Gaël Kakuta.
Il a suscité de gros espoirs avant de se perdre entre les prêts. Mais après une belle saison en Liga l’année dernière avec le Rayo Vallecano, le Nordiste, passé au FC Séville cet été, semble enfin prêt à fermer des bouches.
Parti trop tôt pour certains, au mauvais endroit pour d’autres, Gaël Kakuta n’a jamais confirmé l’immense talent qu’on lui prête depuis tout jeune. Au FC Séville, le Lillois de naissance s’offre peut-être un nouveau départ. Pas pour devenir le “Black Zidane”, mais au moins pour ne pas suivre les traces de Mourad Meghni.
C’est la destination phare des joueurs français à la relance et des anciens de ligue 1 depuis quelques saisons: le FC Séville, son bouillant stade Sanchez Pizjuan et ses épopées en Europa League. Entre autres, Kevin Gameiro, Benoît Trémoulinas ou Adil Rami se sont installés en Andalousie, pour redonner du crédit à leur carrière et se faire un palmarès. Gaël Kakuta, accueilli le 18 juin par la star des recruteurs, Ramon Monchi, à l’aéroport San Pablo, n’échappe pas à cette réalité. Après une tripotée de secondes chances, en Angleterre, à Dijon, aux Pays-Bas ou à la Lazio, le club sévillan ressemble fortement à une dernière opportunité pour le natif de Lille. Sauf que cette fois, il y a tout lieu de penser qu’il peut enfin s’imposer. Et confirmer, enfin, tout le bien que le monde du football pense de lui depuis plus de dix ans. Notamment parce qu’il sort d’une belle saison en Liga avec le Rayo Vallecano (35 matchs, 7 passes décisives, 5 buts). En Espagne, où il arrive à l’été 2014, Kakuta découvre un championnat taillé pour ses qualités, et un mentor, Paco Jémez, coach du club de la banlieue madrilène: “Kakuta, c’est un autre niveau que le Rayo. Il a un talent naturel et, en plus, il a compris qu’il pouvait donner plus. Il est jeune, et en lui en demandant beaucoup, il pourra décrocher des choses importantes.” À seulement 24 ans, le joueur serait donc devenu un homme nouveau. “Paco Jémez a réussi à faire sortir toute la rage qui était en moi, que j’avais emmagasinée depuis mon arrivée à Chelsea, assure Gaël Kakuta. Avec lui, j’ai découvert le plaisir de travailler non-stop, de me dépasser à chaque entraînement, de faire du rab’ sous 40 degrés au soleil… Paco, c’est un tournant dans ma carrière.” Il était temps, car la carrière du joueur que les médias anglais surnommaient le “Black Zidane” avait largement dévié de sa trajectoire. “Déjà à 13 ans, je voyais qu’il était plus fort, trop fort. Même les adversaires étaient contents de le voir jouer. C’était énorme. Je n’ai jamais vu quelque chose de comparable, ni avant, ni après, se souvient Joachim Marx, directeur du centre de formation du RC Lens, à Liévin, qui voit débarquer le gamin à 9 piges. C’était un garçon aimable et poli, avec une super mentalité, il n’a eu aucune difficulté pour se faire des copains. Ils étaient tous impressionnés. Tout le centre s’arrêtait pour le voir travailler.” À 15 ans, Kakuta joue même les matchs de Gambardella et marque des buts du milieu de terrain. Un précoce, dont la carrière décolle aussi vite que les longues échappées tout en dribbles dont les compilations régalent encore YouTube.
“Tu n’es pas un homme”
La suite, c’est un transfert à Chelsea, en 2007, à 16 ans, malgré une bataille juridique qui coûte près de deux ans d’interdiction de recrutement aux Blues (sanction annulée par le Tribunal arbitral du sport), les éloges de Carlo Ancelotti –“C’est le joueur le plus fort que j’ai entraîné à cet âge”– ou de Michael Ballack –“Kakuta est la vraie star de l’équipe”– et une première titularisation convaincante face à l’Apoel Nicosie en 2009. Mais la marche est trop haute, la concurrence trop forte et les attentes omniprésentes. “Ce ne sont pas les compliments qui m’ont desservi, c’est mon impatience, reprendil. Certaines personnes ont interprété ça comme de l’arrogance, ça ne leur plaisait pas qu’un jeune de 18 ans soit sur le devant de la scène. Mais ce choix d’aller à Chelsea, je le referais sans hésiter.” Et peu importe si l’expérience chez les Blues tourne court. À partir de 2011, il bourlingue de prêt en prêt à travers l’Europe. En moins de quatre ans, il écume cinq clubs. À chaque fois, une étiquette de fainéant ou d’ingérable diva le suit. Lors de sa seule expérience professionnelle en France, à Dijon, après des passages sans éclat à Fulham et Bolton, il disparaît des radars au bout d’une quinzaine de matchs: “Je me suis retrouvé en plein milieu d’un règlement de comptes entre différentes personnes: d’un côté Patrice Carteron et de l’autre des membres du bureau. C’était facile de dire que j’avais un caractère de starlette plutôt que de pointer du doigt les vrais problèmes.” Il quitte une seconde fois l’Hexagone, et prend la direction du Vitesse Arnhem, puis de la Lazio. Autant d’expériences plus ou moins ratées dont il jure “ne garder que le positif”. Comme aux Pays-Bas, où il rencontre un entraîneur, Fred Rutten, qui ne le ménage pas. Avant un match face au Feyenoord, Gaël Kakuta déclare forfait. Rutten range ses pincettes: “Tu n’es pas un homme.”
Une passe d’armes qui marque le milieu offensif: “Ça m’a piqué au vif, il a su toucher la corde sensible. Alors le lendemain, je suis arrivé vers lui et je lui ai dit qu’il pouvait compter sur moi.”
Coup de blues et famille adoptive
À Séville, l’éternel espoir retrouve non seulement un club ambitieux, mais surtout son meilleur ami, Timothée Kolodziejczak. Leur rencontre remonte à leurs années de formation lensoises. Plus qu’un pote, Kolo devient quasiment un frère, au sens propre, pour Kakuta. À l’époque, les pensionnaires du centre restent à l’internat et attendent le week-end pour rejoindre leur famille. Seulement, Gaël rentre très rarement chez lui. “Sa mère habitait à Lille, et elle avait quatre autres enfants. Elle travaillait à l’hôpital comme aide-soignante. Du coup, il ne rentrait pas chez lui le weekend, il allait chez les copains”, raconte Joachim Marx. “Il venait chez moi quasiment tous le temps, rembobine Kolodziejczak. Sa mère l’élevait seule, elle bossait énormément. Alors mes parents, pour lui faciliter la tâche, lui ont proposé que Gaël vienne chez nous. Il est devenu comme un quatrième fils pour mon père. Il l’a vu grandir, que ce soit chez moi ou sur le terrain tous les week-ends.” Une vie de famille compliquée qui donne fatalement quelques coups de blues à l’adolescent. “Son copain Anthony Ihou venait tout le temps me trouver pour me dire qu’il était triste, que Gaël pensait arrêter le football même”, se souvient Marx. “Disons que j’avais souvent tendance à être dans mon monde… J’ai mes périodes. Parfois je déconnais avec tout le monde, et d’autres fois j’aimais être tout seul. Il a sans doute pris ma solitude pour de la tristesse”, nuance aujourd’hui Kakuta. Cette saison, tout est réuni pour que le champion d’Europe des moins de 19 en 2010 –tournoi dont il est élu meilleur joueur– efface définitivement sa mine triste et se remette à sourire. “Ici, il y a des espaces, il se retrouve souvent en un contre un. Et surtout, on lui demande beaucoup d’efforts. Ça lui permet de progresser sur le plan physique, ce qui était son défaut avant. Désormais, il arrive à les répéter et c’est ce qui a fait la différence pour qu’il décolle enfin”, analyse Timothée Kolodziejczak. La perspective d’un come-back à Dijon ou Bolton devrait aussi l’aider à saisir cette dernière chance…
Fait d’armes 2015-16: le 24 janvier, 21e journée de Liga, Kakuta marque contre l’Atletico, club sponsorisé par l’Azerbaïdjan. Le produit du centre de formation du RC Lens soulève son maillot et laisse entrevoir un tee-shirt avec la tête de Mammadov barrée et une mention “Je suis Gervais Martel”.
“Ce ne sont pas les compliments qui m’ont desservi, c’est mon impatience. Certaines personnes ont interprété ça comme de l’arrogance, ça ne leur plaisait pas qu’un jeune de 18 ans soit sur le devant de la scène à Chelsea”
Gaël Kakuta