So Foot

Le Santiago Bernabéu a ovationné Ronnie.

19 novembre 2005. Quelques jours avant de remporter le Ballon d’or, Ronaldinho provoque le licencieme­nt de Luxemburgo et sonne la fin de l’ère Galacticos après un Clasico qui a vu le Bernabéu lui offrir une ovation historique. Retour sur un moment de grâc

- PAR ANTOINE DONNARIEIX ET MAXIME DELCOURT / ILLUSTRATI­ON: CHAMO SAN

“Je me suis levé parce que ce jourlà, Ronaldinho a déshabillé mon club pour lui donner un bain dans lequel on a fini par se noyer” Juan Sanchez Gomez,

socio du Real Madrid à l’origine de l’ovation

r Après onze journées de championna­t, le Barça de Rijkaard, second de Liga derrière Osasuna, se déplace au Santiago-Bernabéu. Si les Catalans comptent un point d’avance sur leur ennemi juré, un monde sépare la maestria collective blaugrana du manque d’inspiratio­n affiché par les Merengues depuis le début de saison. Pour ce 199e Clasico de l’histoire, les Barcelonai­s peuvent surtout compter sur un Ronaldinho surmotivé à l’idée de mettre un peu de chantilly sur un Ballon d’or qui lui tend les bras. “Je l’avais accompagné au rassemblem­ent de l’équipe, juste avant qu’il s’envole pour Madrid. Avant de me quitter, il m’avait dit: ‘On va gagner’, rembobine Tiago, ami, bras droit et chauffeur personnel du Gaucho à l’époque. Il était confiant et sentait que toute l’équipe était à bloc derrière lui. Pendant la semaine, Deco n’avait pas arrêté de le chauffer en lui répétant: ‘C’est ton match: je vais courir pour que tu puisses briller.’” Comme jamais.

Zigzags et bouffées de chaleur

Si, ce 19 novembre 2005, Rijkaard ouvre une nouvelle ère en choisissan­t de titularise­r Messi à la place de Giuly, c’est bien Ronaldinho qui va faire l’amour aux Galacticos. Sur son deuxième ballon, il mortifie Michel Salgado d’un double contact supersoniq­ue. Quelques minutes plus tard, le Brésilien délivre une ouverture –à l’aveugle mais lumineuse– vendangée par Samuel Eto’o. Autant de préliminai­res qui font aujourd’hui oublier à Henrik Larsson que son équipe menait 0-1 à la pause. “Dès le début, on a senti qu’il était au-dessus et qu’il pouvait nous faire gagner le match à lui seul, sourit l’ancien

internatio­nal suédois. En première mi-temps, la plupart de ses tirs avaient été contrés, mais ça ne l’inquiétait pas plus que ça. À la pause, dans les vestiaires, on le sentait toujours cool. Il jouait sans pression, peu importe que ce soit le Real en face.” De retour sur le terrain, Ronaldinho est toujours aussi bouillant. Le premier Madrilène à avoir des bouffées de chaleur est Pablo Garcia, le seul milieu de terrain défensif aligné par Vanderlei Luxemburgo. “Ronaldinho partait toujours dans le sens contraire de ce tu pensais”,

sourit aujourd’hui celui qui était le porteur d’eau des Beckham, Ronaldo et Zidane. Hyperactif balle au pied, le prodige de Porto Alegre provoque la paralysie du Bernabéu à l’heure de jeu, lorsqu’il efface Sergio Ramos d’un coup de reins, marche sur Helguera et évite le retour désespéré de Pablo Garcia pour inscrire son premier but de la soirée. “Il est allé tellement vite que nous n’avons même pas pu faire faute sur lui, décrypte le milieu uruguayen. Il lui a fallu cinq secondes pour inscrire un but exceptionn­el. Après ça, le public ne pouvait qu’applaudir.” La reconnaiss­ance des spectateur­s madrilènes n’est pourtant pas pour tout de suite. Pour le moment, ils constatent simplement la “supériorit­é de

l’adversaire”. Ce sont en tout cas les mots choisis par Gerardo Tocino, président de la peña Gran Familia du Real Madrid, pour décrire l’atmosphère du stade après ce deuxième but. “Se défaire comme ça de deux défenseurs de la qualité de Sergio Ramos et Ivan Helguera pour ensuite marquer, cela te touche. Tu t’attends à ce qu’il puisse faire ce genre d’action, mais le voir en vrai, c’est autre chose…” Le pire, c’est que le Bernabéu n’a encore rien vu.

Maradona et les têtes de cochons

Alors que la Maison Blanche sombre dans la déprime, Ronaldinho va parachever son oeuvre à la 77e minute du match. Après un énième changement de rythme, il prend Sergio Ramos de vitesse et fixe Casillas du plat du pied. 3-0. C’en est trop pour les Merengues. Certains quittent le stade, d’autres agitent des mouchoirs blancs en guise de protestati­on. Juan Sanchez Gomez et son fils Juan Ruben, tous deux socios du Real Madrid, choisissen­t eux d’applaudir le récital. Bientôt suivis par l’ensemble du stade. Une séquence culte, jamais vue depuis

Maradona en 1983. “Je me suis levé parce que ce jour-là, Ronaldinho a déshabillé mon club pour lui donner un bain dans lequel on a fini par se noyer, explique Sanchez Gomez, qui ne savait alors pas que les caméras le filmaient. Je suis madrilène jusqu’à la moelle, mais il fallait se rendre à l’évidence: on était en train d’assister à une véritable exhibition de sa part.” Un sens du fair-play qui a eu des conséquenc­es désastreus­es sur la vie de ce supporter. Catalogué comme un traître par son peuple, l’homme a notamment dû fermer son restaurant après avoir reçu des menaces de

mort. “Si j’avais su que ça finirait comme ça, je ne me serais jamais levé, regrette-il aujourd’hui. Mais, pour moi, le Real Madrid doit avoir la courtoisie de reconnaîtr­e les mérites du rival. Contrairem­ent au Camp Nou, ici, on ne jette

pas des têtes de cochons sur la pelouse: on célèbre le génie des cracks indépendam­ment du maillot qu’ils portent.” Moteur de sa peña, Gerardo Tocino avoue qu’il ne reconnaîtr­a jamais la valeur d’un Barcelonai­s. Une question

de fierté et de jurisprude­nce, selon lui. “Ces images des personnes du Real qui applaudiss­ent Ronaldinho ont été utilisées par les socios du Barça pour se foutre de nous. Les visages étaient modifiés avec du rouge à lèvres, des boucles d’oreilles, des cornes… Voilà pourquoi rendre ce genre d’hommage à l’un des leurs, c’est donner de la confiture aux cochons.”

“T’as aimé le but, hein?”

Reste qu’au moment de célébrer son deuxième but de la soirée en levant les bras et les yeux

vers le ciel, le Brésilien est tellement aux anges qu’il ne se rend même pas compte de l’hommage qui lui est rendu. “Sur le coup, je n’y ai pas fait attention, c’est en revoyant le match à la télévision que j’ai pris connaissan­ce des applaudiss­ements.” À l’ouest, Ronaldinho? C’est en tout cas la théorie d’Eduardo Iturralde

Gonzalez, l’arbitre du match: “Il était sur une autre planète ce jour-là. Il se fichait de la pression. Dans une rencontre aussi tendue, voir un joueur aussi heureux, c’était un réel plaisir. Il souriait constammen­t, il dégageait une joie énorme. En se replaçant après son deuxième but, il m’a même glissé: ‘T’as aimé le but, hein?’ Honnêtemen­t, j’avais l’impression d’être face à une personne qui jouait avec ses amis sur la plage.” Ah, ces Brésiliens…

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