Dossier AC Milan
L’AC Milan a changé de mains. Cet été, son nouveau propriétaire chinois a lancé un projet comme on le ferait dans FIFA, avec 200 millions d’euros dépensés sur le mercato pour se constituer un onze de départ en quasi-totalité. Après de premiers bons résult
Tombé dans l'anonymat ces dernières saisons, l'AC Milan a déboursé près de 200 millions d'euros pour retaper son équipe.
Le 13 avril dernier, Silvio Berlusconi tire sa révérence, après plus de 30 ans à la tête de l’AC Milan. Bilan: 29 trophées et, selon ses dires, un milliard d’euros dépensés. Nostalgiques, les tifosi rossoneri sont aussi soulagés. Dans les faits, Il Diavolo n’a plus remporté le Scudetto depuis 2011, et galère en championnat depuis le départ, à l’intersaison suivante, de ses cadres emblématiques. Passer de Nesta à Rami, d’Inzaghi à Ménez, de Seedorf à Poli, c’est dur. Loin du standing historique de ce que le football compte parmi ses institutions les plus respectées et titrées, le Milan est devenu un club moyen, marqué par l’instabilité à tous les niveaux, entre renouvellements d’effectifs foireux et cumul d’entraîneurs. Silvio ne pouvait plus rivaliser sur le marché des transferts, ni ramener son Milan au premier plan. Après avoir tenté un dernier mercato ambitieux en 2015, sans succès, il s’est donc décidé à vendre. De multiples et très longues négociations est arrivé un nouveau boss, l’homme d’affaires chinois Yonghong Li, à la tête du nébuleux “Rossoneri Sport Investment Lux”. Un type capable de réunir des centaines de millions d’euros – de 520 à 820 selon les sources – afin de racheter et renflouer le club.
Pour mettre fin à la lose et au mécontentement des tifosi, pour marquer une rupture avec ses prédécesseurs et lancer son projet, Li a en effet usé du mercato. Pour un peu moins qu’un
“Abramovitch a dépensé un milliard et a mis presque 10 ans pour gagner la Ligue des champions avec Chelsea.” Pierre Rondeau, économiste du football
Neymar, il s’est offert une équipe quasicomplète. Près de 200 millions pour Leonardo Bonucci (42 M€), André Silva ( 38), Andrea Conti (25), Hakan Çalhanoğlu (22), Ricardo Rodríguez (18), Mateo Musacchio (18), Lucas Biglia (17), Franck Kessié (8), Nikola Kalinić ( 5) et Fabio Borini, hors bonus et rachats futurs, obligatoires pour les trois derniers cités (à 20 M€ et 6 pour l’ancien Romain). Un joli lot, savant mélange de joueurs expérimentés sur la scène italienne et/ ou européenne et de jeunes à l’avenir prometteur. Un ensemble pertinent, qui semble répondre aux besoins du coach, Vincenzo Montella. Une réussite surtout, au vu des premiers pas de cette nouvelle équipe. Le Milan a commencé par impressionner en giflant le Bayern en amical cet été (4-0), s’est ensuite qualifié sans forcer pour la phase de poules de Ligue Europa avec des succès sur Craiova ( 3-0 au cumul) et Shkëndija ( 7-0), avant de s’imposer lors de ses deux premières rencontres de Serie A contre Crotone ( 3-0) et Cagliari (2-1). À chaque fois, grâce à l’apport de ses recrues. Les bases sont posées, l’objectif Ligue des champions clairement avancé. Reste à savoir si cela fonctionnera contre des adversaires plus relevés... et si la nouvelle présidence tiendra sur la durée.
Plutôt Chelsea ou Málaga?
Car la tendance “nouveaux riches” et mercatos XXL souffre d’un bilan mitigé. Si les gros chèques pour se payer des effectifs s’accompagnent généralement de résultats immédiats sur un championnat, pour les pérenniser et aller encore plus loin, c’est
une autre paire de manches. “Abramovitch a dépensé un milliard et a mis presque 10 ans pour gagner la Ligue des champions avec Chelsea, le PSG en 5 ans plus de 900 millions, et n’a toujours pas dépassé les quarts. Sans parler de Manchester City. Il faut du temps pour s’affirmer sportivement, et pour le faire, il faut de l’argent”, estime Pierre Rondeau, économiste spécialisé dans le football. Pour lui, la première chose importante dans un gros projet, “c’est la patience, on
“Tout dépend des hommes qui suivent le projet. Il faut qu’ils y adhèrent, qu’ils le comprennent et qu’ils sachent qui investit.” Benoît Angbwa, ancien de l’Anzhi
n’est pas dans un jeu vidéo: on ne peut pas prendre un club et lui faire gagner la Ligue
des champions en trois ans”. Les caprices de milliardaires ne font donc pas long feu, de même que les buts lucratifs immédiats ou les motivations annexes. Voilà qui pourrait expliquer l’échec Al Thani. Le proprio de Málaga s’est payé de sacrés joueurs à travers deux-trois campagnes mercato – Toulalan, Demichelis, Cazorla, Joaquin, Isco –, a obtenu de bons résultats en Liga et un joli parcours de LdC… mais a décidé de stopper brutalement ses investissements. “Au vrai, personne ne sait, personne ne connaît les raisons qui l’ont
poussé à arrêter d’injecter de l’argent”, assure l’agent Michael Manuello, très proche des anciens dirigeants du club avec qui il avait collaboré pour son client Jérémy Toulalan. Al Thani a toujours fait mieux que son homologue russe de l’Anzhi Makhachkala, cela dit. Suleyman Kerimov, de son nom, n’a même pas eu le temps de fréquenter l’Europe qui compte. L’oligarque a vendu en 2013 les starlettes qu’il s’était payées quelques années, voire quelques mois auparavant. Une volte-face incroyable, qui n’était pas motivée par des pertes financières ou des soucis personnels, comme on a pu le lire. “Il y a eu des intérêts particuliers qui ont pollué le projet”, explique Benoît Angbwa, qui a fréquenté le club par deux fois, et aidé son patron à faire
venir la grande star de son entreprise,
Samuel Eto’o. “Le projet sportif était bien. Kerimov avait refait le stade, il prenait soin des joueurs… de son point de vue, tout était bien. Des gens lui ont fait croire qu’en mettant beaucoup d’argent, ça allait fonctionner, alors que ça ne dépend pas que de ça. Quand Suleyman s’en est rendu compte, il a pris du recul et a décidé de partir sur autre chose”, détaille-t-il. Comprendre par là que Kerimov s’est mal entouré, et quand il s’est rendu compte qu’on le flouait, a préféré oublier les achats princiers. Avec moins de succès que le Monaco de son compatriote Rybolovlev, champion de France après un changement de stratégie finalement bienheureux, puisque l’Anzhi est descendu en D2 dans la foulée.
AC Milan, all in sur le business plan
C’est bien là que l’on entrevoit une autre condition au succès sur la durée. Outre la capacité du proprio à déverser du pognon dès que nécessaire, il faut un business
plan solide et des hommes fiables pour le porter. De ce point de vue-là, le Milan semble avoir tout bon. L’ambitieux projet est en effet mené par Marco Fassone et Massimiliano Mirabelli, les deux grands bonhommes de l’organigramme du nouveau Milan. Le premier a succédé à
Galliani au titre d’administrateur délégué, le second à Maiorino comme directeur sportif. Tous deux se sont fréquentés à l’Inter, ont de la bouteille, et ont prouvé leur valeur cet été, en premier lieu en parvenant à convaincre le jeune portier Gianluigi Donnarumma de prolonger. “Tout dépend des hommes qui suivent le projet, poursuit Angbwa. Il faut qu’ils y adhèrent, qu’ils le comprennent et qu’ils sachent qui investit et d’où ça vient.” Les dirigeants milanais ont cette conviction de leur côté: on s’en est rendu compte quand Fassone a remis à sa place de manière très détaillée le président de la Roma James Pallotta, qui se demandait d’où venait tout cet argent.
Reste que l’intervention du Romain est symptomatique de la défiance à l’encontre du nouveau Milan, et que la réponse de Fassone n’a pas été suffisante pour écarter tous les doutes, essentiellement du point “Le gouvernement chinois ne veut pas de dérives, ne veut pas que certains cachent de l’argent à l’étranger et préparent leur départ.” Jean-Joseph Boillot, économiste de vue financier. Les questions fusent, beaucoup s’affolent. Mais à Casa Milan, on reste confiant. On est persuadé que le
business plan convaincra à la fois l’UEFA et la Chine. C’est un “tout pour le tout” en apparence risqué, mais les spécialistes s’entendent pour dire qu’il devrait marcher. D’un côté, l’UEFA lâche du lest pour son fair-play financier et pourrait bien donner le feu vert. D’un autre, contrairement aux dernières annonces et aux constats alarmants, la Chine n’est pas totalement fermée. “Le gouvernement central ne veut pas de dérives, ne veut pas que certains cachent de l’argent à l’étranger et préparent leur départ. Mais ça ne veut pas dire qu’il n’y aura plus d’investissements. Si cela s’intègre bien dans la politique d’influence et de développement des marques locales, il ne devrait pas y avoir de problème”, témoigne Jean-Joseph Boillot, économiste spécialiste de l’Asie. S’il est soumis à conditions, le plan de ce
Milan made in China paraît bien huilé. Et paré à toute éventualité: au pire, Fassone assure avoir un plan B. Il se sait exposé aux coups du sort, retards à l’allumage ou défaites sur les prés. C’est à l’abnégation qu’on verra si son Milan tient sur la durée. Et on en revient à l’essentiel. “Dans tous les cas, il faut de la patience, un projet prend du
temps”, conclut Angbwa. Qui, pour avoir fréquenté un milliardaire de près, sait bien que le temps ne peut être acheté.