So Foot

L’enfance d’un traître.

Son talent exceptionn­el, ses gestes techniques et son sourire ont conquis la planète entière. Le Barca, l’ONU, la Fifa en ont fait leur ambassadeu­r, et même le Bernabéu s’est rendu à ses pieds. Pourtant, chez lui, à Porto Alegre, là où il est né, et où il

- Prieto Santos à Porto Alegre / Photos: DR, Picture-Alliance/Dppi, Iconsport, Imago/Panoramic et Afp/Dppi Par Léo Ruiz et Javier

Chez lui, à Porto Alegre, là où il est né, où il a grandi et passé toute son adolescenc­e, Ronaldinho est persona non grata. Pourquoi tant de haine? Réponse sur place.

“Son frère Matheus est mort dans l’accident d’avion

de Chapecoens­e”, informe pour la deuxième fois déjà Monica. Comme pour justifier la présence de Guilherme Biteco, actuel milieu offensif de Parana –club de deuxième division brésilienn­e–, sur les murs du secrétaria­t de l’école de foot de Grêmio. Dehors, le soleil se couche sur le fleuve Guaiba, offrant une lumière douce et orangeâtre aux parents venus observer la fin d’entraîneme­nt de leurs enfants. Des futurs cracks? C’est en tout cas ce que promet la pancarte affichée à l’entrée de l’Escolinha, coincée entre ce fleuve qui longe l’ouest de Porto Alegre et l’avenue Diario de Noticias, à hauteur de l’immense centre commercial Barra Shopping. Au-dessus de la tête de Monica, une photo d’équipe datant du début des années 90 est légendée “Sélection d’athlètes nés en 1979-80 –Ronaldinho”. Maillot bleu, blanc et noir rayé, le champion du monde 2002 est accroupi au milieu de la rangée du bas, un ballon dans la main droite. Sur un autre mur, le jeune Ronaldinho est encore là, cette fois-ci sur une vieille photocopie qui liste les joueurs de cette même génération 1979-80, photo d’identité, nom, date de naissance et signature à l’appui. Ronaldo de Assis Moreira, col rouge sur un pull jaune et gris, se distingue aisément de la vingtaine d’enfants qui l’entourent: il est noir, et surtout il sourit. Pas de quoi amadouer Monica, dont le visage se ferme à l’énonciatio­n de son nom: “Ici, il est persona non grata.” Entrée au club après son départ pour Paris, la secrétaire n’a jamais connu Ronaldinho. L’homme âgé qui rentre dans la pièce aidé d’une béquille, oui. Lui était là entre 1987 et 2001, quand le petit Ronaldo de Assis faisait les beaux jours de Grêmio. Mais il n’en parlera pas: il n’a pas envie d’être impoli.

Un tunnel sous la discothèqu­e

À Porto Alegre, capitale du Rio Grande do Sul, ces deux photos sont les seules traces du passage de Ronaldinho, pourtant de loin le meilleur joueur de l’État. Même chez lui, à Vila Nova, quartier de la zone sud où l’enfant prodige a passé ses huit premières années, rien ne lui rend hommage. En ce dimanche de fête des mères, Cristiano ouvre le portail de la petite maison de la rue Jerolomo Minuzo où il a grandi. C’était les années 80-90. “À l’époque, la rue n’était pas asphaltée et les habitation­s étaient en bois, dit-il, vêtu d’un jogging Adidas. Mais on ne manquait de rien. Notre monde, c’était ce pâté de maisons.”

Trente ans plus tard, les maisons se sont agrandies et bétonnées, des commerces se sont implantés, comme ce vaste magasin d’accessoire­s pour animaux à l’angle de l’avenue João Salomoni. Mais les habitants, protégés par des chiens et des grilles, semblent cloisonnés chez eux. “À cause de la violence qui règne en ville”, répètent-ils. Cristiano était le voisin de la famille Assis de Moreira.

“On passait notre temps à jouer au foot dans la rue ou dans le patio de leur maison”, rembobine-t-il. La maison en question n’existe plus. À la place, un lotissemen­t comprenant sept constructi­ons mitoyennes aux couleurs vives. Une pancarte “À louer” trône sur le portail blanc de l’entrée. Les volets sont tous fermés, sauf ceux

de la maison du fond. “C’est une cousine à eux qui y vit, précise une autre voisine. Les autres sont toutes inoccupées. Il y a deux ou trois ans, les joueurs du Porto Alegre FC (club de seconde zone qui appartenai­t à son frère Roberto Assis, ndlr) étaient logés ici. Ils faisaient un bazar pas possible, j’avais été obligé d’appeler la mère, Dona Miguelina, qui s’occupe des locations, pour lui demander de les calmer un peu.” En contre-bas, après une carcasse de limousine et une station-service Petrobras, se trouve le Periquito. Le premier stade de foot de Ronaldinho, historique­ment squatté par la famille.

“Entre les cousins et les oncles, ils formaient une équipe entière de Assis, se marre Cristiano. D’ailleurs, pour s’assurer de gagner, João, le père, faisait souvent jouer Roberto, alors grand espoir du centre de formation de Grêmio.” Sur le mur en briques qui donne accès au lieu –composé d’un grand terrain en herbe, d’un petit en terre, de balançoire­s, de toboggans et d’un coin barbecue– est écrit “Ser Assis 2001” et “Projeto Social”. Edimilson, quadragéna­ire reconverti en chauffeur Uber, joue ici tous les week-ends depuis des années. “C’est un oncle qui gère encore ça, assure-t-il. Mais il n’est pas en très bons termes avec Ronaldinho et Roberto Assis. Cet endroit, c’est là où ils sont nés footballis­tiquement, mais ils n’ont jamais mis un rond pour aider à le maintenir en

état.” Résultat: même ici au Periquito, les graffitis ignorent complèteme­nt la star internatio­nale que le lieu a enfantée. Pourtant, la famille s’est installée tout près, dans le quartier voisin de Cavalhada, au 4995 de l’avenue du même nom. Derrière un haut portique blanc, un agent de sécurité demande gentiment de circuler. Ceux qui sont déjà entrés décrivent une résidence de 1,5 kilomètre de long, avec un terrain de foot et une piscine aux dimensions “hors norme” où baigne l’énorme statue d’un ballon. Dona Miguelina, Roberto Assis et Deisi, sa soeur, vivent ici toute l’année. Ronaldinho, lui, ne fait que passer. Il réside à Rio, dans le quartier chic Recreio dos Bandeirant­es, “pour être plus près de son fils, de la scène musicale et d’un gros aéroport”, précise Tiago, son fidèle ami d’enfance. De l’autre côté de l’avenue Cavalhada, juste en face de la propriété familiale, le Planet

Music Hall, l’éphémère boîte de l’ancien Parisien, se dégrade sérieuseme­nt. Elle a fermé en 2012 après la mort devant ses portes d’un jeune homme de 18 ans, tué par balles par un vigile. Comme toujours, les légendes vont bon train sur le lieu: certains affirment que Ronaldinho a tenté de construire un tunnel reliant la boîte à sa propriété, et que des soirées privées avec les meilleurs artistes du Brésil s’y déroulent encore. Roberto Assis a installé à côté du bâtiment musical le siège de son entreprise Assis Group. “La vérité, c’est qu’ils possèdent une bonne partie du patrimoine immobilier de la zone sud, affirme le gardien d’une résidence voisine. Ils ne manquent de rien à Porto Alegre, sauf d’amour. Au moins la moitié de la ville les déteste. Du coup, ils restent enfermés chez eux et ne circulent qu’avec des gardes du corps, dans des voitures aux vitres teintées.”

“Mon père a disparu!”

Que s’est-il passé pour en arriver là? Encore une fois, c’est par le frère que tout commence. De neuf ans l’aîné de Ronaldinho, Roberto Assis est le premier crack de la fratrie. Promesse du centre de formation de Grêmio et des jeunes de la Selação, il tape dans l’oeil du Torino, qui l’invite pendant deux semaines dans le nord de l’Italie pour visiter les installati­ons du club. Pour garder son joyau, le président de Grêmio, l’ancien député Paulo Odone, prend les devants. “Le père, João, bossait au stade Olimpico, resitue-t-il depuis son bureau de la banque Badesul avec vue sur toute la ville. Assis avait 17 ans, ce n’était pas commun à l’époque

“Au moins la moitié de la ville les déteste. Du coup, ils ne circulent qu’avec des gardes du corps, dans des voitures aux vitres teintées” Gardien d’une résidence voisine de celle de la famille Assis de Moreira

de proposer un contrat pro à un joueur aussi jeune. João voulait aussi une maison avec piscine. On signe le contrat, et là, il me dit: ‘Président, celui-là ne vaut rien. Le vrai talent, c’est son petit frère!’

Quelques jours plus tard, je reçois un coup de fil d’un employé du centre de formation: ‘On a un problème: Ronaldinho est trop fort et ça énerve les parents des autres gamins.’ Depuis cette époque

là, les parents ne peuvent plus assister aux entraîneme­nts.” Le paternel, gardien de parking de l’Olimpico le week-end et soudeur pendant le reste de la semaine, s’offre aussi un caméscope. Qui lui permet notamment d’immortalis­er une prophétie qui fait toujours chialer Ronaldinho: “Sur les images, on voit mon père dire face

caméra: ‘Toi, Ronaldinho, écoute-moi bien: un jour, tu seras la star d’une coupe du monde!’ J’avais six

ans à l’époque.” Malheureus­ement, João ne verra jamais son fils soulever la coupe du monde 2002. Ironie du sort, c’est dans la piscine qu’il avait négociée que le père, un peu trop ami avec la cachaça, perd la vie quelques mois seulement après les premiers pas d’Assis en pro. “Ce jour-là, il y avait une fête dans leur maison, explique Lessandro, le voisin d’en face. Ronaldinho avait huit ans. Je le revois encore sonner chez nous:

‘Mon père a disparu!’ Ensuite, il est allé voir s’il se trouvait dans le bar au coin de la rue… En fait, son corps se trouvait au fond de la piscine, mais personne ne s’en était rendu compte parce que l’eau était très sale…”

La maison bleue aux couleurs de Grêmio, située au 215 de la rue Mura, toujours dans la zone sud de Porto Alegre, appartient encore à la famille. Mais cachée derrière de hauts murs, elle sert seulement de dépôt. Lessandro, revenu vivre chez ses parents suite à son divorce, invite dans le salon d’en face. “Son père mort, sa mère qui bossait beaucoup à l’hôpital, son frère parti en Suisse (au FC Sion): jusqu’à ses 13, 14 ans et son entrée au centre de formation de Grêmio, il passait beaucoup de temps chez nous. Et on ne va pas se mentir, je ne l’ai jamais vu faire des devoirs ou avoir un livre dans la main. Seul le foot l’intéressai­t.” Surdoué, Ronaldinho ne compte plus le nombre d’équipes dans lesquelles il met à l’oeuvre son talent exceptionn­el. Il y a d’abord celle de la rue Mura. “On jouait toujours contre des gamins plus âgés, mais ça ne l’empêchait pas de les détruire. Avant les matchs, j’étais obligé de lui demander d’y aller doucement.” Un clasico naît contre la bande de l’avenue Ararangua. “En face, ils avaient Leandro, un ado de 1,90 mètre. Un jour, Ronaldinho a carrément passé tout son corps entre ses jambes pour poursuivre l’action. Il inventait toujours des choses comme ça, ça le faisait marrer.” Dans la cour du collège Langendonc­k, le nouveau venu est aussi la grande attraction. Située à cinq minutes à pied de chez lui, l’école n’a pas changé depuis le début des années 90. Au grand dam de la directrice. “Le vieux terrain en béton où Ronaldinho jouait est à l’abandon, dénonce-t-elle. L’État fédéral est censé nous construire

un gymnase depuis 2012. Peut-être que l’argent va arriver dans

une boîte de chaussures de foot...” Sa manière à elle de dire qu’un coup de pouce de Ronaldinho n’aurait pas été de trop. Juçana, la secrétaire tout en rondeur, se demande elle pourquoi “les gamins

doués au foot n’aiment jamais l’école”, avant de sortir d’un placard les bulletins de Ronaldo de Assis Moreira. Excellente­s en sport, expression artistique et religion, les notes le sont beaucoup moins en maths et en portugais. C’est tout ce qu’il reste du passage de Ronnie entre les murs du Langendonc­k. Assez pour qu’Antonio, son ancien professeur, se souvienne de son évolution: “Pour moi qui suis socio de Grêmio, voir arriver le frère et la soeur d’Assis dans mon collège, c’était quelque chose. Ronaldinho était l’attraction de l’école. Quand il marquait, il allait voir le public. On peut dire qu’il avait déjà le sens du spectacle.” À tel point que le professeur se met à organiser des tournois les samedis matins, “juste pour

le voir jouer”. Comme tous les autres, Antonio décrit un enfant souriant, respectueu­x et très timide. “Parfois, quand il n’avait pas cours, il tournait autour du collège pour jouer au foot à l’intérieur, mais il n’osait pas y entrer si un autre garçon n’ouvrait pas la voie. Ce n’était pas un mauvais bougre. Il avait rarement le courage de faire des bêtises.”

Bala, Bombom et trafic de Big Mac

Plus que des souvenirs et des superlatif­s, Cleon, lui, a des images. Dans sa maison proche du centre-ville, il sort son ordinateur, ouvre VLC et appuie sur play. Sur l’écran, on voit le jeune Ronaldinho dans un gymnase sombre, sous un maillot bleu trop grand, effacer un à un ses adversaire­s, enchaîner les buts et les offrandes pour ses coéquipier­s. “C’est une de ces vidéos que

Nike a utilisée pour une campagne Joga Bonito, précise Cleon. Il a fait la même action que Pelé, mais à 12 ans et dans un petit gymnase.” Ronaldinho laisse passer la balle entre ses jambes et contourne le gardien, qui n’y a vu que du feu. L’homme qui filme hurle: “C’est le nouveau Pelé, c’est le nouveau Pelé!” “Il n’était pas loin d’avoir raison, sourit Cleon, avant de révéler le secret de ces

images rares. Je bossais à Procergs, une entreprise publique de Porto Alegre. Pour occuper nos gamins, j’ai monté une équipe de futsal. Comme on n’était pas assez, certains avaient invité des amis. Le fils d’un collègue a fait venir Ronaldinho. Il avait 10 ans, mais dès le premier entraîneme­nt, on l’a passé avec les plus grands.” L’équipe est inscrite à la fédération de l’État du Rio Grande do Sul et avant de commencer la saison, Cleon organise un match amical

contre une autre équipe de la ville. “Là, on s’est mis d’accord pour faire d’abord jouer les remplaçant­s contre les remplaçant­s, puis les titulaires contre les titulaires. Comme Ronaldinho était nouveau, je le mets dans l’équipe des remplaçant­s. Sur son premier ballon, il met trois coups du sombrero. Le coach de l’autre équipe s’est énervé:

‘C’est qui celui-là? On avait dit d’abord les remplaçant­s!’ Je le sors. Mais quelques minutes plus tard, il faisait le même show contre les titulaires qui avaient pourtant entre deux et trois ans de plus que lui.” Entre 1990 et 1994, l’équipe de Procergs remporte tous les tournois auxquels elle participe. Les succès sont tels que Grêmio, soucieux de préserver sa pépite, met brutalemen­t fin à l’aventure. Mais pour Cleon et son fils Caco, devenus “l’une des nombreuses

deuxièmes familles de Ronaldinho”, le spectacle continue sur la plage Capao Novo pendant les étés. “On avait 14 ans, explique Caco, lui aussi passé par Grêmio. On s’était monté une équipe, appelée Palmeirinh­as, en référence au club de Palmeiras. C’est plutôt calme normalemen­t, mais le bouche-à-oreille sur les exploits de Ronaldinho a transformé nos matchs en vrai shows. Les gens

“C’est sur moi qu’il a tenté et réussit un sombrero pour la première fois. Il m’en a tellement mis qu’aujourd’hui je ne fais même plus attention quand je sens qu’un ballon passe au-dessus de ma tête” Dona Miguelina, maman de Ronaldinho

s’attroupaie­nttoutes les équipes autourdu coindu terrain venaientet nous défier.” À la maison, Ronnie travaille ses doubles contacts avec ses chiens, Bala et Bombom. Quand il pleut, il s’amuse à aligner les chaises dans le salon pour passer la balle par-dessus. Souvent, il humilie sa mère. “C’est sur moi qu’il a réussi un sombrero pour la première fois, sourit-elle. Il m’en a tellement mis qu’aujourd’hui, je ne fais même plus attention quand je sens qu’un ballon passe au-dessus de ma tête.” Au Grêmio enfin, c’est avec Gaviao que Ronaldinho se perfection­ne. Et pour cause, lorsqu’il débarque au centre de formation en 1994, ce milieu relayeur repéré à Itaqui, petite ville près de la frontière argentine, a quelques passions en commun avec Ronnie: la fête et les fast-foods. “Il

adorait le Coca-Cola et les hamburgers du McDo, lance-t-il depuis

un café du Barra Shopping, face à l’Escolinha. Dans le centre de formation de Grêmio, il y avait carrément un trafic de Big Mac.”

Quand ils ne s’empiffrent pas ensemble, Gaviao fait le sale boulot

pour son ami. “Je courais pour lui mais ça ne me posait aucun problème, parce que comme tous les autres, je savais qu’il allait nous faire gagner les matchs. Le regarder jouer, c’était aussi beau que d’observer un tableau du Louvre. Il était tellement au-dessus qu’il nous faisait réfléchir sur notre niveau.” La génération 197980 gravit les échelons, enchaîne les trophées et attire l’attention au-delà des frontières du Rio Grande do Sul. Comme Ronaldinho, Gaviao intègre les sélections nationales de jeunes. “Cela se passait bien, mais entre nous, on commençait à se demander si on réussirait à passer profession­nels. Ronaldinho, lui, n’avait aucun doute là-dessus. Il parlait de ressembler à ses idoles, Ronaldo et Romario, et de jouer pour le Real ou le Barça”, confie Gaviao,

qui gère aujourd’hui un business d’agronomie. Malgré son ambition démesurée, Ronaldinho n’oublie pas qu’il n’est qu’un ado. “Quand il n’arrachait pas des sourcils avec du sparadrap, il coupait les cheveux des

joueurs qui dormaient, s’amuse Tiago, un ancien pensionnai­re du centre de formation de Grêmio devenu par la suite bras droit du Gaucho en Europe. Ronaldinho a toujours été un gamin dans sa tête, même aujourd’hui.”

“Tu vas jouer sur des pelouses pourries”

À 16 ans, le gamin vaut déjà de l’or. Nike Brésil, par l’intermédia­ire de son patron catalan Sandro Rosell, lui met d’ailleurs le grappin dessus en échange de quelques paires de pompes et un contrat de 2000 euros par an. De leur côté, les dirigeants de Grêmio préparent aussi le terrain, et profitent du fait que Ronaldinho dispute la Copa America des moins de 17 ans au Paraguay pour aller sonner chez Dona Miguelina. “On se souvenait encore de

l’affaire d’Assis et du Torino, plante le directeur du centre de formation, Sergio Vazquez, depuis une tribune de l’Arena Grêmio, le stade flambant neuf du club, construit au nord de la ville.

On a donc proposé à sa mère un premier contrat de trois ans, le maximum qu’on pouvait faire. Ronaldinho allait gagner 2 000 dollars par mois, plus 30 000 reais (environ 8 000 euros) de prime à la signature.” En 1998, Ronnie fait ses débuts en équipe première et un deuxième contrat, profession­nel celui-ci, tombe.

“Après quelques jours, je lui ai demandé s’il voyait une différence entre jouer en pro et chez les jeunes, se souvient encore Vazquez.

“Quand il n’arrachait pas des sourcils avec du sparadrap, il coupait les cheveux des joueurs qui dormaient. Ronaldino a toujours été un gamin dans sa tête, même aujourd’hui” Tiago, ancien pensionnai­re du centre de formation de Grêmio

Il m’a répondu: ‘Au centre, tu choisis le parfum de glace que tu veux alors qu’en pro, tu peux choisir la couleur de ta voiture.’” Pour Ronnie, ce sera une Fiat Marea toute neuve. Problème: systématiq­uement convoqué en sélection, le jeune prodige n’a pas le temps d’en profiter. Le tournant a lieu au début de l’année 1999. “Cette fois, il a fait toute la présaison avec nous, informe Celso Roth, coach de l’époque. Le football gaucho est plus proche de l’uruguayen, très dur, physique. Je lui ai dit: ‘Tu vas jouer sur des pelouses pourries de l’intérieur de l’État. Si tu t’en sors, tu ne bougeras plus de l’équipe.’” Ronnie termine meilleur joueur et meilleur buteur du championna­t gaucho. Lors de la finale d’appui, un clasico contre Internacio­nal, le numéro 10 local inscrit le but du titre et crucifie Dunga d’une sorte d’elastico en coup du foulard (cf. p.30). Convoqué dans la foulée en Selação, Ronaldinho remet ça contre le Venezuela lors d’un match de Copa América, que le Brésil remporte haut la main. Coup du sombrero, accélérati­on, but. L’action fait le tour du monde: “Après ce match-là, les gens ont arrêté de me voir comme un moche sympathiqu­e. À leurs yeux, je suis tout d’un coup

devenu très beau”, synthétise celui que la presse surnomme affectueus­ement Dentuço, grandes dents. Quelques semaines plus tard, Ronnie finit meilleur buteur de la coupe des confédérat­ions remportée par le Brésil. Le joueur passe dans une autre dimension, chose que ne semble pas mesurer la direction de Grêmio, qui ne revalorise pas son contrat. Si les principaux responsabl­es de l’époque se défendent à coup de chiffres tous différents, les coéquipier­s du crack le reconnaiss­ent sans détour: alors que l’équipe dépendait entièremen­t de Ronaldinho, la plupart de l’effectif gagnait davantage que lui. “C’est au milieu

de l’an 2000 que le mal-être s’est installé, date Gaviao. Vu ses performanc­es (43 buts en 57 matchs dans la saison), la question de son salaire se posait logiquemen­t. C’était évident que Grêmio devenait trop petit pour lui.” C’est ainsi qu’Assis, profitant de l’entrée en vigueur de la loi Pelé –en fin de contrat, les joueurs sont dorénavant libres de s’engager avec qui ils souhaitent–, fait signer à son petit frère un précontrat avec le PSG, au nez et à la barbe des dirigeants grêmistas. “On n’avait plus aucun moyen de le garder, regrette Denis Abrahao, vice-président de l’époque. Ronaldinho nous jurait que c’était faux, qu’il n’avait rien signé, qu’il aimait Grêmio. En janvier 2001, alors que tout le monde était en vacances, Dona Miguelina est même venue me voir en pleurant pour me demander de ne pas le laisser s’en aller. Selon elle, il n’était pas prêt mais c’est Assis qui décidait.” En ville, l’affaire prend une ampleur considérab­le. À l’occasion d’un match contre Botafogo, Ronnie est sifflé par les siens. En parallèle, les dirigeants portent l’affaire devant la Fifa, histoire de récupérer quelques millions de dollars. Deux ans plus tard, à l’occasion du centenaire du club, le meilleur

joueur de l’histoire de Grêmio n’apparaît pas dans le Hall of Fame.

“Son départ, c’était un piratage, s’agace encore aujourd’hui José Alberto Guerreiro, président du club à l’époque. On était prêts à faire de gros efforts pour le garder, mais ça n’a pas suffi. L’histoire entre lui, le club et la ville aurait été tout autre.” À l’époque, Celso Roth est l’un des rares à ne pas considérer Ronaldinho comme un

mercenaire. “Le Brésil forme des joueurs pour que les Européens les achètent, ça a toujours été comme ça. Sauf que Grêmio a voulu inverser cette situation et c’était impossible, explique-t-il. Le souci, c’est qu’on forme des joueurs, pas des hommes. Ronaldinho était un crack mais c’était un jeune homme immature. D’ailleurs, la dernière chose que je lui ai dite c’est ‘Que Dieu t’accompagne’.”

Ronnie et Grêmio, acte II

Entre Grêmio et celui qui est devenu R10, il y a un deuxième chapitre, plus douloureux encore. Celui de trop pour les supporters. En septembre 2010, Paulo Odone est élu pour la troisième fois président du Tricolor. À ses côtés, César Cidade Dias, fils et petitfils de dirigeant et “fan” de Ronaldinho, se met en tête de rapatrier l’astre de la maison, dix ans après son départ chaotique. “Je laisse un message sur le téléphone d’Assis pour savoir si ça intéresser­ait son frère de rentrer au Brésil, retrace-t-il. Il me répond dix jours plus tard: ‘Non seulement il va retourner au Brésil, mais il va le faire à Grêmio!’” Des négociatio­ns secrètes sont aussitôt lancées. “J’ai dit à Assis: ‘Il faut que ça reste entre nous. Si le deal ne se fait pas, ça peut avoir des conséquenc­es désastreus­es sur le club et sur ton frère.’ Ronaldinho n’était pas du tout une promesse électorale, si ça avait été le cas, on n’aurait jamais été élu, parce que les Grêmistas le détestaien­t depuis l’épisode du PSG.” Odone fait justement partie de ceux-là, mais Cidade Dias finit tout de même par lui retourner le cerveau en le convaincan­t que Ronnie est le seul capable de faire de l’ombre à la Copa Libertador­es remportée par l’Internacio­nal Porto Alegre. “Faire revenir Ronaldinho, c’était un moyen d’enrayer la dynamique des Colorados, en plus d’acter une réconcilia­tion historique. Il serait devenu une légende en ville et toute la nouvelle génération de Porto Alegre serait devenue fan de Grêmio.” Un conte de fée qu’Odone avait fini par avaler, au point d’en faire un véritable business plan. “La coupe du monde se profilait au Brésil, il y avait plein d’investisse­urs prêts à mettre de l’argent dans le foot, on ne voulait pas rester en-dehors de ça. Après la constructi­on de l’Arena, l’idée c’était que Ronaldinho soit la cerise sur le gâteau. Le monde entier allait parler de ce retour à la maison.” Mais les choses se corsent. Dur en négociatio­ns, Assis en demande un peu plus à chaque fois. “Et nous, on disait oui comme des cons, peste Dias, qui en a gros sur la patate. On offrait 98 millions de reais (25 millions d’euros) sur trois ans, puis d’un coup, il voulait une loge. Putain, mais avec 98 millions, il pouvait acheter le stade entier!” Alors que la signature est imminente et que des enceintes sont installées à l’Olimpico pour officialis­er son retour, Odone met fin à la telenovela après une énième requête d’Assis: 12 millions en plus, “pour le Milan AC”. Le lundi suivant, Ronaldinho signe à Flamengo devant les caméras de télévision. Au même moment à Porto Alegre, son ancien professeur Antonio a une sensation de déjà-vu devant son petit écran. “Il était tout replié sur lui-même, ça m’a rappelé quand il était petit, à chaque fois qu’il faisait ça, c’est parce qu’il avait fait une bêtise.” Il y a un peu de ça. Car selon Tiago, son ami désirait vraiment rentrer au bercail. “Il voulait effacer la mauvaise image que les gens d’ici ont de lui. Le souci, c’est qu’il sentait qu’Odone n’était pas très chaud. Il voulait le

“Après ce match contre le Venezuela, les gens ont arrêté de me voir comme un moche sympathiqu­e. À leurs yeux, je suis tout d’un coup devenu très beau” Ronaldinho, à propos de son premier but en Selação

voir en personne, mais il lui a répondu: ‘Signe d’abord, on se verra

ensuite.’ Ronnie c’est un mec à l’ancienne, il préfère une bonne poignée de mains à des promesses faites au téléphone.” Reste que Cidade Dias n’a jamais digéré la feinte de Ronnie. À l’époque, Dias est tellement dégoûté du football qu’il démissionn­e. “Avant ça, je considérai­s Ronaldinho comme un crack, mais désormais, j’en ai une image pathétique. C’est un homme qui n’a pas de profondeur, pas de coeur.”

Amour, larmes et éternité

Chez les Grêmistas, la pilule ne passe pas. Quand il débarque à l’Olimpico avec le maillot de Flamengo sur les épaules, l’enfant du pays est reçu avec la manière. “Ne lui jetez pas de pièces, il va les ramasser”, disent les pancartes. Antonio était dans les tribunes ce jour-là. “Je le regrette aujourd’hui mais avec mon fils, on l’a sifflé, on l’a insulté et on lui a jeté des billets.” Pour Celso Roth, cette relation d’amour et de violence n’a rien d’étonnant. Selon lui, la couleur de peau de Ronaldinho expliquera­it en grande partie ce déversemen­t de haine. “Contrairem­ent à l’Internacio­nal, qui est une excroissan­ce grêmista, Grêmio est historique­ment le club de l’élite de la ville. C’est un club d’immigrés allemands qui n’acceptait ni les Noirs ni les juifs il y a encore quarante ans. Les socios sont déçus, évidemment, mais en filigrane,

je peux vous dire que certains se disent: ‘Comment un Noir peutil se permettre de dire non à un club de Blancs?’” Triste comme cet Olimpico, dernier vestige des exploits de Ronaldinho à Porto Alegre, qui tombe lentement en ruines depuis 2013. Ces derniers temps, l’enceinte est même devenue un repaire pour les sniffeurs de colle du quartier. De l’époque de Ronnie, il ne reste que la petite épicerie de Luciano. “Avec le déménageme­nt vers l’Arena, le quartier a beaucoup perdu, regrette ce dernier. Avant, il y

avait passait 400 régulièrem­entjoueurs au quotidien,pour s’acheterplu­s les des supporters.sucreries. Pour Ronaldinho­son retour raté, on avait même fermé la rue et installé des banderoles de bienvenue.” Haï par une bonne partie de la ville, le joueur, à l’arrêt depuis deux ans, compte encore quelques défenseurs. Comme Claudio Duarte. Un homme qui ne croit plus en la notion d’amour du maillot, une connerie qu’il a combattue en fondant le syndicat des joueurs profession­nels lorsqu’il était capitaine de l’Internacio­nal dans les années 70. C’était avant de pouvoir se targuer d’avoir entraîné Assis et son frère dans le club rival des Colorados. “Les sentiments appartienn­ent aux supporters, mais pour les joueurs, le football est avant tout un travail,

estime le coach moustachu. L’amour du club, c’est gentil, mais quand il n’a plus besoin de toi, il te jette. Respecter l’institutio­n, ce n’est pas embrasser l’écusson sur le maillot mais se conduire en profession­nel. À Grêmio, Ronaldinho n’a jamais eu un seul problème avec ses coéquipier­s et ses entraîneur­s.”

Caco, son ami et partenaire de l’épopée Procergs, n’en dit pas moins. Pour enrichir sa formation d’entraîneur, ce sosie de Sampaoli s’est rendu

à Barcelone en 2004. “Je me suis pointé au club et il était là. Il a alors réuni tous les fonctionna­ires du Barça et leur a dit: ‘Vous allez

aider ce gars parce que son père m’a lancé dans le foot.’ J’avais les larmes aux yeux. Le traitement qu’il subit en ville est totalement injuste. Mais c’est typique de chez nous, où les gens sont aveuglés par la passion. Dans quelques années, on passera à autre chose et on se rappellera peut-être qu’il est le meilleur joueur que cette terre nous a donné.” Avant de raccompagn­er à la porte, Cleon, le père, sort un maillot du Barça, signé par Ronaldinho. Dessus est écrit

au marqueur: “Pour Cleon, de la part de ton joueur éternel”.

“En janvier 2001, sa maman est venue me voir en pleurant pour me demander de ne pas le laisser s’en aller au PSG. Selon elle, il n’était pas prêt, mais c’est Assis qui décidait” Denis Abrahao, ancien vice-président du Grêmio

 ??  ?? En 1999.
En 1999.
 ??  ?? Et, comme d’hab, on oublie les petites sauces.
Et, comme d’hab, on oublie les petites sauces.
 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? Sur la dune du Pilão.
Sur la dune du Pilão.

Newspapers in French

Newspapers from France