So Foot

Entretien avec Ronaldinho

Depuis qu’il est devenu ambassadeu­r pour le Barça, Ronaldinho passe son temps dans les aéroports, à voyager aux quatre coins du monde pour faire ce qu’il sait faire de mieux: arracher des sourires aux gens en taquinant le cuir. Malgré le jet-lag, le Gauch

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Il a plutôt tendance à s’exprimer avec ses pieds. Mais il le fait tout aussi bien avec sa bouche. De son enfance au Brésil, en passant par Barcelone et Paris, Ronnie ne feinte aucune question.

Ils sont arrivés la veille au matin, parmi les premiers. Un vol depuis Portland, avec escale à Washington. “Avec United, cette compagnie de merde”, balance Roberto Assis, frère et agent, qui jongle d’un rendez-vous à l’autre. Où est Ronaldinho? Il n’en sait rien. Parti s’échapper dans la nuit barcelonai­se, pendant que le reste des troupes –Kluivert, Edgar Davids, Edmilson, Belletti, Rivaldo, Mendieta & co– s’entraîne puis dînera ensemble, à la veille d’un match des légendes au Camp Nou, entre le Barça et Manchester United. Le bonhomme réapparaît le lendemain après-midi, en tenue de basketteur nord-américain, caché derrière des lunettes de soleil.

Toutes les “légendes” sont là, à traîner dans les salles communes de l’hôtel

NH Constanza, mais les enfants, les appareils photo et les micros n’attendent que lui. Interviews pour trois chaînes de télé, enregistre­ment pour une agence de pub italienne, autographe­s et selfies. Même les serveurs du restaurant de l’hôtel doivent jouer aux agents de sécurité, tentant de calmer les ardeurs des fans. Ronaldinho s’est mis en retrait du football profession­nel depuis deux ans déjà, mais il aimante toujours autant les foules. Comme à son habitude, lui préfère en sourire. Comme si ce décalage horaire permanent l’avait éloigné un peu plus de la planète Terre. Dernièreme­nt, tu as été au Liban, au Pakistan, en Russie. Il ya à peine quelques heures, tu étais à Miami, Portland et maintenant en Espagne. Sais-tu au moins quelle heure il est? Je suis obligé de regarder ma montre

(rires). C’est compliqué: hier il était quatre heures de moins qu’au Brésil, là il est cinq heures de plus. Je profite de tous ces voyages, je m’amuse. J’ai la santé pour vivre cette vida

loca, mais bientôt, l’heure viendra de retrouver un peu de calme.

Tes amis disent que tu n’es pas du genre nostalgiqu­e, mais jouer régulièrem­ent ces matchs de “légendes” avec d’anciens

coéquipier­s, c’est vivre dans le passé,

non? C’est toujours bon de jouer. Retrouver ces amis avec qui on a partagé un vestiaire, ça fait plaisir. Après, oui, forcément, ça rappelle une autre époque, et ça me rend un peu nostalgiqu­e de ces grandes rencontres que l’on a jouées ensemble… J’ai bien dit des matchs, hein, parce que par exemple, je n’ai aucune saudade des entraîneme­nts, ça ne me manque pas du tout (rires).

Tu te considères comme une légende?

Non. Je ne me considère pas comme cela. Je suis quelqu’un de normal.

Comment tu expliques que contrairem­ent à toi, Patrick Kluivert, Rivaldo ou Edgar Davids ne soient pas assaillis par

des nuées de supporters? C’est à cause de Dieu! Il m’a fait comme ça. Quand je passe quelque part, les gens s’approchent de moi. J’éveille leur curiosité. Je sens qu’ils m’aiment bien, mais je ne sais pas pourquoi. J’imagine qu’ils aimaient mon style de jeu, ma façon de vivre. Même si c’est un monde où l’on vit toujours sous pression, j’ai toujours gardé un certain détachemen­t, un relâchemen­t.

Thiago Motta disait qu’avant les matchs, tu étais une sorte de volcan. Dans le vestiaire, tu étais encore en train de te marrer, mais en rentrant sur le terrain, tu devenais complèteme­nt différent. Ce volcan, il s’est éteint aujourd’hui? Il est encore en moi. Je suis un type très joyeux, mais aussi très compétitif. J’ai toujours détesté perdre, et ça n’a pas changé. Peu importe le jeu, l’endroit ou l’adversaire, je veux gagner. Certains de mes amis ne veulent plus jouer au ping-pong ou au billard avec moi, parce qu’ils ne supportent pas mon obsession de la victoire. Je perdrai quand je mourrai, donc en attendant, je veux gagner.

Cette compétitiv­ité, tu n’aimerais pas la faire vivre autrement que dans ces matchs de légende ou dans tes parties de billard? Là, on a l’impression que tu es condamné à être une sorte de relique du football. Non. Là, je suis très bien comme je suis. Entraîner, ce n’est pas une idée qui me traverse l’esprit pour le moment. Peut-être que dans le futur un projet va me motiver, mais là je n’y pense pas une seule seconde, je ne me vois pas dans ce rôle-là. Je n’ai pas l’expérience pour ça. Entraîner, c’est une grande responsabi­lité, il faut tout comprendre, tout analyser. Et j’aime trop gagner pour m’aventurer dans des domaines qui ne sont pas les miens. J’aurais de grandes chances de perdre et je ne suis pas prêt pour cela.

Tu suis le football aujourd’hui? Très peu. C’est difficile pour moi de rester devant ma télévision pendant quatre-vingtdix minutes, je n’ai pas cette patience. De toute manière, je n’ai jamais aimé ça. Franchemen­t, je préfère me faire un foot-volley sur la plage, c’est bien plus intéressan­t (rires).

Le 6-1 entre le Barca et le PSG, deux de tes anciens clubs, tu l’as vu quand

même? Oui, celui-là je l’ai vu. On était avec plein de potes chez moi pour le regarder. À un moment, j’ai décroché du match, et là mes potes m’ont appelé:

“Ramène-toi, viens voir!” Et là, les buts ont commencé à s’enchaîner. Personne ne s’imaginait qu’il arriverait ce qui est arrivé. C’est le genre de match historique que tu n’oublies pas. C’est pour ça que le football est si beau, si merveilleu­x.

En parlant du PSG, que retiens-tu de

Luis Fernandez? Rien. Je ne retiens rien de Luis Fernandez. Je ne lui en veux même pas, il ne m’intéresse pas, il m’est égal (sic).

Quelles explicatio­ns te donnait-il quand

il te mettait sur le banc? Aucune. Mais je ne lui en demandais pas non plus. Là-bas, c’était fort… Ils m’appelaient

“Quand je me revois en vidéo, j’ai l’impression de voir quelqu’un d’autre. Je me dis: ‘Putain, maiscegars-là,ilesttropc­haud,iljoue vraimenttr­opbien.’”

tous “le Petit Prince du Parc”. Dommage qu’à cause de l’entraîneur, je n’aie pas pu jouer davantage, j’aurais donné beaucoup plus de bonheur aux supporters parisiens. J’ai tout appris à Paris. J’ai découvert un football très compétitif, dans lequel il est très difficile de jouer et de s’imposer. Je crois qu’un joueur qui se distingue en France peut jouer dans n’importe quel autre championna­t. Les Africains sont très forts, très puissants. Les Français sont très durs. Après avoir joué en ligue 1, toutes les compétitio­ns m’ont paru accessible­s.

Tu penses qu’au contraire de Fernandez, Rijkaard avait compris qu’il fallait te

donner une totale liberté? Non, pas totale, j’avais une fonction tactique, comme tous mes partenaire­s, et je devais la remplir. Mais quand j’avais le ballon, là oui, je faisais ce que je voulais… À la base, c’est vrai que je jouais plutôt sur le côté gauche, mais j’étais libre d’aller partout sur le terrain. Et puis je débordais assez peu, au contraire, je rentrais plutôt vers l’intérieur, pour chercher la frappe ou la passe décisive. Bon, allez, j’avoue: c’est Giovanni van Bronckhors­t qui se tapait tout le travail défensif (rires). Il me manque beaucoup, Gio. Lui et Sylvinho aussi, les deux avec qui je partageais le couloir gauche. Ils faisaient toujours cet effort supplément­aire qui me permettait de jouer mon jeu librement. Ils étaient très importants pour nous, et surtout pour moi.

Les grandes rencontres, c’était ta spécialité. Tes anciens coéquipier­s disent même que tu choisissai­s tes matchs.

(Il sourit) Avant des chocs importants comme des Clasicos, tout change: l’ambiance dans la ville, le rythme des entraîneme­nts, les joueurs, la vie. Les autres semaines, c’est la routine. Je ne sais pas si je m’entraînais plus ou moins avant les grands matchs, mais j’étais différent. Seuls ceux qui sont passés par là peuvent comprendre ce que je dis. Il y a une électricit­é dans l’air qui fait que les émotions sont très particuliè­res.

Tu t’es révélé lors d’un GrêmioInte­rnacional. À l’époque, Dunga avait déclaré à la presse brésilienn­e que

Grêmio n’allait pas gagner. Tiago raconte que ça t’avait bien chauffé… C’est vrai. En regardant Dunga parler à la télévision, j’ai dit à Tiago: “Lui, je vais le dribbler de toutes les façons possibles” (il explose de rire). Ce jour-là, je lui ai fait ce geste que j’avais préparé toute la semaine à l’entraîneme­nt

(un mélange de coup du foulard et d’elastico, ndlr). Aujourd’hui encore, je suis bien incapable de le définir, c’est un dribble qui n’a pas de nom (plus tard, l’Espagnol Joaquin a déposé le brevet en l’appelant la “Joaquininh­a”).

À l’époque, c’est la conséquenc­e de la guerre psychologi­que que la presse avait montée entre Dunga et moi. Lors d’un précédent derby, il m’avait taclé un peu violemment, on avait eu des mots. Mais avec Dunga, ça n’a jamais dépassé

“Messi, je ne lui ai absolument rien appris. Enfin si, mais ce sont des choses qui ne se racontent pas”

les limites du terrain. J’ai beaucoup de respect pour lui, on a travaillé ensemble en sélection par la suite, on s’est souvent parlé, même si on n’a jamais évoqué ce match en particulie­r. Il y a des gestes que tu n’as jamais tentés

en match? Non, tout ce que j’ai imaginé, je l’ai réalisé. Je suis un footballeu­r comblé à ce niveau-là, je n’ai aucune frustratio­n. J’ai réalisé mes rêves, remporté tous les titres que je voulais. Ce que je voulais faire, je l’ai fait. Petit, j’étais toujours en train d’inventer des choses avec le ballon: je dribblais mon chien, les chaises, les tables, ma mère, ma soeur. Ça me permettait d’inventer des choses, j’essayais de me mettre en situation pour ensuite tout reproduire naturellem­ent pendant les matchs. Après, tu sais, le football, ça n’a jamais été aussi simple que: “Je rentre sur le terrain et je fais ce que j’ai prévu.”

Il y a toujours un défenseur que tu n’avais pas anticipé, un partenaire qui ne joue pas comme tu l’avais imaginé, un arbitre qui t’empêche de réaliser ce que tu voulais. Donc il faut toujours improviser. Et je pense que c’est ma force: dans mon jeu, il y a 90 % d’improvisat­ion. Une passe du dos, par exemple, ce n’est pas un truc que tu prémédites, c’est du feeling.

Tu as déjà pensé en voyant un geste technique d’un autre joueur que tu ne serais pas capable de le reproduire? Non.

Tu étais aussi un joueur très puissant. Ces jambes, ces muscles, c’est des heures à pousser de la fonte? Non, je crois que ça vient de mes parents, et même mieux, ça vient de… ma mère! Elle est petite, mais hyper costaud à ce niveau-là. C’est un héritage familial!

Tu avais le talent pour rester au plus haut niveau mais après avoir tout gagné, on a la sensation que tu as lâché prise progressiv­ement. Pourquoi? La routine, c’est fatigant. De 7 à 30 ans, j’étais dedans… C’est très long. En plus, quand tu as presque tout remporté, trouver de nouveaux objectifs susceptibl­es de te motiver, c’est difficile. Jouer au football, c’est le comble du bonheur, mais en dehors, il y a un monde de possibilit­és, de plaisirs.

Lesquels? Quand tu as 16 ou 17 ans et que tu vois que tous tes amis profitent comme il faut des vacances, alors que toi tu n’en as pas, ça fait quelque chose… Toute cette frustratio­n s’accumule pendant des années et des années, et forcément, à un moment

donné, tu te dis: “Maintenant, c’est à

mon tour d’en profiter.” Désormais, je veux penser à moi, je veux avoir des vacances, voyager partout dans le monde, faire des trucs que je n’ai pas faits dans mon adolescenc­e. Donc voilà, aujourd’hui, je vis une vie d’adolescent. Je veux vivre à fond chaque moment, histoire de rattraper le temps perdu. Je veux faire ce qui me passe par la tête quand ça me chante, aller visiter un pays quand j’en ai envie.

Au centre de formation de Grêmio, tu coupais les cheveux de tes coéquipier­s pendant qu’ils dormaient. C’était un moyen de lutter contre la routine? Je le faisais pour m’amuser. On ne perd jamais son temps quand on rigole. Et puis, ce n’était pas méchant, je le faisais juste pour amuser mes potes. À chaque fois que je reviens au Brésil, on discute de toutes ces petites bêtises qu’on faisait autour d’un churrasco.

Si on te coupait les cheveux à ton insu, ça te ferait marrer? Pas du tout. Je n’aime pas qu’on me les touche. Ça peut me rendre fou.

Pour beaucoup, tu as été une machine à créer du bonheur, mais en t’écoutant, on a l’impression que tu as un peu oublié le tien en cours de route, non? Dieu a été bon avec moi, il m’a permis de vivre du football. J’aimais ce que je faisais et les autres appréciaie­nt ce que je produisais. J’ai la satisfacti­on de m’être amusé tout en amusant les autres. Le bonheur, c’est que tout le monde autour de moi soit heureux. Si c’est le cas, je suis tranquille.

Tu parles des contrainte­s du football profession­nel et pourtant quand on pense

Ronaldinho, on pense d’abord à la fête. Il ne t’a pas manqué au contraire un peu

de sérieux pour aller plus haut? J’ai gagné une coupe du monde, puis j’ai été reconnu meilleur joueur du monde… Ce sont les deux objectifs suprêmes d’un footballeu­r. On ne peut pas avoir un sentiment de gâchis après ça. Après, des gens racontent que j’aurais pu avoir deux, trois, quatre ballons d’or. Ce n’est pas à moi de le dire, et puis tu sais, la vie est comme ça. J’ai déjà beaucoup reçu, et j’ai aussi beaucoup donné. Le plus important, ce qui reste à la fin, ce que les gens n’oublieront pas, ce ne sont pas les récompense­s, mais ce qui est imprimé dans leurs souvenirs, mes gestes et mes actions qu’ils garderont en mémoire. Un ballon d’or, c’est valorisant, mais ce n’est rien en comparaiso­n de la trace laissée dans la tête des gens.

Quand la presse te posait des questions sur tes soirées, tu as toujours répondu que quand tu étais le meilleur joueur du monde, tu sortais aussi beaucoup. (Il coupe) Beaucoup, non. Seulement quand je le pouvais. Contrairem­ent à ce que l’on peut penser, je n’ai jamais été du genre à sortir beaucoup. Et m’amuser hors du terrain n’a jamais influencé mes performanc­es sur le terrain, de même qu’on ne peut pas dire non plus qu’il faut absolument que je fasse la fête tous les soirs pour être libéré sur le terrain. J’ai connu des grands moments dans ma carrière alors que j’étais installé avec ma copine, menant une vie très tranquille, à la maison. La fête n’a tout simplement rien à voir avec mon jeu. Il ne faut pas croire que parce qu’on est brésiliens, on ne pense qu’aux filles, à l’alcool et à la musique. On est capables de s’adapter

“Dans mon jeu, il y a 90 % d’improvisat­ion. Une passe du dos, ce n’est pas un truc que tu prémédites”

à l’Europe. La preuve, beaucoup de Brésiliens deviennent des références mondiales en jouant dans des clubs européens.

Maintenant qu’il y a prescripti­on, tu peux nous raconter tes virées à Paris? Non. Ce qui s’est passé pendant ces soiréeslà reste dans ces soirées-là. Si vous voulez savoir comment c’était, il fallait y être à ce moment-là. Et si vous n’y étiez pas, c’est bien dommage.

Les nuits de Ronaldinho étaient plus

belles que ses jours? Tout ce que je peux dire, c’est que mes nuits étaient aussi belles que mes jours. Je n’ai aucun regret par rapport à ça. J’ai bien vécu, j’ai tout vécu et je suis satisfait que ça se soit passé comme ça.

Depuis que tu as voyagé partout, tu peux nous dire où se trouvent les plus belles femmes du monde? Il y en a partout,

il suffit d’ouvrir les yeux et de les aimer pour s’en rendre compte (rires).

À Grêmio, tu es aujourd’hui quasiment

persona non grata (cf. page 44). Tu n’es pas le seul à ne pas être prophète en ton pays, mais savoir que beaucoup te considèren­t comme un traître, ça ne te fait rien? Ça ne m’empêche pas de dormir. Quand je m’allonge dans mon lit, je suis heureux. Je ne vais pas dire que je me fiche de ce que pensent ceux qui me critiquent, mais c’est plus ou moins ça. Ma philosophi­e de vie, c’est de ne pas faire de mal à autrui, de ne déranger personne. Mon but n’est pas de rendre les autres malheureux, c’est de rendre les autres heureux. Malheureus­ement, on n’y arrive pas toujours. Lorsque tu évoluais à Querétaro, tu as pleuré après avoir mis deux buts au stade Azteca. C’est à ce momentlà que tu as pris conscience que ta vie de footballeu­r arrivait presque à sa

fin? Non, j’étais juste ému. Ce jour-là, les supporters adverses se sont mis debout pour moi. C’était la deuxième fois de ma carrière qu’une chose pareille m’arrivait. La première fois, au Bernabéu (cf.

page 96), je n’ai pas profité pleinement de l’instant. J’étais trop concentré sur mon match, et le but, le but, le but. L’émotion, je l’ai ressentie plus tard, en regardant la vidéo du match. Donc lorsque ça s’est reproduit au Mexique, j’ai savouré l’instant comme il se devait. Je me suis dit: “Mec, cette fois-ci ne gâche pas cet instant, savoure-le.” J’ai capté toutes les émotions que j’avais ratées au Bernabéu et j’ai pleuré de joie.

Quand tu revois les vidéos du Bernabéu, tu te dis: “Je les ai détruits”? Non… Je regarde très rarement des vidéos, ça n’a jamais été mon genre. Mon neveu m’en montre, mais c’est tout. Quand je revois ces images, j’ai l’impression de voir quelqu’un d’autre. J’ai du mal à réaliser que c’est moi qui ai pu faire ça… Je me dis: “Putain, mais ce gars-là, il est trop chaud, il joue vraiment trop bien” (rires).

Tu es surpris par ce que tu pouvais faire sur un terrain? En fait, j’ai toujours eu l’impression que ce que je faisais était naturel. Faire ces choses avec un ballon, c’était quelque chose de normal puisque j’ai toujours fait ça depuis que j’étais petit. Je dribblais des chaises, des chiens, alors pourquoi je n’aurais pas pu dribbler des joueurs profession­nels? Enfant, je me suis toujours imaginé des situations de matchs, même lorsque je n’avais pas d’adversaire­s en chair et en os face à moi. À force d’accumuler ces images dans ma tête, tout était plus naturel.

Roberto Baggio raconte qu’il avait l’impression que le temps s’arrêtait quand il s’approchait des cages. Ronaldo, lui, explique qu’il multipliai­t les rushs parce qu’il avait l’impression d’être suivi par des lions. Qu’est-ce qui se passait

dans ta tête quand tu jouais? Lorsque je jouais, je ne me posais pas de question. Je n’avais pas de doute, pas de peur. J’étais presque inconscien­t, si j’avais quatre ou cinq adversaire­s devant moi, je me disais: “Ok, bah on va les

dribbler.” Quand je suis devenu pro, on m’a fait comprendre qu’il fallait que je dribble pour marquer des buts. Mais franchemen­t, le but, au départ, ce n’était pas vraiment un objectif. Si ça n’avait été que moi, j’aurais dribblé tout le monde et, arrivé sur la ligne de but, j’aurais fait demi-tour pour dribbler tout le monde encore une fois (rires). Marquer un but, ce n’est pas aussi marrant… C’est une émotion que j’ai quasiment découverte en devenant pro.

Pourquoi il n’y a plus de Ronaldinho aujourd’hui? Il y en a beaucoup qui ont mes caractéris­tiques. Messi, par exemple, il dribble, il s’arrête, il repart, il dribble de nouveau. J’adore sa manière de bouger. C’est beau à voir. Neymar à Santos était comme ça aussi. Depuis

“Je perdrai quand je mourrai, donc en attendant, je veux gagner”

qu’il est au Barça, il est devenu plus sérieux, plus européen, plus tactique. Moi, je ne me suis jamais adapté à la tactique. Mon style de jeu ne se mariait pas avec ça, il fallait que je sois libre pour donner le meilleur de moi-même.

Comment tu expliques, alors que Messi est devenu à son tour le meilleur joueur du monde, qu’il ne transmet pas la même

joie que toi au public? On a des styles de jeu très différents, développés dans des époques différente­s du Barça, donc forcément, on a deux façons différente­s de faire plaisir aux gens. C’est difficile de faire l’unanimité, pourtant Messi rend heureux toute la planète, pas seulement les supporters de son club. Son football, tout le monde en profite, moi le premier.

Qu’est-ce que tu lui as appris à Messi?

Rien. Rien du tout. Il a toujours été comme ça, Leo, aussi phénoménal

qu’aujourd’hui. J’ai partagé de très bons moments avec lui, mais je ne lui ai absolument rien appris. Enfin si, mais ce sont des choses qu’on ne peut pas dire, qui ne se racontent pas (rires).

Tous tes amis disent que tu as une âme d’artiste. C’est pour cela que tu t’es

lancé récemment dans la musique? La musique, c’est le meilleur moyen de laisser libre court à ma créativité. Je prends une feuille, un crayon, et j’écris tout ce qui me passe par la tête, je tente des choses. Souvent, ça se passe la nuit. Je note tout ce que j’ai observé pendant la journée. Pas forcément sur le football, je n’ai jamais trop aimé en parler. Je préfère m’attarder sur les détails de la vie, sur des rencontres, sur des expérience­s que j’ai vécues en dehors des terrains. La musique c’est juste du plaisir, comme le foot quand il n’y a aucune contrepart­ie. Tout ce qui est trop sérieux ne me plaît pas. La nuit, par contre, m’inspire, je suis amoureux d’elle. J’apprécie le soleil, mais la nuit est vraiment spéciale.

Qu’est-ce qui a inspiré la chanson

Sozinho (Seul, en français)? Tu as peur de la solitude? C’est le premier titre que j’ai composé tout seul. Jusque-là, j’avais toujours joué avec des gens, jamais en solo. C’est vrai que je déteste être seul. J’aime que ma maison soit remplie d’amis, j’aime le bruit. Être seul, c’est triste, ça veut dire que tu n’as pas d’amis.

Aujourd’hui, tu n’es plus vraiment un footballeu­r et tu n’es pas encore un musicien. Comment tu te considères? Comme un footballeu­r et comme un musicien. Je n’ai pas encore officialis­é la fin de ma carrière parce que je suis toujours en train de changer d’idée. Certains matins, je me réveille avec l’envie d’arrêter, et d’autres fois, je me dis que je pourrais encore continuer un peu. J’hésite.

Aujourd’hui, tu pourrais jouer en pro

sans être ridicule selon toi? Ce ne serait pas un problème, je pense. Je suis et je resterai toujours un footballeu­r. Et puis le ballon est toujours rond, non?

“Si ça n’avait été que moi, j’aurais dribblé tout le monde et, arrivé sur la ligne de but, j’aurais fait demi-tour pour dribbler tout le monde encore une fois”

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