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Dossier: L'Italie au tapis

Incapable de marquer le moindre but contre la Suède en barrages, l'Italie regardera le Mondial 2018 à la télévision. Une première depuis 1958. Retour sur un vrai fiasco.

- PAR ADRIEN CANDAU ET ALEXANDRE DOSKOV, AVEC VALENTIN PAULUZZI. PHOTOS: PANORAMIC

Éliminée par la Suède au terme de deux matchs de barrage irrespirab­les, l’Italie ne s’est pas qualifiée pour la Coupe du monde 2018 en Russie. Une première depuis 1958 pour la Nazionale. Un échec historique qui plonge toute l’Italie dans le doute, et qui souligne les problèmes qui plombent depuis plus d’une décennie le football transalpin.

Incapable de retenir ses larmes, Gigi Buffon n’attend même pas de quitter la pelouse pour craquer et vider son sac devant les caméras italiennes: “Je suis désolé, désolé, désolé. Pas pour moi, mais pour tout le football, parce que nous avons échoué.” Chiellini, lui, préfère passer d’abord par la case douche et réserve sa grande confession pour la zone mixte: “Nous avons touché le fond. C’est le niveau le plus bas depuis longtemps.” Les yeux du gardien italien sont trempés, ceux de son défenseur sont vides et hagards. Le 13 novembre dernier, quelques minutes après l’éliminatio­n de la Squadra de la course au Mondial, Buffon et Chiellini symbolisai­ent à eux deux les millions d’Italiens qui pleuraient, mais aussi ceux qui étaient trop assommés pour le faire. Le lendemain de la catastroph­e, après une longue nuit blanche qui n’a porté conseil à personne, les médias italiens se déchaînaie­nt et des journaux titrés “Apocalypse” ou encore “La honte” se bousculaie­nt dans les kiosques. Avec, à chaque fois, de longues analyses pour répondre à cette question maudite: comment l’Italie en est- elle arrivée là?

Ventura, l'ennemi public numéro 1

Sans surprise, lorsqu’une équipe ne répond pas aux attentes, c’est l’entraîneur qui trinque. En Italie, l’échec de la Nazionale est d’abord associé à celui d’un homme, le désormais ex-sélectionn­eur Giampiero Ventura, limogé mi-novembre. Successeur d’Antonio Conte sur le banc de l’équipe nationale, ce natif de Gênes était surtout connu pour avoir fait du Torino une équipe attractive, lorsqu’il entraînait le club piémontais, de 2011 à 2016. Les débuts de Ventura avec la sélection sont pourtant encouragea­nts. Avec lui, de jeunes Italiens découvrent l’équipe nationale, comme Andrea Belotti, Roberto Gagliardin­i ou Federico Bernardesc­hi. “Il a commencé en gagnant pratiqueme­nt tout le temps, relève l’ancien défenseur de l’AC Milan Luca Antonini. Il a fait renaître des joueurs, en a fait progresser d’autres...Mais finalement, seuls les résultats comptent.”

Après une phase de qualificat­ion plutôt satisfaisa­nte, l’Italie doit disputer un match décisif en Espagne début septembre 2017. Le vainqueur sera premier du groupe, le perdant devra passer par les barrages. Pas de suspense, l’Italie s’effondre, 3-0. Ventura essuie alors de nombreuses critiques visant ses choix tactiques et notamment sa formation fétiche, un 4-2-4 très offensif qui laisse sa défense livrée à elle-même. “Contre l’Espagne, il s’est passé l’irréparabl­e...On pouvait affronter ce choc d’une autre façon. Finalement, on s’est fait tuer”, estime Antonini. Pour se qualifier au Mondial, l’Italie doit donc battre la Suède en barrages. Une double confrontat­ion, où les choix de Ventura seront encore plus controvers­és: “Les Italiens se sont obstinés à passer par les ailes et à centrer, analyse Benoît Cauet, ancien joueur de l’Inter désormais recruteur pour les Nerazzurri. Face aux Suédois, qui sont grands et aériens, ça semblait plus cohérent de miser sur des combinaiso­ns au sol, grâce à des joueurs rapides et techniques...” Des joueurs comme le Napolitain Lorenzo Insigne, par exemple. “Il n’a presque pas joué face à la Suède, alors que c’est un des meilleurs joueurs du championna­t... Ventura est un bon entraîneur, mais il manquait de dimension pour entraîner la sélection. À la fin de son

“Contre l’Espagne, il s’est passé l’irréparabl­e... On pouvait affronter ce choc d’une autre façon. Finalement, on s’est fait tuer.” Luca Antonini

mandat, rien n’était clair et surtout pas son système de jeu.”

Où sont les jeunes?

En plus d’un coach brouillon sur le banc, l’Italie évolue avec des joueurs pas au niveau sur le terrain. Parmi les questions qui fâchent, celle du renouvelle­ment de la sélection figure en bonne place. Contre la Suède, la Nazionale alignait encore trois joueurs de l’équipe championne du monde en 2006: Buffon, De Rossi et Barzagli. Une triplette qui pèse un peu plus de 360 sélections, et qui affiche l’âge canonique de 109 ans. Beaucoup espéraient pourtant que Ventura s’appuie sur la jeunesse. Mais, si ce dernier a fait découvrir l’équipe nationale à quelques talents prometteur­s, il a surtout préféré le confort, en misant sur des cadres qui étaient déjà ceux des anciens sélectionn­eurs et qui, depuis, ont pris de l’âge.

La défense italienne reste vampirisée par Buffon, Chiellini, Barzagli et Bonucci, et le réservoir de la

Squadra donne pour l’instant l’impression d’être limité. Par exemple, ni Rugani, ni Zappacosta, ni Spinazzola – tous les trois restés sur le banc en barrage – ne semblent prêts à reprendre le flambeau à court terme en défense. Verratti, l’un des rares jeunes joueurs italiens qui jouent régulièrem­ent en sélection, est lui l’incarnatio­n de cette jeunesse dont on attend beaucoup, mais qui est incapable de briller avec le maillot bleu. Sur le banc des accusés, les attaquants ne sont pas mieux lotis, et l’Italie tout entière a été horrifiée de voir son équipe ne pas marquer un seul but à la Suède. Immobile a beau cartonner en Serie A, il a passé 180 minutes à courir dans le vent et les fans ne pardonnent pas à Ventura de ne pas avoir fait jouer Insigne au match retour. Au moment d’entrer en jeu, même De Rossi s’est mis dans une colère noire en hurlant à Ventura qu’il fallait faire entrer le Napolitain pour marquer. Sans attaquant indiscutab­le sous

“Quand le football italien dominait l’Europe, il a misé sur l’achat de grands joueurs, mais c’était une vision à court terme.” Benoît Cauet

la main, la sélection s’apprête à vivre une reconstruc­tion compliquée.

Vision à court terme

Cette carence de grands joueurs est avant tout liée au déclin de la formation italienne. Le vivier de joueurs transalpin­s, qui semblait inépuisabl­e dans les années 1990 et 2000, s’est tari. Alors que les jeunes Italiens ont remporté cinq fois l’Euro espoirs entre 1992 et 2004, ils n’ont plus glané le moindre trophée depuis. “Quand le football italien dominait l’Europe, il a misé sur l’achat de grands joueurs,

poursuit Benoît Cauet. Mais c’était une vision à court terme. Il n’a pas investi dans la formation et les infrastruc­tures, comme de nouveaux stades et centres d’entraîneme­nt.” Une gestion hasardeuse qui continue de plomber l’éclosion de nouveaux jeunes talents italiens: “Prenez les entraîneur­s des équipes de jeunes. En Italie, ils sont mal payés et précaires. Ça les oblige à penser avant tout au résultat pour conserver leur travail, et non pas à la progressio­n technique de leurs jeunes”, souligne Antonini. Autre problème, celui des stades. À l’exception de la Juventus, les grands clubs italiens ne sont pas propriétai­res de leur stade, qui appartienn­ent à des collectivi­tés publiques. Ils sont donc en partie privés de sources de financemen­t, comme les recettes de billetteri­e. “Cela crée un manque de revenus et donc de moyens à réinvestir sur les jeunes et leurs entraîneur­s”, conclut Antonini.

Nouveau départ

Des observateu­rs ont également cherché des explicatio­ns extra-sportives à la défaite, quitte à remuer des sujets polémiques. Il faut dire qu’à la veille des élections législativ­es italiennes de 2018, les déboires de la sélection font beaucoup jaser. Luca Lotti, le ministre des Sports, s’est ainsi permis de déclarer: “Il est clair qu’il faut refonder le monde du foot.”

Immédiatem­ent après l’éliminatio­n, le débat très vif sur la question des joueurs étrangers en Serie A a été relancé. Carlo Tavecchio, président de la Fédération italienne de football qui a démissionn­é une semaine après la débâcle, avait réformé la Serie A pour donner plus de chances aux jeunes Italiens, mais certains veulent aller encore plus loin. Le leader d’une formation politique d’extrême droite a tweeté: “Il y a trop d’étrangers sur le terrain, depuis les plus jeunes jusqu’à la Serie A, et voilà le résultat.

Arrêtez l’invasion et laissez plus d’espace aux jeunes Italiens.” Se positionna­nt sur le même créneau, le joueur Paolo Cannavaro a lui lâché: “On a perdu le Mondial il y a quinze ans quand on a commencé à donner de l’argent et de la gloire à des joueurs bidons venus des quatre coins du monde et qu’ils ont

pris la place de nos jeunes.” L’ancien chef du gouverneme­nt Matteo Renzi en personne a été obligé de calmer le jeu en rappelant que la France avait été championne du monde en 1998 avec une équipe de toutes les couleurs. Mais au- delà de la question des joueurs étrangers, celle de la compétence des dirigeants du football italien a clairement été posée, et les premières têtes sont tombées avec les départs de Tavecchio et de Ventura.

Alors, le football italien est-il condamné à sombrer? Rien n’est moins sûr, alors que la Serie A, elle, semble reprendre des couleurs depuis quelques années: “Il suffit de regarder comment joue le Napoli, d’observer la Juve, double finaliste de la C1 en 2015 et 2017, pour voir qu’il y a vraiment de belles équipes en Serie A et que le championna­t est très compétitif ”, nuance le défenseur

de l’Atalanta Boukary Dramé. L’absence de l’Italie au Mondial pourrait surtout inciter le football transalpin à mener les réformes structurel­les qu’il a si longtemps tardé à mettre en place. Pour refaire de la Nazionale une équipe qui gagne, de nombreuses pistes sont évoquées. Comme celle de confier les rênes de la Fédération à d’anciens joueurs. “Je suis pour, s’ils ont des idées innovantes afin de permettre au foot italien de se reprendre”, juge Antonini. Ou encore de créer un championna­t qui opposerait les différente­s équipes réserves

des clubs de Serie A: “Ce serait beaucoup mieux que d’envoyer les jeunes joueurs se balader en Serie C… Les équipes réserves permettrai­ent de faire porter à ces jeunes le même maillot, de les faire progresser avec les valeurs du club.” “Il y a quand même de bonnes raisons d’être optimiste pour l’avenir,

poursuit Benoît Cauet. N’oublions pas que le foot italien a montré par le passé que c’était dans son ADN de savoir se reconstrui­re. La force de l’Italie, c’est de toujours savoir

i. se relever.” Même si cette chute-là fait nfiniment plus mal que les précédente­s. PAR ADRIEN CANDAU ET ALEXANDRE DOSKOV, PROPOS DE LUCA ANTONINI RECUEILLIS PAR VALENTIN PAULUZZI

“N’oublions pas que le foot italien a montré par le passé que c’était dans son ADN de savoir se reconstrui­re.” Benoît Cauet

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Larmes et câlin.
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Carlo Tavecchio.
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La déception des Italiens après leur défaite 3-0 en Espagne.
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Lorenzo Insigne et Leonardo Bonucci parlent tactique.
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