So Foot

Gary Medel.

CHIEN MéCHANT

- PAR ARTHUR JEANNE, à SANTIAGO DU CHILI / PHOTOS: I CONSPORT

Le Chilien, élevé dans les quartiers chauds et vainqueur de la Copa America cet été, remplace petit à petit Esteban Cambiasso dans le coeur des fans de l’Inter.

Il mord, il ronge, il tacle, il harcèle, il triture, il épuise… Sans surprise, il n’existe aucune vidéo des plus beaux gestes de Gary Medel sur la toile. Pourtant, avec l’Inter Milan, le héros national chilien a ringardisé le rôle de milieu défensif. Portrait d’un fou qui ne se lasse plus de mettre l’Amérique du Sud, l’Italie et bientôt toute l’Europe à ses pieds.

Il fait partie de ces gens qui ne se contentent pas de dire qu’ils n’oublient pas d’où ils viennent. Malgré ses millions et son train de vie de nouveau riche, Gary Medel ne loupe jamais une occasion de revenir se ressourcer dans le coupe-gorge où il a survécu jusqu’à son adolescenc­e. Alors que ses coéquipier­s de sélection s’envolent pour le farniente de la République dominicain­e pour fêter une Copa America remportée à domicile au début de l’été, le milieu de terrain du Chili préfère rester à l’ombre du seuil de pauvreté de Palmilla de Conchali, où vivent toujours ses parents. Sur place, Medel distribue des autographe­s aux enfants, des embrassade­s à ses ex-voisins et quelques tapes dans le dos à ses potes, avant de chausser des runnings pour taquiner la balle sur le terrain en ciment où il a effectué ses premiers pas. Ses voisins, ravis d’affronter l’enfant du pays, n’en sont pas sortis indemnes pour autant. “Il a joué comme contre l’Argentine: si le ballon passait, l’homme ne passait pas”, se souvient avec douleur l’un des sparring-partners du quartier. La veille, en finale de Copa America, Medel avait pris autant de plaisir à museler Messi, et l’attaque argentine, à lui seul. Pas un mince exploit pour un homme taillé comme une statue de l’île de Pâques. Malgré son physique de carreleur et sa tête de taulard, Medel s’est pourtant imposé partout: en Amérique du Sud comme en Europe. Chez les prolos et chez les aristos. De Boca à Séville en passant par Cardiff et l’Inter Milan, Medel a toujours fait face à n’importe qui. Et surtout, à n’importe quoi.

“Il mordait les mollets”

Plus que son talent balle au pied, c’est son goût du combat et du sacrifice qui a permis à Medel de devenir la coqueluche du public et de ses entraîneur­s. Pas étonnant donc qu’il ait été le joueur de champ de l’Inter le plus utilisé la saison dernière par Mancini, et qu’il devrait encore l’être cette année. Pas étonnant non plus que son nom apparaisse en bonne place dans le hall of fame des socios du FC Séville. “Au Sanchez Pizjuan, c’était l’idole. C’est un joueur pour le public, il l’a très vite conquis par son activité et son côté bagarreur. Il ne donnait jamais un ballon pour perdu. Sa manière de jouer reflétait un peu le caractère chaud des Andalous”, se rappelle Julien Escudé, son partenaire dans le sud de l’Espagne. Véritable stakhanovi­ste, celui qui rabote les chevilles de ses adversaire­s se fait très vite un surnom: “le Pitbull”. “Il ne lâchait jamais rien, s’extasie encore Escudé. Comme il est petit et qu’il a un centre de gravité très bas, il était toujours dans les jambes des joueurs, à leur mordre les mollets. À la 80e minute, quand on était tous carbonisés, il était encore là, à se battre en un contre un sur les côtés. Il s’accrochait, restait au duel sur quinze, vingt mètres et ressortait avec le ballon.” Et souvent avec quelques cartons rouges. Il faut dire que le Chilien est plutôt de ceux qui restent quand ça se disperse. Cette faculté à être dans l’oeil du cyclone remonte du temps où Mario Lepe était son entraîneur à l’Universida­d Catolica. Pour son baptême du feu chez les pros, Medel a la lourde tâche de contenir Marcelo Salas… Excité par l’odeur du sang, le jeune rookie met en boîte l’attaquant de l’Universida­d de Chile, avant de se faire expulser. “La veille du match, un journalist­e lui avait demandé s’il était impression­né de marquer Salas. Gary avait répondu que s’il devait mettre des coups pour l’arrêter, il n’hésiterait pas. C’est ce qui s’est passé: il a été expulsé après une très grosse faute sur lui”, se souvient, hilare, Lepe. Depuis ces débuts en fanfare, la liste des victimes tombées sous les coups de Medel s’est évidemment allongée.

Le flingue sur la tempe

Pour comprendre d’où vient l’agressivit­é de l’internatio­nal chilien, c’est à la Palmilla de Conchali qu’il faut se rendre. C’est ici, dans ce quartier de maisons basses et d’impasses malfamées, où l’on se balade le flingue à la ceinture, où les narcos ont pignon sur rue, que Medel tourne, plus jeune, le dos à une carrière de

dealer qui lui tend les bras. “Sur le pas de sa porte, il y avait des trafiquant­s de drogue. Quand il dit qu’il aurait pu être narco s’il n’y avait pas eu le football, il ne déconne pas”, soupire Mario Lepe. C’est avec la sélection chilienne des moins de 21 ans que l’entraîneur José Sulantay pense avoir compris le mode de fonctionne­ment de Medel: “La Palmilla, c’est le genre d’endroit où tu ne peux pas tendre la joue. Il y a appris à attaquer avant d’être attaqué, à réagir pour ne pas paraître faible.” Parfois au risque de sa vie. Avec le Sabino Aguad, le club de son quartier, Medel connaît en effet les joies du pistolet sur la tempe. Plutôt que de supplier celui qui n’a pas goûté un tacle trop appuyé de lui laisser la vie sauve, le Pitbull, qui n’est alors que lycéen, l’exhorte plutôt à appuyer sur la gâchette: “Vas-y tire, connard!” Une anecdote qui résume à elle seule l’état d’esprit du défenseur nerazzurri. Et qui explique son intégratio­n difficile dans les équipes de jeunes de la Catolica. À l’époque, celui qui s’enquille deux heures de bus en compagnie des femmes de ménage et des employés de banques pour rejoindre le centre d’entraîneme­nt du club effraie ses formateurs avec son air d’enfant sauvage. “Il parlait très peu, il mordait quasiment. Il émettait des sons plus que des mots”, confirme Alfonso Garces, l’homme qui l’a découvert. Si le joueur enchaîne les expulsions comme les bons matchs, son comporteme­nt de bad boy fait débat. En 2007, Medel, fraîchemen­t titulaire à la Catolica, participe à une baston à la sortie d’une boîte de nuit de Santiago: “J’étais à deux doigts de le virer de l’équipe. On a eu une discussion musclée, et j’ai finalement estimé qu’il avait droit à une seconde chance, qu’il a su saisir”, rembobine Sulantay. Bien lui en a pris, puisque Medel est l’une des stars de la coupe du monde des moins de 20 ans, qu’il termine avec le bronze autour du cou. Deux ans plus tard, alors qu’il organise une fête chez lui, une jeune fille de 18 ans meurt en tombant du balcon de son appartemen­t. Le joueur est interrogé par la police avant d’être innocenté. Sa réputation sulfureuse et son talent trop à l’étroit pour le championna­t chilien le poussent à rebondir en Argentine, à Boca Juniors, où il devient vite une idole de la Bombonera. Comment? En signant un doublé contre River… avant de se faire expulser pour une altercatio­n avec Marcelo Gallardo.

“On va saluer les gens, enculés!”

Mais Gary Medel construit véritablem­ent sa légende en sélection. Notamment lors du huitième de finale du mondial brésilien. Malgré une déchirure musculaire, le Pitbull est aligné d’entrée et annihile Neymar et Fred, avant de sortir sur civière en prolongati­ons, les larmes aux yeux. Malgré l’éliminatio­n des siens, il ravit à Vidal et Sanchez le rôle d’idole nationale. Les graffeurs chiliens le dessinent chevauchan­t un dinosaure sur un mur de Santiago, les internaute­s inventent les Gary Medel facts, et des plaisantin­s rebaptisen­t l’école militaire nationale en “école Gary Medel”. Sa popularité atteint son climax lors d’un match nul décevant face au Mexique en phase de poules de la dernière Copa America. Alors que ses coéquipier­s s’apprêtent à rentrer dans les vestiaires, Medel leur aboie: “On va saluer les gens, enculés!” La vidéo devient virale et n’échappe pas à la présidente Michelle Bachelet qui, en délicatess­e avec sa cote de popularité, ne manque pas de réaliser un selfie avec le joueur. Si Medel fascine autant ses compatriot­es, c’est avant tout parce qu’il est le reflet fantasmé de l’identité chilienne, selon Sulantay: “Quand les conquistad­ors espagnols sont arrivés ici, ils sont tombés sur la tribu des Mapuche, qui étaient imprenable­s. Ils n’ont jamais réussi à les vaincre. Ce sont nos ancêtres, et cela a créé des caractéris­tiques que les Chiliens adorent: être forts, durs, imprenable­s, lutteurs. Medel est comme ça, il a toujours eu ce courage, ce côté dur au mal qui plaît à tout le monde ici.” Parce que même les pitbulls ont besoin d’affection. Fait d’armes 2015-16: Medel pète un câble lors du derby milanais en déchirant le maillot de Jérémy Ménez avec ses dents. Sorti par Mancini avant la fin du match, il se réfugie dans le parking du stade où il se calme en démontant des pneus. Puis en les mangeant. Des images insoutenab­les.

“Sur le pas de sa porte, il y avait des trafiquant­s de drogue. Quand il dit qu’il aurait pu être narco s’il n’y avait pas eu le football, il ne déconne pas”

Mario Lepe, son coach à l’Universida­d Catolica

 ??  ??
 ??  ?? Gary the Dog.
Presque!
Gary the Dog. Presque!

Newspapers in French

Newspapers from France