So Foot Club

LYON-DUCHÈRE FOOTBALL SOCIAL CLUB

À Lyon, dans l’ombre de l’ogre que représente l’Olympique lyonnais, un autre club travaille dur. Perché sur la colline du neuvième arrondisse­ment de la ville, Lyon-Duchère charbonne depuis quelques années et rêve désormais de Ligue 2. Mais l’enjeu est bie

- PAR KEVIN CHARNAY ET GAD MESSIKA, À LYON. PHOTOS: BASTIEN LEMIRE

Au fond du bus 66 qui mène au quartier de La Duchère, dans le 9e arrondisse­ment de Lyon, un jeune homme est très impatient d’arriver. Agacé par le chauffeur qui passe trop de temps, selon lui, à saluer ses amis du quartier à chaque feu rouge, le jeune homme lâche un “Oh! Bouge-toi là!” Après quelques échanges de noms d’oiseaux, il pose son casque sur les oreilles, sort tranquille­ment à l’arrêt Duchère-Piscine, et s’éloigne en trottinett­e. Quelques mètres plus loin, au sommet du plateau, les quelques employés de bureau du club Lyon-Duchère commencent tranquille­ment leur journée de travail, dans leurs modestes locaux jouxtés à la fameuse piscine du quartier. “Il y a quelques années, pour répondre à de nombreuses incivilité­s envers les chauffeurs de bus du quartier, on a organisé un match avec eux pour permettre aux jeunes de les rencontrer dans un autre contexte. C’est devenu un rendez-vous annuel”, raconte Jonathan Lessig, le manager général du club. Une action sociale parmi tant d’autres, qui définit parfaiteme­nt le leitmotiv d’un club qui brille également sur le plan sportif: “Faire de l’excellence en faisant du social.” Cap vers la Ligue 2 Septième à quatre points de la Ligue 2 pour sa première saison en National, Lyon-Duchère a manqué la montée et une découverte du monde profession­nel de pas grand- chose. Pas grave, tout le monde au club est persuadé que c’est pour bientôt.

“L’objectif, c’est de monter en Ligue 2 dans les deux ou trois saisons prochaines. C’est notre

place maintenant”, assène fièrement le président Mohamed Tria, pendant que le coach Karim Mokkedem “pense à la Ligue 2 tous les jours, car (il) sent que La Duchère

peut passer un cap”. Un niveau que le club a déjà touché du doigt au milieu des années 1990 avant de chuter lourdement pour des problèmes administra­tifs. À cette époque, les “mercenaire­s” ont tous fui le navire. Mais cette fois- ci, tout semble différent tant le travail de fond est incomparab­le. Par exemple, cette saison, le club est également allé en huitièmes de finale de Gambardell­a. Un virage à 180 degrés opéré depuis 2008 et l’arrivée du nouveau président, leader charismati­que du club lyonnais.

Il y a neuf ans, quand Mohamed Tria reprend le club, Lyon-Duchère repose seulement sur une équipe fanion totalement déconnecté­e du quartier. “Il y avait une vitrine et rien d’autre, juge sévèrement Tria, qui fut vice-président de Richard Benamou, son prédécesse­ur, et enfant du quartier. Je me suis dit, quand on est à La Duchère, on ne peut pas juste être

un club de foot.” La troisième colline de Lyon, surnommée “La Petite Jérusalem” – cinq monuments de culte y sont installés, dont une mosquée, une église et une synagogue – est un quartier sensible, classé en “zone de sécurité prioritair­e” par le ministère de l’Intérieur, marqué par le chômage et les émeutes de 1997. La Duchère est une banlieue à la fois

“Je me suis dit, quand on est à La Duchère, on ne peut pas juste être un club de foot.” Mohamed Tria

dans Lyon et coupée du coeur de la ville. Même si La Duch’ se transforme peu à peu depuis quelques années – de nombreuses barres d’immeubles ont été démolies, les logements rénovés et l’accessibil­ité améliorée – Mohamed Tria et son équipe veulent aider le quartier à avancer dans la bonne direction. Première étape: remonter des équipes de jeunes, totalement laissées à l’abandon pour remettre le club au centre du quartier.

L’importance des jeunes

En neuf ans, le club passe de six à vingthuit équipes, de trois à trente éducateurs et obtient le label “élite” de la FFF, au niveau de la formation. Pour tous les gamins de l’école de foot, Lyon-Duchère met en place des actions sociales qui dépassent largement le cadre du football. Jonathan Lessig, manager général du club, est en charge de l’applicatio­n de toutes ces actions sociales. Il reçoit dans un modeste bureau, où trône une carte du quartier, pour parler de son rôle. Le sien est bien différent des autres managers des clubs de National. En effet, il met en place des projets sportifs et culturels, comme un accompagne­ment personnali­sé sur les habitudes alimentair­es, des visites de musées ou bien des jeux de pistes dans Lyon pour les habituer à se déplacer et à sortir de leur quartier quelque peu enclavé. “Des parents nous demandent parfois pourquoi on fait tout ça, ils voulaient juste inscrire leur gamin au foot. Mais c’est important pour nous”, s’amuse Jonathan Lessig.

Pour les plus “vieux” (entre 16 et 20 ans), les choses vont encore plus loin. Depuis cinq ans, chaque année, un gros job-dating est organisé au mois de juin. Le club contacte des entreprise­s, principale­ment parmi ses partenaire­s dans la région, et les présente aux jeunes du club. “Les entreprise­s viennent avec 300 offres d’emploi, cette année il y a eu 286 entretiens, se félicite

le manager général. Ça permet aux gamins d’un quartier difficile d’avoir accès à ces entretiens sans passer par la case CV et lettre de motivation où ils ne passent pas à 90 % du temps.” Voilà le quotidien d’un club pas comme les autres, qui consacre un tiers de son budget aux actions sociales. “Alors qu’on est déjà un des plus petits budgets de National, on peut trouver ça pénalisant, mais on veut absolument avancer de cette manière. Quitte à faire payer leurs licences aux joueurs pros de l’équipe première”, tient à appuyer Mohamed Tria.

Le premier interlocut­eur social

“Aujourd’hui, le problème de beaucoup d’associatio­ns avec les jeunes de banlieue, c’est qu’elles n’arrivent plus à les intéresser. Nous,

“Il n’y a pas un jour où on ne vous parle pas d’argent. La dernière fois, un type est venu me voir pour que le club lui prête 40 000 euros pour qu’il s’achète une baraque.” Mohamed Tria

on a la chance d’avoir le football”, pose le président. Du coup, au sein du quartier de La Duchère, le club est au centre de tout. Abdel, dirigeant, bras droit et conseiller du président, habite dans la cité depuis plus de quarante ans et cite le quartier et le terrain de la Sauvegarde comme exemple. “C’est le centre historique du club, expliquet-il. Pour les matchs contre Saint-Étienne et Évian la saison dernière en Gambardell­a, il y avait 1000 spectateur­s tout autour du stade. Des mecs sont même allés dans les chambres des malades de la clinique qui surplombe le terrain pour voir les matchs.” Au tour suivant, La Duch’ tire le voisin de l’OL qui ne veut pas se déplacer à la

Sauvegarde. “On a gagné à chaque fois avec cette ambiance si particuliè­re. Là, on a dû jouer à Balmont. Et on a perdu cette fois-ci…”

Le club est le premier interlocut­eur social pour les habitants, si bien que Mohamed Tria se retrouve parfois face à de drôles de sollicitat­ions. “La dernière fois, un type est venu me voir pour que le club lui prête 40 000 euros pour qu’il s’achète une baraque,

rigole-t-il, avant de parler de sa condition de président. Il n’y a pas un jour où on ne vous parle pas d’argent. Encore plus dans un quartier populaire.”

Il y a quelques années, Mohamed Tria a toutefois failli quitter le navire, fatigué par tous les problèmes d’un gestionnai­re de club. “Il avait l’impression de ne pas avoir de retours, comparé à tout ce qu’il faisait,

raconte Michel Tirroloni, le vice-président.

Puis, je lui ai fait comprendre que s’il partait,

“Notre stade a une dérogation jusqu’en décembre, il faut que la ville s’engage à faire des travaux d’ici là. Pour l’instant, il n’y a rien.” Karim Mokkedem

il n’y avait plus de club, parce que personne ne voudrait continuer sans lui. Depuis quelques années, le travail a été colossal, mais tout reste fragile.” Selon lui, beaucoup de choses

“doivent encore évoluer au club pour qu’il

puisse continuer de monter”. Notamment concernant les infrastruc­tures, indignes d’une équipe qui espère passer un cap. Sur le modeste stade de la Sauvegarde – celui des équipes de jeunes – trois équipes sont parfois amenées à s’entraîner en même temps. Quant à celui de Balmont – celui de l’équipe fanion –, il n’est jamais laissé au repos, puisque les gamins du quartier passent l’été à taper le ballon dessus.

Le combat perpétuel

Dans les vestiaires, après une intense séance d’entraîneme­nt pour préparer le match amical du lendemain contre Créteil, Karim Mokkedem sourit quand il parle de son aventure duchéroise, mais grimace quand il évoque les moyens mis à sa dispositio­n. Venu du fin fond du monde amateur lyonnais, comme il aime à le rappeler, il gaspille beaucoup d’énergie à réclamer des choses à la ville de Lyon. “Notre stade a une dérogation jusqu’en décembre, il faut que la ville s’engage à faire des travaux d’ici là. Pour l’instant, il n’y a rien”, se désole le coach duchérois, qui soupçonne la ville d’attendre de voir si la santé sportive du club va durer pour s’activer. En attendant, il ne peut pas entraîner ses joueurs de nuit, car il n’y a pas d’éclairage. Des travaux sont à faire dans les vestiaires du stade Balmont, mais toujours pas de devis. “L’année dernière, on reçoit Quevilly-Rouen, une rencontre capitale pour la montée en Ligue 2. Il fallait arroser la pelouse et on me dit que c’est impossible, car les vannes d’eau sont en position hiver,

souffle coach Mokkedem. Sauf que la températur­e n’était pas d’hiver, il suffisait de rouvrir les vannes. Pas possible. Donc un tracteur est venu avec des jerricanes. On a dû jouer sur de l’herbe à vache. Pour cette année,

le problème a enfin été réglé”, sourit-il dans un élan d’optimisme. Rien n’est facile à La Duchère, chaque victoire n’en est que plus belle.

 ??  ?? Claquettes sans chaussette­s
Claquettes sans chaussette­s
 ??  ?? Balle aux prisonnier­s
Balle aux prisonnier­s
 ??  ?? Au premier plan, Hatif, le capitaine de l'équipe
Au premier plan, Hatif, le capitaine de l'équipe
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 ??  ?? Les trois frères
Les trois frères
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 ??  ?? Lyon-Duchère - Olympique lyonnais, le 4 juin 2016
Lyon-Duchère - Olympique lyonnais, le 4 juin 2016
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 ??  ?? Saint-Etienne - Lyon-Duchère en Coupe Gambardell­a 2016
Saint-Etienne - Lyon-Duchère en Coupe Gambardell­a 2016

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