So Foot

SECTE-APPEAL

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À la fin des années 90, la secte sud-coréenne de l’église de la Providence tente de s’implanter hors de ses frontières en organisant des tournois de foot “internatio­naux”. Une mission dans laquelle une équipe de France amateur va s’embarquer. Malgré elle.

Le stade de Daejeon, en Corée du Sud, est plein à craquer. En cet après-midi du 11 août 2002, 35 000 personnes sont amassées pour assister au match d’ouverture entre la France et l’Allemagne. Le protocole déroule: compositio­ns affichées sur l’écran géant, hymnes nationaux, travelling sur les 22 acteurs. Sur leurs visages, un air de surprise. Pour cause, tous sont footballeu­rs amateurs. Ils participen­t au tournoi annuel du Global Associatio­n of Culture and Peace (GACP), une émanation de la secte coréenne de l’Église de la Providence. Un groupement religieux puissant, qui utilise les stades comme lieu de culte en réunion, et dont le gourou, Jông Myông-Sôk, alias Jesus Morning Star (JMS) ou Mister Lee, aime autant le ballon rond que les jeunes filles.

Milieu estudianti­n et Decathlon

Dans les années 80, cet ancien de la secte Moon initie son propre mouvement prônant l’échange entre les peuples, loin de l’anticommun­isme affiché par sa précédente crèmerie. Après s’être développé localement en infiltrant le milieu estudianti­n coréen, le messie autoprocla­mé utilise le football pour s’imposer hors de ses frontières. Julien Derobe, alors éducateur de football, se souvient de son premier contact avec la Providence, en 1999: “J’avais un job d’été chez Decathlon. À ma caisse, un jeune client coréen engage la discussion. Il me dit qu’il organise un tournoi internatio­nal, qu’il s’occupe de l’équipe de France amateur, mais n’a aucune connaissan­ce sportive. Donc j’ai dit que je viendrai…” Le jeune homme, à peine majeur, rameute trois-quatre amis de son club de la Salésienne de Paris, pour une première compétitio­n. Une journée passée porte de Versailles, sept équipes, quelques rencontres bon enfant et l’affaire est entendue. Derobe ne le sait pas encore, mais il a mis le pied à l’étrier. Il devient capitaine des Bleus l’année suivante, chargé de composer la sélection qui se rendra aux tournois du GACP. Si l’équipe paye ses déplacemen­ts, elle est chaleureus­ement accueillie en Angleterre, en Espagne ou encore en Italie, pour affronter d’autres formations du continent et d’Asie: “Les équipes étaient très déséquilib­rées avec des semi-pros dans les équipes asiatiques. Mais on s’en foutait, on voyageait, on jouait au foot.” Sur le terrain, chaque fois, le même rituel: présence de JMS et de ses fidèles, discours sur l’union des peuples, puis un tournoi disputé sur quelques jours “devant des centaines de spectateur­s”. Aucun des participan­ts ne se doute alors de la présence d’une secte derrière l’affaire. Tout au plus s’amusent-ils de cet homme “très petit, avec une bonne tronche et doté d’un gros capital sympathie”.

“On ne sortira jamais vivants d’ici”

En 2001, la compétitio­n se déplace à Hawaï. Les premières interrogat­ions naissent: “C’était bizarre, il y avait beaucoup plus de gens et toute une cour autour de Mister Lee: quelqu’un pour lui porter un parapluie, un porteur d’eau attitré… On a même vu des porte-clefs à son effigie dans le public. Du délire!” Cela n’empêche pas les Français de s’offrir du bon temps. Logée dans un hôtel de luxe avec “piscine en roof-top, payé à 50 % par Mister Lee”, nourrie de paniers-repas préparés par des proches de la secte, la colonie de Derobe savoure cette aventure sponsorisé­e au nom du football rassembleu­r. Un prétexte pour célébrer JMS, et écouter religieuse­ment ses anecdotes: “Il racontait que pendant la guerre de Corée, il avait croisé un Nord-Coréen, et que tous deux avaient posé les armes avant de pleurer.” Dans son optique de célébratio­n des peuples, il n’est pas rare de voir JMS, 55 ans, chausser les crampons: “Il jouait à n’importe quel moment et les mecs faisaient semblants de ne pas lui prendre la balle! À la mi-temps, il changeait d’équipe. Sauf qu’une fois, un pote à nous le tacle et il reste au sol. Les mouches qui volent… Lee commence à se tordre de douleur, et je me dis: ‘On ne sortira jamais vivants d’ici.’ Heureuseme­nt, il s’est relevé.” Dernière équipe européenne en lice, la France s’arrête en demi-finales et valide son ticket pour le remake du mondial 2002 au Japon et en Corée

Julien Derobe

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