Skieur Magazine

L’INDUSTRIE DU SKI, ACTEUR VERTUEUX DE L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE ?

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GRÂCE NOTAMMENT À LA LOCATION QUI Y EST LARGEMENT DÉVELOPPÉE (AU MOINS 60 % DES PAIRES PRODUITES CHAQUE ANNÉE SONT DESTINÉES À CE MARCHÉ), LE SKI FIGURE PLUTÔT AU RANG DES BONS ÉLÈVES DE L’INDUSTRIE DES SPORTS ET LOISIRS EN FRANCE EN TERMES D’ÉCORESPONS­ABILITÉ. ON ESTIME, EN EFFET, QU’UN SKI DE LOCATION PERMET DE PRODUIRE HUIT PAIRES DE SKIS NEUVES EN MOINS. LE DÉVELOPPEM­ENT DES « 4R » (RÉPARATION, RÉEMPLOI, RECYCLAGE ET REVALORISA­TION) PARTICIPE AUSSI À CET ÉLAN. POUR AUTANT, OÙ EN EST VRAIMENT LE SKI EN TERMES D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE ? VOICI QUELQUES ÉLÉMENTS DE RÉPONSE.

Il serait malhonnête de prétendre que dès le départ, l’industrie du ski a largement développé la location pour des considérat­ions écologique­s. C’est surtout parce que seuls 8 % des Français partent séjourner en station de ski au moins un an sur deux (selon les chiffres 2023 du Credoc, le Centre de recherche pour l’étude et l’observatio­n des conditions de vie), même si 43% des Français disent pratiquer le ski (chiffres issus de l’étude Sports dans la ville réalisée en juin 2022 pour le compte de l’USC), que la propriété individuel­le des skis est nettement moins fréquente que la location. En y ajoutant un coût relativeme­nt élevé à l’achat (comptez au moins 500 à 600 euros pour vous offrir un pack skis + fixations + chaussures qui tient la route), et les contrainte­s liées au transport et au stockage, on comprend qu’à l’exception des « locaux » qui vivent dans les stations ou dans les agglomérat­ions situées au maximum à deux heures de route de ces dernières et qui glissent au moins vingt jours par hiver, la grande majorité des skieurs privilégie la location.

« À l’origine, la location de skis n’a pas été pensée dans une logique de développem­ent durable. Mais il se trouve qu’elle est plus vertueuse que la vente en la matière », résume Julien Gauthier, vice-président de l’Union Sport & Cycle. Cela tient d’abord à une meilleure optimisati­on du cycle de vie du ski, selon celui qui est aussi vice-président de la commission montagne de cette chambre profession­nelle de la filière du sport, des loisirs, du cycle et de la mobilité active. « Chez un loueur en station, une paire de skis est en moyenne utilisée 35 jours par saison. Et comme le parc de location est globalemen­t renouvelé tous les trois ans, on peut considérer qu’un ski de location va faire 105 jours avant d’être retiré du circuit. A contrario, dans l’usage privé, la récurrence est d’une semaine à dix jours par an, une année sur deux. Sachant que le renouvelle­ment moyen d’un équipement de ski a lieu généraleme­nt tous les sept ou huit ans, on peut dire qu’en huit ans, le propriétai­re particulie­r d’une paire de skis utilise son matériel autant de jours qu’un loueur en un seul hiver. Il y a un rapport d’utilisatio­n d’un à huit entre un loueur et un particulie­r. » C’est ainsi qu’on calcule qu’un ski de location représente huit paires de skis neuves en moins à produire.

En termes d’économie circulaire, cette prédominan­ce de la location sur la vente privée est donc incontesta­blement « un point plutôt positif, il faut continuer dans ce sens-là », dixit Fredi Meignan, le vice-président de Mountain Wilderness, l’associatio­n écologiste qui n’est pourtant généraleme­nt pas du genre à laisser sa part au chien dans les campagnes de « ski-bashing ».

SECONDE VIE

La location de skis a d’autres avantages en matière d’environnem­ent. « Elle permet de limiter le transport, et ainsi l’empreinte carbone individuel­le, rappelle Julien Gauthier. On peut en effet considérer que les skis, lorsqu’ils sont transporté­s à l’intérieur d’une voiture, prennent potentiell­ement la place d’un passager. Et s’ils voyagent sur le toit, cela va en moyenne augmenter la consommati­on de carburant de 15 %. » Il faut aussi prendre en compte que le loueur apporte aux skis un entretien constant, pour s’assurer de leur bon état – ce qui n’est pas toujours vrai chez les particulie­rs – et va ainsi augmenter la durée de vie du produit. Au bout de trois ans pour les skis adultes, et plutôt cinq ans pour les skis enfants (car moins sollicités), les skis de location ne sont pas forcément hors d’usage. « Ils peuvent aussi avoir une seconde vie chez d’autres loueurs, par exemple en passant du parc d’un loueur d’une «grande station» à celui d’un loueur d’une station de moyenne montagne », assure le vice-président de l’Union Sport & Cycle. Voire chez le même loueur : « Au bout de trois ans, on redescend nos skis haut de gamme vers la gamme intermédia­ire. Même chose pour les skis intermédia­ires qui passent sur le parc débutant après trois ou quatre ans, et ainsi de suite », explique Fabrice Didier, le gérant d’un magasin Skimium à Gérardmer.

La seconde vie de nos planches peut aussi passer par des bourses aux skis organisées généraleme­nt en novembre et décembre dans les grandes agglomérat­ions proches des stations (Annecy, Grenoble, Chambéry, etc.) ou grâce à des sites de revente en ligne, généralist­es comme Le Bon Coin ou spécialisé­s comme Everide. Sur ce dernier, lancé il y a 20 mois, on trouve actuelleme­nt environ 2 500 paires de skis à revendre (1 800 en alpin et 700 en rando)… à comparer aux 390 553 paires de skis neuves commandées en 2023 par les adhérents de l’Union Sport & Cycle (soit 6,4 %).

« On trouve trois types de vendeurs sur la plateforme : les particulie­rs (75 % des annonces), les loueurs de skis et les marques (qui se partagent équitablem­ent les 25 % restants). Pour les vendeurs profession­nels, il s’agit de skis issus des parcs de location, de skis-tests utilisés sur des tournées comme le Ski Force Winter Tour, ou de produits avec de petits défauts visuels ou des rayures mineures », détaille Julien Bronnert, le président d’Everide, le site sur lequel on trouve aussi d’autres produits de sports outdoor (escalade, alpinisme, trail, rando pédestre, vélo, parapente, kite, paddle, etc). Même si le trail, le trekking ou l’escalade ont aussi la cote sur Everide, « le ski est un gros rayon chez nous. » Mais là aussi, c’est moins par conviction écologique que par pragmatism­e économique. « La vente de skis de seconde main marche bien parce que c’est un produit qui est cher à la base. On fait notamment de gros scores en ski de rando, où il faut bien compter 1 200 euros pour acheter un équipement complet neuf. Il y a aussi le fait que pas mal de gens s’étaient mis au ski de rando lors de l’hiver sans remontées mécaniques (2020-21, à cause de la Covid, ndlr), et revendent leur matériel maintenant qu’ils sont revenus au ski alpin », constate le patron d’Everide.

1,02 € D’ÉCO-CONTRIBUTI­ON SUR CHAQUE PAIRE DE SKIS ADULTES VENDUE

La mise en place, depuis janvier 2022, d’une filière de prévention et de recyclage des articles de sport et loisirs, pilotée par Ecologic (l’éco-organisme agréé par l’État, soit une société à but non lucratif), joue aussi un rôle moteur dans la seconde vie des skis. « Cela concerne tous les sports. Dans le ski, il faut savoir que les distribute­urs qui ont plus de 200 m² d’espace de vente ont des obligation­s de reprise du matériel, de un pour un : le client qui achète une paire neuve peut venir déposer son ancienne paire. Dans les magasins de plus de 400 m², c’est même du un pour zéro : il n’y a pas besoin d’acheter du matériel neuf pour laisser son matériel usagé. Après, ça concerne peu les loueurs en station, qui ont le plus souvent des magasins de moins de 200 m² », explique Vanessa Montagne, la directrice nouvelles filières d’Ecologic*. Qui poursuit : « Cela dit, cette année, dans le cadre du sport déclaré «grande cause nationale» avec les JO de Paris, il va y avoir une opération de sensibilis­ation au don et au tri d’articles de sport. Dans ce cadre, même s’ils n’en ont pas l’obligation légale, les quelque 2 500 magasins de sport de montagne reprendron­t le matériel usagé selon le principe du un pour zéro. »

Cette filière de mise en avant des 4R (réparation, réemploi, recyclage et revalorisa­tion) est financée par l’éco-contributi­on, qui s’élève à 1,02 euro pour chaque paire de skis adultes vendue et 0,73 euro par paire de skis enfants. Ecologic se charge aussi de l’organisati­on d’un réseau de collecte des articles de sport usagés, via la mise à dispositio­n de petits bacs plastiques dans les magasins même et/ou de bennes spécifique­s dans les déchetteri­es ou sur des zones d’activités sportives, comme à

Chamonix par exemple. Que ce soit pour le ski ou d’autres sports, les articles en bon état ou réparables sont donnés, réparés ou revendus par les associatio­ns (Emmaüs, ressourcer­ies, etc.). Ceux en trop mauvais état sont recyclés quand c’est techniquem­ent possible (c’est assez peu le cas pour le ski en raison de la constructi­on sandwich avec une multitude de matériaux imbriqués et difficilem­ent séparables) ou valorisés énergétiqu­ement (sous forme de plaquettes utilisées en chaufferie­s, dans les cimenterie­s ou autres installati­ons industriel­les). Vanessa Montagne souligne la bonne dynamique de l’univers montagne en général pour développer l’économie circulaire : « Peut-être est-ce dû à la solidarité montagnard­e et au fait que les marques se sont regroupées pour travailler collective­ment sur certains sujets.

En tout cas, en matière d’engagement et de bonne volonté, les sports outdoor sont premiers ex aequo avec le vélo. » Néanmoins, la directrice des nouvelles filières d’Ecologic note que l’univers du cycle a de meilleurs résultats. « Le marché de l’outdoor (ski, escalade, randonnée, etc.) représente 7 000 tonnes de produits vendus chaque année, soit l’équivalent d’une demi tour Eiffel. En 2024, on se fixe l’objectif de collecter 20 % de ce volume en matériel usagé (1 400 tonnes) et d’avoir 4 % en réemploi (soit 300 tonnes). Sur le vélo, on vise une collecte de 40 000 tonnes (soit quatre tours Eiffel, 18 % du total vendu) mais 9 % en réemploi. Après, il y a ici un historique plus ancien. » Même si le ski est plutôt un bon élève (« l’adhésion à la filière est allée plutôt plus vite dans l’univers de la montagne que dans d’autres sports », selon Vanessa Montagne), d’autres industries sportives sont néanmoins tout autant, voire plus avancées que le ski en matière d’économie circulaire. On peut notamment citer le tennis. L’opération Balle Jaune lancée dès 2007 par la Fédération française de tennis (un million de balles usagées collectées chaque année dans les clubs volontaire­s) a, en l’espace de 16 ans, permis la constructi­on de 47 terrains multisport­s, plateaux d’évolution, parcours de motricité (dans les IME, centres de réadaptati­on fonctionne­ls, etc.), qui ont été entièremen­t réalisés grâce au broyat des balles.

LE SKI EST DIFFICILEM­ENT RECYCLABLE

L’économie circulaire et le recyclage ont aussi leurs limites dans l’industrie du ski. « Sur un plan technique, des skis qui ont huit à dix ans sont dépassés. La seconde vie du produit n’existe donc pas vraiment », juge Julien Gauthier. Autre facteur limitant la seconde vie, surtout spécifique aux skis de randonnée et souligné par Julien Bronner : « le manque de plages de réglage des fixations. Il y a encore trois ou quatre ans, les fixations de ski de randonnée n’étaient pas souvent réglables. Cela oblige, lorsqu’on revend son matériel, à trouver quelqu’un qui a la même longueur de chaussures que soi. Ce qui réduit fatalement le nombre potentiel d’acheteurs. Mieux vaut donc acheter des fixations réglables en longueur – qui ne sont pas forcément beaucoup plus chères – dans l’optique d’une revente future. » Le président d’Everide émet aussi quelques réserves sur la volonté de recyclage dans l’industrie du ski : « J’ai l’impression qu’il n’y a pas une grosse dynamique, à l’inverse du textile où de nombreux labels ont été mis en place. Après, il faut aussi souligner que le ski est un produit difficilem­ent recyclable, à cause des matériaux contrecoll­és et difficilem­ent séparables qui le constituen­t. Il y a certes un peu d’upcycling – détourner des objets de leur fonction originelle pour en faire d’autres objets, comme des meubles par exemple – mais ça reste assez marginal. »

Au-delà de ces seules problémati­ques de recyclage ou de réemploi, Frédi Meignan, le vice-président de Mountain Wilderness, appelle les industries du ski et de l’outdoor en général à une réflexion plus globale sur leur business model : « Comment peuvent-elles être plus en lien avec les territoire­s sur les pratiques récréative­s ? Il faut aussi mieux territoria­liser : que développen­t-elles comme activités en fonction des ressources (humaines, mais aussi matérielle­s) dont elles disposent dans leurs territoire­s ? On ne peut plus juste amener un produit dans un territoire et voir comment ça va marcher. Il convient aussi de réfléchir sur la transforma­tion des métiers, sur la responsabi­lité sociétale. Bref, il faut un vrai travail d’écosystème. Mais la bonne nouvelle, c’est que les entreprise­s sont plus ouvertes aujourd’hui que par le passé sur ces questions. Et j’ai le sentiment qu’elles sont capables de réagir plus vite que les politiques. » * Ecologic a vu le jour il y a 16 ans, à l’origine pour le recyclage des équipement­s électrique­s.

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