So Foot

Nuit debout

En 2006, Éric Olhats craint que l’aventure s’arrête net pour Antoine Griezmann, qui a du mal à intégrer les enseigneme­nts tactiques de la Real Sociedad. Un soir, il lui improvise un entraîneme­nt qui va agir comme un déclic.

- PAR SWANN BORSELLINO ET MAXIME BRIGAND.

Pour Éric Olhats, c’est la soirée de “la croisée des chemins”. Le recruteur de la Real Sociedad, qui refuse d’être “juge et partie”, n’a pas l’habitude d’aller voir son poulain à l’entraîneme­nt. Mais lors de cette journée du printemps 2006, Olhats est venu. Et ce qu’il a vu lui a déplu. La séance se termine, le gosse s’installe sur le siège passager de la voiture et quitte Saint-Sébastien, direction la maison, à Bayonne. Sur la route, Olhats débriefe le Mâconnais comme jamais. Selon lui, Griezmann est en train de tout foutre en l’air. “On est à un moment où il ne pige pas. Il se retrouve hors jeu, est obligé de faire des replacemen­ts défensifs à fond la caisse, et quand il a le ballon, il est tellement cuit qu’il ne fait pas le bon geste. Sauf qu’il faut qu’il y arrive, sinon c’est terminé.” Forcément, le silence est pesant lorsque Olhats serre son frein à main. Au moment du dîner, la situation demeure tendue: face à Olhats, Griezmann n’arrive pas à comprendre. Résultat, il va se coucher et flingue son samedi soir. “Le lundi, c’était le tournoi annuel de la Real Sociedad, où se retrouvent le Real Madrid, le FC Barcelone, le PSG et compagnie, replace le recruteur. À un moment donné, je me dis allez, on prend la voiture, les plots, et on va sur le fronton, là où les mecs jouent à la pelote basque. Je voulais lui expliquer des choses. On a allumé les phares, tapé des ballons contre le mur, travaillé pour apprendre à partir au bon moment, à bien se déplacer. En rentrant à la maison, je suis sceptique sur le fait que ça puisse changer quelque chose, mais je me dis: ‘Au moins, j’aurai essayé.’” Avec le recul, le joueur parle de cette soirée comme d’une révélation dans sa carrière. En effet, le jour J, le Français se retrouve titulaire à la place de l’un de ses coéquipier­s blessé. “Le tournoi devait décider qui continuait ou pas, resitue Olhats. Dans ce schéma de jeu très porté sur le déplacemen­t, s’il ne progressai­t pas, il était foutu: il a terminé meilleur buteur de la compétitio­n en faisant des choses fantastiqu­es.” Pour Griezmann, la situation se répète le 13 avril 2009. Dans l’ombre d’Iñigo Martinez et de Jon Gaztañaga, les deux stars de sa génération, il dénote plus par sa dégaine atypique que par son talent balle au pied. “À l’époque, pour les pros de la Real comme moi, c’était plus une image qu’un footballeu­r. On le situait juste parce qu’il avait les yeux bleus et les cheveux blonds”, sourit Gorka Elustondo, défenseur de l’Athletic Bilbao formé à la Sociedad. Heureuseme­nt, le coach, Meho Kodro, ancien buteur du Barça de Cruyff, ne s’arrête pas aux apparences. “Griezmann était timide, parlait mal l’espagnol et avait un gabarit de gamin. Les gens ne voyaient que sa taille, il passait inaperçu, souligne l’actuel entraîneur du Servette FC. Quelque part, ça ne l’a pas desservi, car il a aiguisé son talent naturel en attendant que son physique se développe.” Hasard ou coïncidenc­e, le pic de croissance de Griezmann survient au moment du tournoi internatio­nal organisé tous les ans par la Real Sociedad. “C’est à ce moment-là que son physique a été en adéquation avec son talent, confirme Kodro. Sa courbe de croissance venait d’exploser, un peu comme sa carrière, car après ce tournoi où il avait été très bon, il est passé directemen­t chez les pros.” La raison? Une nouvelle place de meilleur buteur avec cinq buts au terme d’une compétitio­n remportée par la Real Sociedad, après une victoire en finale contre l’Atletico Madrid. “Je mentirais si je disais que je le voyais alors comme un potentiel Ballon d’or, concède Kodro. Mais à ce moment-là, c’est vrai que l’éclosion de son talent a un peu décontenan­cé les gens du club.” Comme quoi, ça valait le coup d’être réveillé en pleine nuit pour aller s’entraîner dans les rues de Bayonne…

“On est à un moment où il ne pige pas. Il se retrouve hors jeu, est obligé de faire des replacemen­ts défensifs à fond la caisse, et quand il a le ballon, il est tellement cuit qu’il ne fait pas le bon geste” Éric Olhats, agent de Griezmann

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