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Portrait Neymar

Programmé pour réussir depuis son plus jeune âge, Neymar semble avoir atteint un nouveau statut dans le football mondial en permettant à son Barça de réaliser une remuntada historique contre le PSG. À tel point qu’aujourd’hui, la question n’est plus de sa

- PAR JAVIER PRIETO SANTOS, AVEC ANTOINE DONNARIEIX, WILLIAM PEREIRA, LÉO RUIZ ET LOUIS GENOT, AU BRÉSIL.

De son arrivée à Barcelone jusqu’à aujourd’hui, Neymar a beaucoup évolué. Longtemps dans l’ombre de Messi, le Brésilien est en train de devenir le nouveau leader du Barça.

Un grand n’importe quoi. Voilà ce que Luis Álvaro de Oliveira Ribeiro découvre lorsqu’il prend ses fonctions de président du club de Santos en 2009. Endetté, incapable de payer ses factures et englué dans la nostalgie du Roi Pelé, O Peixe baigne alors en pleine sinistrose. Pour en sortir, Ribeiro décide donc de faire table rase d’une politique frileuse et sans ambitions en filant les clés du camion à un jeune inconnu de 17 ans tout droit sorti du centre de formation: Neymar Jr. “À l’époque, l’entraîneur Vanderlei Luxemburgo ne voulait même pas entendre parler de lui, il disait que c’était une crevette. C’était n’importe quoi, donc je l’ai viré.” Ce licencieme­nt va très vite faire le bonheur de Santos et de YouTube, puisqu’il ne faut que quelques apparition­s à Neymar pour casser Internet et les reins de ses adversaire­s. Largement suffisant pour que Chelsea formule une offre de 30 millions d’euros aux Brésiliens pour s’attacher les services du mineur à la crête. Seulement voilà, Ribeiro n’est pas du style à se laisser dépouiller aussi facilement, d’autant qu’il veut étroitemen­t lier le business plan de son club à celui de sa pépite. Le 23 août 2010, Ribeiro invite donc Neymar Jr et son père, Neymar, à Vila Belmiro, le QG de Santos, pour leur expliquer qu’il vaut mieux relever le défi d’être prophète en son pays plutôt que d’être remplaçant en Premier League. “Ces négociatio­ns, je m’en souviendra­i toute ma vie, se marre aujourd’hui l’actuel joueur du Barça. Au milieu de la conversati­on, Ribeiro a éteint la lumière et a signalé une chaise vide au milieu de la pièce. ‘C’est celle de la grande idole nationale. Depuis la mort d’Ayrton Senna, elle est vide. Si tu restes à Santos et rejette l’offre des Anglais, je pense que tu pourras t’asseoir dessus.’

Puis, le téléphone a sonné: c’était Pelé! O Rei voulait me parler personnell­ement pour me demander de rester à Santos, au Brésil. Cette discussion a pesé dans ma décision finale et dans celle de mon père. Ça nous a convaincus: le projet Neymar était lancé.” Et force est de constater qu’il ne s’est jamais aussi bien porté qu’aujourd’hui.

“Nous sommes en train de créer un monstre”

Santos va alors orienter ses campagnes de communicat­ion autour de la figure de

Neymar et non sur l’institutio­n. Tout le monde est content, y compris Lula, le président du Brésil, qui félicite même Ribeiro pour avoir “refusé de brader un trésor national”.

À 18 ans à peine, Neymar la crevette est donc déjà sur orbite. Objet de toutes les attentions, et conscient de son potentiel, le joueur peine pourtant à garder les pieds sur terre et finit par dérailler le 19 septembre 2010, lors d’un match de championna­t contre l’Atlético Goianiense. Ce jour-là, Dorival, le coach de Santos, refuse que sa jeune star se charge de tirer un penalty, un exercice qui revient habituelle­ment à son coéquipier Marcel... Neymar pète un plomb, insulte son coach, ses adversaire­s et ses coéquipier­s, puis quitte le terrain sous les sifflets du public. À la fin du match, Simões, le

“Pelé voulait me parler personnell­ement pour me demander de rester à Santos, au Brésil. Cette discussion a pesé dans ma décision finale et dans celle de mon père.” Neymar

“Quand Dorival a été licencié à cause de moi, je n’ai pas arrêté de pleurer. Je demandais pardon à Dieu, toutes les heures, toutes les minutes.”minutes. Neymar

coach de Goianiense, est l’un des rares à critiquer ce comporteme­nt de gamin. “Nous sommes en train de créer un monstre.” Seulement voilà, le monstre est aussi un génie climatique, du genre à faire la pluie et le beau temps dans son club. Résultat, les dirigeants du Peixe décident de virer Dorival plutôt que de contrarier leleur poule aux oeufs d’or en lui infligeant une sanction disciplina­ire. “Quand Dorival a été licencié, je n’ai pas arrêté de pleurer, je n’arrivais pas à me défaire de ce sentiment de culpabilit­é, regrette aujourd’hui Neymar. Mon père était écoeuré. De retour à la maison, maman est même venue me voir pour me dire que le type qu’elle avait vu discuter avecav l’entraîneur n’était pas le fils qu’elle avait élevé. Ses mots m’ont transpercé l’âme. Je me sentais encore plus mal. J’ai passé des nuits horribles. Je demandais pardon à Dieu, toutes les heures, toutes les minutes. Si je n’avais pas eu mmes amis et ma famille, je ne serais plus là. Je suis convaincu que sans leur soutien, j’aurais abandonnéa le football.”

Quoi qu’il en soit, cet épisode marque un avant et un après dans la carrière de l’internatio­nal brésilien. C’est Adílson Batista, le remplaçant de Dorival, qui conseille alors au joueur de sse remettre en question pour ne pas bousiller son énorme potentiel: “Quand je l’al’ai côtoyé pour la première fois, j’ai eue la même

impression qu’avec Ronaldo et Ronaldinho, que j’ai aussi vu de près à leurs débuts. Comme eux, il était promis à de grandes choses, mais il fallait l’aider.” Neymar complète ce reboot de l’état d’esprit qui lui permet de s’approcher des temps de passage d’autres cracks brésiliens en 2011. À l’époque, Muricy Ramalho est nommé coach de Santos en remplaceme­nt de Batista. Et alors qu’il s’attend à devoir faire face à un jeune insolent, Ramalho constate que Neymar a plutôt un profil de premier de la classe. “Quand je suis arrivé au club, Neymar était déjà très profession­nel pour son jeune âge. Il s’entraînait très bien, était respectueu­x et à l’écoute. Personne n’avait décidé de faire de lui un leader, même pas lui. C’était tout simplement naturel, il démontrait sa différence sur le terrain, à l’entraîneme­nt et en match.” Cette montée en puissance, le joueur l’illustre en finale de la Copa Libertador­es, où il inscrit un but contre les Uruguayens de Peñarol. Boosté par ce premier titre majeur, le Brésilien marche alors littéralem­ent sur l’eau, comme lors de ce match de

“C’est lors de la finale du Mondial des clubs qu’il a senti que ses caractéris­tiques de jeu pouvaient correspond­re au style du Barça.” Andoni Zubizarret­a, ancien directeur sportif du Barça

championna­t contre Flamengo. Après s’être débarrassé de deux joueurs, Neymar repique dans l’axe à toute vitesse, puis s’amène le ballon sur le pied gauche avec la semelle droite. Un grand pont magique sur son adversaire et un exter’ dans les filets plus tard, ce golazo remporte le prix Puskás de l’année et permet au joueur de faire son entrée définitive dans la cour des très grands. “Seul un génie peut marquer un but comme ça, explique alors Carlos Alberto Parreira, l’entraîneur des champions du monde brésiliens en 1994.

Neymar est le plus grand talent du foot mondial, pas seulement du Brésil.”

Une baffe, de l’amour et des saucisses grillées

La finale de la Coupe du monde des clubs 2011, opposant le Santos de Neymar au Barça de Messi et Guardiola, apporte un premier élément de réponse sur le chemin qu’il reste à parcourir au Brésilien pour devenir un potentiel Ballon d’or. Ce jour-là, les Catalans ridiculise­nt l’équipe d’un Neymar transparen­t (4-0). Après la baffe reçue, ce dernier déclare même “avoir pris une leçon de football de la part du Barça”. Le clan Neymar n’a cependant pas tout perdu. Et pour cause: en coulisses, le père de Neymar Jr a négocié en sousmarin avec le FC Barcelone. “Avant cette finale, il avait déjà signé un accord qui lui garantissa­it dix millions d’euros sur la future signature de son fils au Barça. Lamentable.” S’il ne portait pas le paternel dans son coeur, Ribeiro, ancien président de Santos (il est décédé en 2016 d’un cancer, ndlr), conservait une certaine tendresse pour le fiston, peut- être parce que les deux hommes partageaie­nt la même passion pour les femmes. “Au début, il vivait dans une maison avec sa famille. Il aimait

organiser des soirées dans lesquelles on pouvait rencontrer des filles. Sa mère s’en est agacée. Du coup, il a acheté la maison juste à côté et il a planté une barrière d’arbres tout autour pour que ses parents ne voient pas ce qu’il se passe. Eux, ils faisaient semblant de ne pas voir, mas ils voyaient bien. Vous aviez une quantité incroyable de jeunes femmes lors des soirées organisées par Neymar. Un jour, il m’a invité et il était bien entouré d’une trentaine de filles de 17, 18 ou 20 ans. Elles étaient juste là pour lui. Et lui trônait au milieu comme un empereur.” Sa rencontre avec le Barça remet pourtant en cause cette douceur de vivre. Pour être considéré comme un grand joueur, le Brésilien prend conscience qu’il faut qu’il sorte de sa zone de confort pour se confronter aux meilleurs. “C’est lors de la finale du Mondial des clubs qu’il a senti que ses caractéris­tiques de jeu pouvaient correspond­re au style du Barça. Dès que nous avons commencé à parler ensemble, il s’est tout de suite mis en tête qu’il allait signer chez nous, c’était là où il voulait aller”, indique l’ancien directeur sportif du Barça, Andoni Zubizarret­a.

“Quand il a débarqué à Barcelone, il a trop respecté Messi du fait de son statut de meilleur joueur du monde, et se concentrai­t uniquement sur le fait de lui délivrer des passes décisives.” Ramalho

Le transfert définitif se fait finalement en 2013. Au plus grand dam de Johan Cruyff, l’éminence grise du club, qui craint que la venue du Brésilien sème la zizanie dans un vestiaire ou Messi règne déjà en maître: “Avoir deux coqs dans une bassecour, ce n’est jamais bon”, déclare alors la légende batave. “Nous l’avons recruté pour qu’il joue avec Messi, pas pour qu’il lui succède, se défend Zubi. Nous n’avons jamais pensé que son recrutemen­t pouvait perturber la dynamique du groupe. Il avait déjà beaucoup d’expérience du haut niveau, et c’était un joueur très intelligen­t pour le coup.” La preuve: lorsqu’il débarque en Catalogne, le Brésilien fait profil bas. Alors qu’il était la star de Santos, Neymar se rase la crête et revêt très vite le costume de lieutenant de Messi: “Messi est le numéro 1 indiscutab­le et je suis là pour l’aider.” Les deux évoluent ensemble pour la première fois lors du trophée Gamper, le tournoi estival organisé par le FC Barcelone. Ce soir-là, le Barça atomise Santos 8-0. Face à ses anciens coéquipier­s, Neymar n’en rajoute pas et

cherche constammen­t à faire briller le maître des lieux comme pour mieux lui prouver son allégeance. “Lors de sa première année européenne, il a cessé de faire ce qu’il fait de mieux, à savoir provoquer, dribbler beaucoup et marquer des buts. Quand il a débarqué à Barcelone, il a trop respecté Messi du fait de son statut de meilleur joueur du monde, et il se concentrai­t uniquement sur le fait de lui délivrer des passes décisives”, regrette Ramalho. Il faut l’interventi­on de la Pulga herself pour que Neymar se débarrasse de son complexe d’infériorit­é

et desserre enfin son frein à main. “À ses débuts, Leo était aussi dans l’ombre de Ronaldinho, mais ce dernier a toujours fait en sorte qu’il se sente à l’aise, raconte une

source proche du vestiaire blaugrana. Quand Neymar a débarqué, Messi s’est un peu reconnu en lui, et il s’est dit que la meilleure manière de payer sa dette envers Ronaldinho, c’était de faire en sorte que Neymar se sente à son tour à l’aise avec lui.” Pour ce, le

vestiaire blaugrana multiplie même des barbecues chez Javier Mascherano, afin que Neymar puisse tisser des relations de confiance plus facilement avec Suárez et Messi. C’est donc devant des saucisses grillées que la MSN va petit à petit se consolider. “C’est rare qu’un Argentin, un Uruguayen et un Brésilien s’entendent aussi bien”, sourit aujourd’hui Neymar.

La remuntada, symbole du passage de témoin?

Plus complet, plus musclé et plus mature depuis ses débuts avec le Barça, Neymar est aussi le seul rayon d’espoir d’un football brésilien traumatisé par l’Allemagne lors de “son” Mondial 2014. “Il n’y a pas beaucoup de cracks dans la génération, mais au moins, on a Neymar sur qui on peut compter pour permettre au football brésilien de garder le sourire”, explique ainsi Ronaldo Fenomeno. Il faut dire qu’au contraire de Messi, le numéro 11 a toujours brillé avec sa sélection. En 2016, c’est même avec le brassard de capitaine et des responsabi­lités plein les épaules qu’il remporte avec la

Seleção la médaille d’or des JO de Rio, le seul titre qu’il manquait au Brésil. Considéré depuis comme le héros d’une nation en perte de vitesse sur l’échiquier du football internatio­nal, Neymar est aussi devenu une idole pour le Camp Nou grâce à son incroyable performanc­e lors de la

remuntada contre le PSG. Une soirée où beaucoup ont cru entraperce­voir le futur. Un futur dans lequel Messi s’effacera des matchs pour confier la responsabi­lité des penaltys, des coups francs et des passes vraiment décisives au Brésilien.

Un futur, aussi, où le Ballon d’or ne sera pas

uniquement l’affaire de la Pulga et de CR7. “Au début de sa carrière, on pouvait lancer des comparatif­s à savoir s’il allait devenir aussi fort qu’untel ou untel. Maintenant, ce sont les jeunes joueurs brésiliens qui sont comparés à Neymar, estime Sonny Anderson, l’ancien attaquant du Barça et du Brésil, aujourd’hui consultant chez beIN Sport. Neymar, aujourd’hui, il se trouve dans la catégorie des grands joueurs: Romario, Rivaldo, Ronaldo, Ronaldinho...”

Désormais prophète en son pays, Neymar pourrait servir de véritable trait d’union entre le Brésil triomphal d’autrefois et celui qui aspire toujours à renouer avec ce

Joga Bonito tant fantasmé de l’autre côté

de l’Atlantique. “Le Brésil doit absolument revenir à ses racines, en pratiquant un foot plein de joie de vivre et de fantaisie, estime

Carlos Alberto Parreira. Neymar représente ce football par excellence. J’ai bon espoir que son exemple puisse faire des émules dans les centres de formation pour qu’on privilégie le talent et la technique et pas seulement le . physique et la tactique.” En ce sens, le futur est plus que jamais entre ses pieds.

“Neymar, aujourd’hui, il se trouve dans la catégorie des grands joueurs: Romario, Rivaldo, Ronaldo, Ronaldinho…” Sonny Anderson, ancien attaquant du Barça et du Brésil

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 ??  ?? Crête et Santos
Crête et Santos
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 ??  ?? Avec Messi, son futur copain. Petits secrets avec Ronaldinho.
Avec Messi, son futur copain. Petits secrets avec Ronaldinho.
 ??  ?? À Santos, Neymar avait la banane.
À Santos, Neymar avait la banane.
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 ??  ?? Avec Messi, son nouveau copain. So Foot Club
Avec Messi, son nouveau copain. So Foot Club
 ??  ?? Le pénalty de la remontada face au PSG
Le pénalty de la remontada face au PSG

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