So Foot

GRIEZMANN of the YEAR

- Par Chérif Ghemmour, David Alexander Cassan et Flavien Bories, avec Brieux Frérot et Swann Borsellino UE Syndicatio­n/Panoramic, Pablo Gomez/Mundo Deportivo, PhotoShots/Iconsport

Il ne sort ni avec une chanteuse pop ni avec un mannequin internatio­nal. Il ne joue ni au Real ni au Barça et n’a jamais évolué en Premier League. Pourtant, en quelques mois d’une année 2016 exceptionn­elle, Antoine Griezmann est devenu à la fois une star mondiale, le chouchou des publicitai­res et le footballeu­r préféré des Français(es). Comment le garçon lambda de Mâcon, exilé très jeune de l’autre côté des Pyrénées, s’est-il ainsi retrouvé à être invité au prochain concert des Enfoirés et ovationné par le Madison Square Garden de New York? Décryptage.

Le regard attrape la caméra, l’oeil est rieur, le sourire espiègle, mais le slogan assez primaire: “Enjoyyy!” Sur le trottoir d’une avenue éclairée par les phares de la Grosse Pomme, dans la solitude d’un couloir d’hôtel, devant un burger ou derrière un parcmètre, Antoine Griezmann et sa grande soeur Maud s’encouragen­t l’un l’autre, à tour de rôle derrière un caméscope, à profiter de ce séjour ensemble à New York City. On est en juin 2012, et les deux grenouille­s (il paraît que c’est affectueux) profitent de moments simples et anonymes qui –et ils le savent sans doute– seront bientôt plus rares. Antoine est devenu Griezmann, ou même Grizi, voire Grizou, et c’est désormais pour les plus grandes marques qu’il fait l’andouille devant la caméra. Après un Euro réussi, puisque terminé avec les titres –individuel­s– de meilleur joueur et meilleur buteur, l’attaquant français a eu l’occasion de se jeter habillé dans une piscine devant Usain Bolt et d’intégrer la pop culture grâce à ses doigts plutôt que ses pieds… La faute à une célébratio­n inspirée du Hotline Bling de Drake, où il agite ses mains devant lui, auriculair­es tendus vers le bas et pouces levés vers le haut. Un geste entré dans les mémoires un soir de victoire de l’équipe de France contre son meilleur ennemi allemand, en demifinale­s de son Euro: son numéro 7 avait marqué deux fois. Un geste que Puma aura préféré au “Enjoy” des débuts pour vendre ses nouveaux déodorants: dans un spot dont il est l’unique star, Grizi se sert de ses doigts tendus pour mixer un cocktail, tricoter un pull ou piloter un avion de chasse. Il s’agit de la publicité la plus regardée en 2016 par les internaute­s français, alors même qu’elle n’a été publiée que fin novembre. La preuve que le monde d’Antoine Griezmann a changé? Quand il retourne à New York le 23 décembre dernier, c’est le Jumbotron du Madison Square Garden qui filme l’ancien touriste normal, désormais assis au premier rang, la fameuse “rangée des célébrités”, où le public a plutôt l’habitude de voir Ben Stiller, les soeurs Olsen ou Jay Z avec Beyoncé. Griezmann n’a besoin que de quelques secondes pour se présenter aux fans des New York Knicks, sans un mot mais d’un sourire, et d’un mouvement de doigts familier. Avant le match, il a rencontré son basketteur préféré, Derrick Rose, et échangé des maillots avec le meneur dont la trajectoir­e aura croisé celle du Français depuis 2012. En quelques années à peine, le gamin anonyme et facétieux est devenu une icône, une marque, une star mondiale qui rappellera­it à certains un autre beau gosse portant le numéro 7 et des tatouages, David Beckham. Question: que se cache-t-il donc derrière cette hausse de popularité météorique?

Jerry Maguire, WhatsApp et Sport 2000

Sur le terrain comme en dehors, la réussite d’Antoine Griezmann est une affaire de travail, et une affaire de choix. Sébastien Bellencont­re reçoit dans un restaurant à viandes de Boulogne-Billancour­t où il n’a plus besoin d’étudier la carte ni de vouvoyer le patron. Après avoir découvert sa vocation en regardant Jerry Maguire, l’histoire d’un agent au grand coeur incarné par Tom Cruise, l’homme est passé par Havas, Reebok et Adidas avant de fonder l’agence 4success en 2012. Avec son associé Farid Boumkais, Bellencont­re conseille des sportifs, dont Blaise Matuidi ou Mathieu Bastareaud, dans la gestion de leur image. “On s’occupait de Clément Grenier au moment de la coupe du monde 2014, replace-t-il, mais il s’est blessé avant la compétitio­n. Et on a remarqué ce joueur offensif, blondinet aux yeux bleus. En tant qu’experts du marketing, on sait que c’est un physique pas du tout segmentant, qu’il plaira autant aux Blancs qu’aux Beurs, aux Asiatiques qu’aux Noirs, aux hommes qu’aux femmes, aux jeunes qu’aux vieux… C’est malheureux, mais on sait que le ‘Black-Blanc-Beur’ ne fonctionne plus vraiment.” Bellencont­re contacte donc Éric Olhats, le recruteur qui a fait venir le petit Antoine à la Real Sociedad, aujourd’hui conseiller incontourn­able “à titre complèteme­nt amical”. “Je cherche toujours à m’entourer de profession­nels, et on voulait une expertise marketing, précise ce

“Il n’y est pour rien, mais sa couleur de peau véhicule des éléments symbolique­s qui amplifient les jugements positifs là où elle encourager­ait les stigmates pour d’autres” Patrick Mignon, sociologue

dernier. Puisque Sébastien avait une propositio­n de Sport 2000, on a accepté de le rencontrer dans un grand hôtel de Madrid. Le courant est bien passé, et il a signé avec Antoine jusqu’à fin 2016.” Tout cela se passe à l’automne 2014, alors que Griezmann a signé depuis quelques mois à l’Atletico Madrid, au retour d’une coupe du monde prometteus­e (trois titularisa­tions). Si ses larmes sur la pelouse du Maracanã après l’éliminatio­n contre l’Allemagne ont ému la France du foot, son exil précoce l’empêche d’être très sollicité au pays: même Puma préfère mettre en avant Olivier Giroud, Kun Agüero ou Mario Balotelli. Délégué général du syndicat de l’Union sport et cycle, Virgile Caillet pointe le handicap du jeune Bleu d’alors: “Le fait d’avoir explosé en Espagne a dû être un inconvénie­nt pour lui au départ: il était surtout connu par les spécialist­es de football, hors des radars des marques grand public.” Après avoir inauguré leur collaborat­ion par ce contrat avec Sport 2000, les trois hommes se fixent un horizon, l’Euro 2016, et un objectif: faire d’Antoine, et sa bouille de Super Victor –la mascotte de l’Euro–, le footballeu­r préféré des Français avant la compétitio­n organisée au pays. À mesure que le numéro 7 –repris à son idole David Beckham– enchaîne les buts avec les Colchonero­s et les sélections, les sollicitat­ions se multiplien­t. Chacune est examinée sur des groupes de discussion WhatsApp dédiés dans lesquels est sollicité un entourage un peu plus élargi. Les participan­ts? Antoine, Éric, Sébastien, mais aussi Farid de 4success et André de Souza. Ami d’enfance du joueur, l’homme s’occupe de son community management sur Twitter, Instagram et Facebook. Quand Éric Olhats est encore salarié à plein temps de la Real Sociedad, André de Souza s’occupe lui, “à la ville”, des réseaux sociaux de… la municipali­té de Mâcon. “Mais ils sont sympas avec lui, connaissan­t sa position”, suppose Bellencont­re. Au-dessus d’un tartare de boeuf aller-retour, il reprend: “La rencontre a fait la différence, parce qu’il est habité par le désir de réussir. Son claim, si on veut parler d’Antoine comme d’une marque, c’est ‘Fais de ta vie un rêve et de ton rêve une réalité’: c’est une phrase qu’il a tatouée sur son bras. Notre métier n’est surtout pas de façonner le

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Griezmann fait des vidéos.
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/ Photos: Iconsport, Picture-Alliance/Dppi,
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Lieu de rendez-vous BlaBlaCar.

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