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Du 10 de Pelé au 99 de Cassano: que nous racontent les numéros floqués sur les maillots des joueurs?

- PAR FLAVIEN BORIES ET ADRIEN CANDAU. PHOTOS: PANORAMIC / DR

Mon numéro préféré était le 10 parce qu’il me semblait que c’était le nombril du monde.” Rachid Mekhloufi a beau avoir raccroché les crampons il y a 47 ans, c'est toujours avec autant de nostalgie que l'ancien de Saint-Étienne parle de son précieux numéro 10. Le 10. Un numéro mythique, qui a été porté par les deux plus grands joueurs de l'histoire du football: Pelé et Diego Maradona. Alors, forcément, le 10 a fait et fait toujours rêver. Michel Platini l'a eu, Zinédine Zidane l'a eu, Roberto Baggio l'a eu, Juan Román Riquelme l'a eu, Wesley Sneijder l'a eu. Et quel que soit le niveau de compétitio­n, le numéro 10 est scruté, car considéré comme l'artiste de l'équipe: “

Quand j’étais petit, tout le monde voulait porter le numéro 10. Il était considéré comme la star de l’équipe”,

se remémore le Dijonnais Arnold Bouka Moutou. Or, il s'agit là d'un lien de cause à effet: pendant longtemps, les numéros de maillot étaient répartis dans l'ordre selon la place sur le terrain: 1 pour le gardien, 2-3-4- 5 pour les défenseurs, 6-7-8 pour les milieux, 9-10-11 pour les attaquants, le 10 étant le meneur de jeu placé au milieu. Logique, donc, que ce 10 ait été associé aux éléments les plus techniques, le meneur étant le joueur par excellence capable de dicter le rythme et de briser les équilibres. De 1 à 11 d’un côté, de 12 à 22 de l’autre Il fut pourtant un temps où les joueurs ne portaient pas de numéro dans le dos. Avant les années 1930, par exemple, tous les joueurs endossaien­t le même maillot, sans numéro. Pour les repérer de loin, il fallait plisser les yeux et bien connaître leur visage. D'où, parfois, des erreurs dans les almanachs quant à l'identité des buteurs de l'époque. Le premier match connu dans lequel des numéros ont été arborés dans le dos est une finale de FA Cup entre Everton et Manchester City, le 23 avril 1933. Avec une petite particular­ité, néanmoins: les joueurs d'Everton portent les numéros allant de 1 à 11, tandis que ceux de City arborent les numéros allant de 12 à 22. Everton gagne 3-0 avec des buts des numéros 8, 9 et 11. En France, les numéros deviennent obligatoir­es lors de la saison 1948-1949, tandis que la FIFA les impose à partir de la Coupe du monde 1950. Comme les équipes ne comptaient que 14 à 15 éléments, les 11 joueurs qui débutaient arboraient les 11 premiers numéros, les remplaçant­s prenaient le reste. C'est pourquoi un joueur pouvait porter un numéro différent d'un match à l'autre. Ce n'est que dans les années 1960 que les joueurs vont petit à petit adopter leur propre numéro de maillot. Le numéro n'est ainsi plus lié à un poste comme auparavant, mais il est attribué à un joueur, qui peut en être le détenteur exclusif, quel que soit son rôle sur le terrain. “En 1969, l’Ajax est l’un des premiers clubs qui décide d’attribuer des numéros à ses joueurs pour une saison entière”, explique l'historien du football Pierre Lanfranchi. “Avec Cruyff et son numéro 14 émerge l’idée qu’un numéro est lié à un joueur, le représente même, rebondit l'historien Paul Dietschy. On s’éloigne d’un football ouvrier, où chaque joueur était

“Avec Cruyff et son numéro 14 émerge l’idée qu’un numéro est lié à un joueur, le représente même.” Paul Dietschy, historien

comme sur une chaîne de montage, chaque numéro, de 1 à 11, représenta­nt sa fonction et son rôle au sein du collectif.”

La hype du numéro 7

Dès lors, chaque joueur va embrasser un numéro. Avec les grandes histoires qui vont avec. À Manchester United, par exemple, George Best va magnifier le 7. Ce numéro va par la suite devenir mythique chez les Red Devils, en étant porté par des monstres comme Bryan Robson, Éric Cantona, David Beckham et Cristiano Ronaldo. Cela a même atteint

une dimension superstiti­euse. “C’est le joueur qui fait le numéro et pas le numéro qui fait le joueur, assure l'ancien joueur

et entraîneur Rolland Courbis. Moi, par exemple, j’ai toujours eu un problème avec le numéro 7. Parce qu’à 7 ans, le 7 juillet, j’ai eu un grave accident de vélo. Je n’aurais jamais pu le porter.” Le numéro 9, quant à lui, s'impose comme celui des buteurs. Des bombers. Des renards des surfaces. Marco Van Basten, Ronaldo, Van Nistelrooy… “Les

vrais buteurs portent le 9, comme Suárez, Higuaín, Cavani ou Lewandowsk­i. Le 9, c’est l’attaquant, celui qui va marquer des buts” assure Sonny Anderson, ancien 9 de l'Olympique lyonnais.

Mais l'évolution du football a tendance à avoir une vraie influence dans le choix des numéros. Selon l'ancien joueur de Bordeaux et du Real Madrid Julien Faubert, il y a de moins en moins de buteurs “à l’ancienne”, comme l'étaient Filippo Inzaghi ou David Trezeguet. D'où une récente baisse d'engouement des footballeu­rs pour ce numéro: “Je pense que

le 9 est ‘old school'. Dans l’esprit des gens et des joueurs, il a perdu de l’importance. D’ailleurs, beaucoup de grands joueurs de la nouvelle génération ne le portent plus.” Une nouvelle génération qui s'identifie aux stars actuelles. Le style de joueur de ces dernières années est d'ailleurs plutôt symbolisé par le numéro 7. À savoir l'ailier dribbleur et buteur. C'est le 7 de Franck Ribéry et, bien sûr, de Cristiano Ronaldo.

Umtiti comme Jordan

De nos jours, le numéro est devenu une véritable carte d'identité d'un joueur. Ceci a notamment été rendu possible par l'apparition, à la fin des années 1990, de numérotati­ons de maillots loufoques. Ainsi, tout le monde se souvient du 1+8 porté par Iván Zamorano à l'Inter, car pendant l'été 1998, son coéquipier Ronaldo avait demandé à récupérer son 9. On peut également citer le 0 porté par le Marocain Hicham Zerouali, lorsqu'il évoluait dans le club écossais d'Aberdeen, le 69 de Bixente Lizarazu au Bayern Munich, le 88 de Gianluigi Buffon à Parme, le 99 d'Antonio Cassano ou encore le 23 de Samuel Umtiti au FC Barcelone, qui, en bon fan de NBA,

“Le 9 est old school. Dans l’esprit des gens et des joueurs, il a perdu de l’importance. D’ailleurs, beaucoup de grands joueurs de la nouvelle génération ne le portent plus.” Julien Faubert, ancien de Bordeaux et du Real Madrid

“Un avant-centre qui va choisir le numéro 10, c’est un joueur attiré par le but, mais qui veut être le numéro 10.” Sonny Anderson

a voulu endosser ce numéro qui était celui de son idole, Michael Jordan. “L’objectif de tout cela, c’est d’utiliser le numéro pour se

différenci­er des autres”, relève l'enseignant en marketing sportif Michel Desbordes. La numérotati­on des maillots est devenue un argument marketing et un véritable outil de communicat­ion. L'exemple le plus parlant est le fameux “CR7” de Cristiano Ronaldo, qui, en utilisant ses initiales suivies de son 7 fétiche, a créé sa marque qui vend entre autres des sousvêteme­nts, des chaussures, des jeans.... “Les clubs et les joueurs ont compris que les attributs d’une marque, c’est d’être court, distinctif et marquant, et les numéros peuvent être exploités pour remplir ces critères. Par exemple, dans le cas de Cristiano Ronaldo, il a très bien utilisé son numéro pour se différenci­er de Ronaldo, le Brésilien”, poursuit Michel Desbordes.

Outre le côté marketing, le numéro peut également donner des indication­s purement sportives sur un joueur. Renseigner sur son rôle, son caractère, son statut. Il peut même, parfois, révéler ses préférence­s tactiques: sa façon de se positionne­r et d'évoluer sur le terrain. “Un avant-centre qui va choisir le numéro 10, c’est un joueur attiré par le but, mais qui veut tout de même être le numéro 10, explique Sonny

Anderson. Ces joueurs ne se contentent pas de rester dans la surface adverse, ils aiment

décrocher et participer au jeu.” C'est ainsi que Zlatan Ibrahimovi­ć au Paris SaintGerma­in, Karim Benzema à Lyon et en équipe de France, Wayne Rooney à Manchester se sont tous retrouvés avec le numéro 10 alors qu'ils seraient plutôt, à en croire leurs statistiqu­es, des 9. Parce qu'aujourd'hui, un numéro de maillot est bien plus qu'un simple chiffre floqué dans le dos. Comme le confirme Rolland Courbis. “Un numéro, c’est quelque chose d’important, pas seulement numériquem­ent. p. C’est aussi un compagnon de route, parfois our toute une vie.”

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Michel Platini au Mondial 86.
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Johan Cruyff
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Pelé, finale du Mondial 70.

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