le bruit et les vibrations des semiremorq­ues. Au début, on se prend un coup de flippe à chaque fois car cela fait un peu le bruit d’une coulée... Vous l’aurez compris, il suffit ensuite de répéter les descentes en décalant toujours un peu plus à gauche. À noter une belle ouverture avec une succession de paravalanc­hes digne des meilleurs films de ski pour peu que le manteau de neige soit suffisamme­nt épais !

Le revers de la médaille, c’est que plus on tire à gauche, plus la poussette sur la route du retour est longue car c’est un faux plat très mais alors vraiment très légèrement descendant et les fixations à débrayage sont les bienvenues pour améliorer le rendement... C’est simple, c’est la première fois que j’ai eu des courbature­s aux bras et aux épaules après une journée de ski !!! Si enfin vous ratez le toit (il faut vraiment le faire exprès !) ou si vous avez envie d’enchaîner les virages, il est possible de continuer la descente, le but étant de retomber un peu en dessous du hameau indiqué « Thoules » (point 1721) puis de trouver LE passage pour traverser le ruisseau (barrage) afin de rejoindre le chemin sur l’autre rive qui vous ramènera à Saint-Rhémy. Une fois arrivé à ce mignon petit village, deux solutions : soit vous avez laissé une voiture ou vous avez le numéro d’un Italien sympa motorisé, soit vous traversez le pont sur la droite à la sortie du village puis suivez le chemin/route forestière (et c’est reparti pour de la poussette !). Vous retombez alors au niveau du Relais du Pèlerin où en moins de 10 minutes vous trouverez une âme généreuse qui vous ramènera au parking de la station.

« ÊTRE LES SEULS À TRACER, ÇA CHANGEVRAI­MENT LA DONNE PAR RAPPORT À UN GRAND DOMAINE. »

Toute cette poussette, ça creuse ! Entre deux rotations, n’oubliez pas de recharger les batteries ! En effet, si le bas de la station ne dispose pas de commerces, il y a en revanche sur le domaine des restaurant­s qui valent le détour avec une nourriture bonne et abondante à des tarifs trèèèèès doux ! Le meilleur rapport qualité prix nous a semblé être le restau sur le replat entre l’arrivée du premier télésiège et le départ du second. Ambiance cafèt’/self-service mais fait maison et le digestif offert au moment de la (moyennemen­t) douloureus­e !

Pour un moment hors du temps, nous ne saurons que trop vous conseiller de pousser 200 m plus loin pour aller dans l’établissem­ent le plus proche du départ du télésiège 3 places. Bon de 20 ans en arrière et cuisine de la grandmère garantie !!! La panse bien remplie, il est temps de s’y remettre !

Nous avons pour le moment surtout parlé de la droite de la face par rapport aux télésièges mais sachez qu’il y a aussi de quoi s’amuser à gauche ! Lorsqu’il vient de neiger, ce côté reste en général fermé/non damé et il y a de belles variantes à faire autour de la piste noire « Merdeux ». Le retour est relativeme­nt évident également bien qu’il n’y ait pas le même garde-fou de ce côté ! L’inconvénie­nt des rides décrits jusqu’à maintenant, c’est qu’ils sont orientés sud/sud-est et que donc, ils transforme­nt vite. La parade lorsque tout est transfo (ou tracé mais pour ça il faudra quelques jours !), c’est de basculer dans la face nord ! À l’arrivée du deuxième tronçon, il suffit de partir tout droit et de contourner les filets par la gauche. Grand ski garanti ! Mais à vos risques et périls : si le début paraît débonnaire, il y a de la masse mobilisabl­e aux alentours et il y a ensuite de courts mais raides passages… Quoi qu’il en soit, c’est LE morceau de choix du spot. Belles combes, cadre magnifique et extrêmemen­t sauvage, finish dans les mélèzes dans une ambiance seul au monde : le rêve… avant une petite heure de poussette pour rentrer au bercail ! Bien que nous n’ayons pas eu le temps de tester la suite, le potentiel restant est encore immense puisqu’il est possible de remonter par les crêtes jusqu’à la Tête Crévacol (2 610 m) voire plus loin encore puis, de basculer quand bon vous semble dans une des combes nord avec le même type de retour sur le toit du tunnel ou bien carrément dans la face ouest en bas de laquelle une route forestière semble bien vouloir ramener par gravité au pied des pistes ! Vous l’aurez compris, Crévacol est un petit coin de paradis, un secret spot comme cela commence à se faire rare pour qui aime les grands espaces et les mélèzes, le tout dans un rythme à l’ancienne, hors du temps et où, pour une fois, le béton est l’allié du freerideur !

 ??  ?? Manu Ribera dans les variantes de "Merdeux"
L'arrivée dans St Rhémy.
Manu Ribera dans les variantes de "Merdeux" L'arrivée dans St Rhémy.
 ??  ?? Le retour sur le toit du tunnel, version blizzard.
Le retour sur le toit du tunnel, version blizzard.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Le retour sur le toit du tunnel, version beau temps, encore une particular­ité étonnante de cette petite station italienne.
Le retour sur le toit du tunnel, version beau temps, encore une particular­ité étonnante de cette petite station italienne.
 ??  ?? Manu Ribera regrette de ne pas
avoir pris son tuba.
La douane et le Relais du Pèlerin, en revenant de St Rhémy, un spot improbable...
Manu Ribera regrette de ne pas avoir pris son tuba. La douane et le Relais du Pèlerin, en revenant de St Rhémy, un spot improbable...
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France