So Foot

Le grand pas de Calais

- PAR RAPHAëL GAFTARNIK / PHOTO: I CONSPORT

Pour célébrer l’entrée dans un nouveau millénaire, la coupe de France réserve en l’an 2000 une surprise de taille: Calais, club de CFA, s’invite en finale avant de tomber de justesse face à Nantes. Un exploit fait de matchs à l’arrachée, d’un coup de sifflet et de Jacques Chirac. “À la fin, on est presque tous en larmes car on est passés vraiment près. En plus, on a ce sentiment d’injustice…”

Réginald Becque

Enfoncé dans sa tunique rouge et jaune, Réginald Becque a les yeux dans le vague, l’air hagard. D’une main peu assurée, le capitaine de Calais tient une hanse de la coupe de France, dans un Stade de France comble. Pourtant, le capitaine de ces amateurs venus du Nord n’est pas le nouveau détenteur du trophée. S’il peut le toucher, c’est à l’initiative de Mickaël Landreau, vainqueur de la finale avec son FC Nantes quelques minutes auparavant: “Il est venu me voir à la fin du match et il m’a demandé si je voulais monter avec lui dans la tribune. Il pensait que cela serait sympa par rapport à notre parcours. Ça a donné cette magnifique photo.” Une photo devenue symbole de l’aventure calaisienn­e de l’an 2000, faite de retourneme­nts de situations dantesques et cruellemen­t achevée sur l’autel d’un penalty litigieux. À l’époque, Jacques Chirac résume le match à sa façon dans le vestiaire: “Il y a deux vainqueurs ce soir. Celui de la Coupe, et celui des coeurs.”

Le vent, Bollaert et Manu Vasseur

Si le pensionnai­re de CFA s’est installé dans les poitrines des amateurs de football, il le doit avant tout à son abnégation tout au long de son ascension. Dès les trente-deuxièmes, face à Lille (D2), le portier Cédric Schille et les siens sont menés au score et risquent la sortie. Mais le gardien profite des éléments pour faire tourner la roue: “Il y avait eu du vent de fou! Je dégageais des six mètres, la balle arrivait à peine aux trente mètres… Sur notre égalisatio­n, Hogard centre, Wimbée est lobé. Quand on y repense…” Charme de la coupe ou chance de l’instant, Calais parvient à rallier la séance de tirs au but: “Sur les pénaltys, le vent allait dans le sens des tireurs. Les balles arrivaient à 100 km/h!” Une transversa­le lilloise plus tard, Calais passe son premier obstacle de taille et lance sa chevauchée folle. Langon-Castet balayé (3-0), Cannes met presque fin à l’aventure calaisienn­e. “On va en prolongati­on, on prend un but à la 118e. Tout le monde dans la tribune pensait que c’était terminé. Le président de Cannes a même appelé chez eux pour dire ’c’est bon, on est qualifiés!’, se souvient Réginald Becque. Et puis on a un dernier corner, que je joue rapidement avec Manu Vasseur. Il centre et on a un Hogard qui se jette et égalise à la toute fin de prolongati­on.” Bénis ou solidaires, toujours estil que les Calaisiens s’extirpent d’une nouvelle séance de tirs au but pour inscrire leur nom dans le livre d’or de la compétitio­n.

Dernière équipe amateur des quarts de finale, les hommes de Ladislas Lozano affrontent alors leur premier club de l’élite. Strasbourg s’avance à Bollaert, le stade du RC Lens devenu le nouvel antre des partenaire­s de Schille: “Il y avait 20 000 personnes, on était peut-être un peu tétanisés. Et au bout de six minutes, on prend un but. Mais c’est ce qu’il pouvait arriver de pire à Strasbourg. Car ça nous a réveillés. On en marque deux avant la mi-temps et on boucle l’affaire en seconde.” Souvent menée, jamais vaincue, l’équipe de Calais fascine. Alors que le tirage au sort désigne le champion de France en titre, Bordeaux, comme prochain adversaire, personne n’imagine le parcours se prolonger au-delà de cette demifinale de prestige. Mais Calais n’est pas à un retourneme­nt près, comme le décrit Becque: “On a tenu le 0-0 pendant quatre-vingt-dix minutes, ce qui était déjà un exploit. Ensuite, il y a prolongati­on et on ne sait pas trop ce qu’il se passe. Le premier but de Cédric Jandau, c’est une frappe extraordin­aire. Bordeaux revient et on se dit qu’on va être mangés tout cru. Et puis finalement, on enfonce le clou avec deux buts bien amenés, bien construits. C’est surnaturel.”

Paris Match et Colombo

Surnaturel. Le mot est également approprié pour l’emballemen­t médiatique qui entoure le capitaine et son effectif. À l’approche de la finale contre Nantes, caméras et micros s’amassent autour de la sensation de l’année. Les yeux du photogéniq­ue Réginald Becque en crépitent encore: “Il y a l’ouverture d’une boutique du club, on est invités sur tous les plateaux télé, il y a un reportage dans Paris Match sur quatre ou cinq pages. On a tous eu notre photo avec notre épouse. Enfin, ceux qui étaient en couple…” Cédric Schille poursuit: “Nous on en profitait, parce qu’on savait que ça ne se reproduira­it plus. Même s’ils se sont un peu incrustés dans nos vies!” Mais l’attention des médias a une échéance: celle de la finale contre Nantes. 1-1 à la 90e minute, les Calaisiens s’avancent vers une nouvelle prolongati­on, gage de succès lors du parcours. Mais un certain Claude Colombo, arbitre de son état et mauvais inspecteur de fautes, va commettre l’irréparabl­e. Dans les dernières minutes, Alain Caveglia s’écroule sur un léger contact dans la surface, le sifflet retentit. Antoine Sibierski n’a plus qu’à transforme­r et valider la victoire nantaise. 2-1, le rêve est terminé: “À la fin, on est presque tous en larmes car on est passés vraiment près. En plus, on a ce sentiment d’injustice…” explique Becque avant que Schille n’enfonce le clou: “Quand on regarde les images, Colombo ne peut pas se dire qu’il y a penalty s’il est honnête avec lui-même. Ça gâche un peu tout, mais pour les gens, on reste les vainqueurs.” Pour Jacques Chirac aussi. –

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Jérôme Dutitre (Calais).

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