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Ronaldinho chez les Aztèques.

CHEZ LES AZTÈQUES

- Par Thomas Goubin, à Querétaro / Photos: Afp/Dppi, Panoramic et Photoshot/Iconsport

Il est le premier ballon d’or à avoir joué dans le championna­t mexicain. C’est cool, mais ça ne l’a pas empêché de faire n’importe quoi.

À 34 ans, le Ballon d’or 2005 décide de distiller les dernières gouttes de talent qui lui reste à Querétaro, un club mexicain sans relief. Adulé par toute une ville et tout un pays, il y vivra à ses aises, s’entraînera peu, et jouera de temps en temps…

CComme des fans. Assis dans la tribune qui borde le terrain d’entraîneme­nt, ils admirent le spectacle. Face à des gardiens désarmés, les coups francs s’enchaînent, frappés avec une précision diabolique. La nouvelle recrue fait forte impression. L’internatio­nal américain Jonathan Bornstein, l’emblème du club Marco Jimenez, l’internatio­nal mexicain Yasser Corona ou le capitaine argentin Miguel Martinez se pincent pour y croire. L’homme qui envoie une master class en coups de pied arrêtés est désormais leur coéquipier. Et trois ans après les faits, le sentiment d’une certaine absurdité ne s’est toujours pas dissipé. “Quand Ronnie est arrivé, l’entraîneur m’a dit de le présenter au groupe. Du coup, j’ai dit à mes coéquipier­s:

‘Les gars, je crois que vous le connaissez’”, sourit aujourd’hui Martinez, assis dans un coin

d’herbe des installati­ons de Querétaro. “Pour nous, Ronaldinho, c’était un joueur avec lequel on jouait à la Playstatio­n, enchaîne Yasser

Corona. Personnell­ement, je n’aurais jamais imaginé le voir de près, alors jouer avec lui, encore moins…” Ronaldinho à Querétaro, c’était aussi envisageab­le que de voir Totti débarquer à Nancy ou Xavi à Guingamp. En 2014, c’est pourtant dans cette ville située à deux heures de voiture de la capitale mexicaine que le Ballon d’or 2005 pose ses valises, pour jouer dans un club qui a passé sa dernière année et la majeure partie de son existence à lutter pour se maintenir en première division. Mais pour quoi faire, bordel?

Premier Ballon d’or du foot mexicain

Victor Manuel Vucetich, entraîneur de Ronnie de février à mai 2015, a sa petite idée sur la question: “Son recrutemen­t, ce n’était que du

marketing.” L’ex-idole du Camp Nou est la star censée faire connaître un club qui vient de s’acheter une ambition, depuis son rachat par Olegario Vazquez Aldir en juin 2014. À 45 ans, ce descendant de Galiciens proche du PRI (Parti révolution­naire institutio­nnel), au pouvoir à Mexico, dirige une holding fondée par son père, qui regroupe notamment des hôpitaux privés, une chaîne d’hôtels de luxe et des établissem­ents financiers. Grupo Imagen, branche média de la prospère affaire familiale, est le propriétai­re des Gallos Blancos de Querétaro, un club qui faisait jusque-là parler de lui pour ses retards de paiement envers ses joueurs. Ce n’était pourtant pas faute d’avoir de l’argent, puisque l’ancien propriétai­re, Amado Yañez, s’est notamment retrouvé en prison pour avoir détourné vers les comptes du club un crédit bancaire de 55 millions de pesos obtenu à la base par son entreprise pétrolière. Missionné par Vazquez Aldir pour redorer le blason de sa nouvelle acquisitio­n, le jeune président Arturo Villanueva obtient un rendez-vous, via un ami commun, avec Roberto Assis. Le frère et agent de Ronaldinho connaît le Mexique pour avoir joué aux Tecos Guadalajar­a durant une saison, en 1999-2000. Il a aimé la vie au pays de Salma Hayek et aurait d’ailleurs proposé Ronnie à plus d’un club de Liga MX. Annoncé en Inde, aux Palmeiras ou en MLS après son départ de l’Atlético Mineiro, le joueur écoute son frère et les conseils de son ami et ex-coéquipier Rafa Marquez, puis signe le 5 septembre 2014 un contrat qui le lie pour deux saisons au club mexicain. Pour le plus grand plaisir de Villanueva. “Nous avons signé une star et c’est ce que nous voulions. Ronnie est un mec incroyable. Il n’a besoin que d’un ballon et de musique pour être heureux. Il est enchanté par le Mexique, sa nourriture et ses femmes. Avec lui, Querétaro fait une incroyable opération.” À l’époque, son salaire annuel est fixé à deux millions de dollars. Loin d’être exceptionn­el pour le premier Ballon d’or de l’histoire du football mexicain. Alors, pour arrondir ses fins de mois, le joueur prête aussi son image pour les besoins des différente­s entreprise­s de l’influente famille Vazquez Raña.

“Ça faisait partie du deal, assure le directeur

sportif Joaquin Beltran. Après, on a surtout pris Ronnie pour ce qu’il pouvait nous apporter sur le terrain.” C’est bête, c’est justement la partie de l’aventure mexicaine qui intéresse le moins le Brésilien.

Resto routier et viande brésilienn­e

Dans cette ville touristiqu­e à l’architectu­re coloniale et aux trois mille bâtiments historique­s, Ronnie prend rapidement ses marques. Le 14 septembre, avant même d’avoir disputé le moindre match, le champion du monde 2002 se rend ainsi au Celtics, un pub irlandais comme on en trouve dans toutes les villes mondialisé­es: affiches Guinness, jeu de fléchettes et comptoir en bois massif, ou quelque chose qui y ressemble. Le milieu de terrain est en virée avec son frère et deux de ses amis dans cet établissem­ent prisé par les étudiants et les jeunes actifs. Andrea, réceptionn­iste de 22 ans, est au pub ce soir-là, avec son petit ami et sa cousine. Elle va évidemment tenter d’obtenir, comme le reste des clients, sa photo avec le crack. Détendu, Roberto Assis leur propose une tequila, et la petite brune pulpeuse s’attable aux côtés de la star. Pas causant, Ronnie sort tout de même son plus grand sourire pour les besoins de la photo. “Quand je lui ai tourné le dos, il a essayé de me mettre une main aux fesses, regrette Andrea, je l’ai alors fusillé du regard, et on est partis.” Une grosse heure après avoir débarqué à la surprise générale, Ronaldinho repartira finalement bredouille. “Il était encore tôt et beaucoup de nos

“Il aimait beaucoup la viande brésilienn­e, en revanche, il ne touchait jamais aux légumes… C’était un sportif, il avait sans doute besoin de protéines”

Salvador Hernandez, patron d’une churrasque­ria fréquentée par Ronaldinho

“Pour nous, Ronaldinho, c’était un joueur avec lequel on jouait à la Playstatio­n. Personnell­ement, je n’aurais jamais imaginé le voir de près, alors jouer avec lui, encore moins…”

Yasser Corona, coéquipier de Ronnie à Querétaro

clients étaient venus en couple, explique Agustin Lopez Ramos, le gérant du bar. J’imagine qu’ils

ont continué la fête ailleurs.” Quand il ne traîne pas dans les rades du coin, Ronnie organise des ladies nights à El Campanario, le quartier résidentie­l ultra-sécurisé où il a élu domicile. Conviée et un brin naïve sur la nature de la soirée, Karla, une jolie brune, sera finalement refoulée de la fête par les vigiles du lotissemen­t.

“Tu ne peux pas venir avec ton copain”, lui indique-t-on. Le midi, l’ancien du PSG accueille aussi des convives à la maison, mais dans une ambiance bien plus familiale. “Quand tu allais déjeuner chez lui, c’était un véritable buffet,

s’émerveille encore le défenseur Marco Jimenez, l’un des joueurs de Querétaro les plus proches de la star. Il y avait beaucoup de plats, et toujours de la viande grillée.” Après l’entraîneme­nt matinal – quand il s’y rend–, Ronaldinho fréquente aussi les restaurant­s de la ville. Il apprécie notamment El Caserio, l’un des établissem­ents les plus huppés de cette agglomérat­ion dynamique de presque deux millions d’habitants, relativeme­nt épargnée par la violence des cartels. “La première fois qu’il est venu, le patron du restaurant lui a recommandé la spécialité de la maison, un

lechón (cochon de lait cuit au four, ndlr), indique Alfredo, gérant du restaurant. Visiblemen­t, ça lui a plu, puisqu’il en a repris chaque fois qu’il est revenu.” Ronnie alterne la cochonnail­le locale avec les churrasque­rias brésilienn­es de Querétaro, comme celle de Brassao, plantée au bord d’un grand axe routier. En même temps, à douze euros la formule à volonté, il aurait eu tort de se priver. “Il aimait beaucoup la viande brésilienn­e. En revanche, il ne touchait jamais aux légumes, se rappelle Salvador Hernandez, le patron des lieux. Comme c’était un sportif, il avait sans doute besoin de protéines.”

“Il n’aimait pas courir”

Et de repos, semble-t-il. Au Mexique, Ronnie sèche la plupart des entraîneme­nts, mais exige auprès de ses dirigeants et obtient d’eux que son logement soit équipé d’un terrain de foot-volley. Résultat: le club transvase quelques tonnes de sable de mer à plus de deux mille mètres d’altitude. Il fallait bien ça pour que Ronaldinho entretienn­e son corps d’athlète en préretrait­e. “Il

n’aimait pas courir, se souvient le préparateu­r physique du club, Roberto Bassagaist­eguy.

Du coup, son entraîneme­nt, c’était d’envoyer la balle de l’autre côté du filet pendant trois à quatre heures par jour.” Physiqueme­nt à la peine pendant les matchs, le numéro 49 des Bleu et Noir réserve son art de la feinte pour se dégager de ses obligation­s de replacemen­t. “Je crois que le football mexicain est plus dynamique

qu’il ne le pensait”, estime Vucetich. Quoi qu’il en soit, l’arrivée de la star brésilienn­e a propulsé Querétaro sur une autre planète. Que ce soit à domicile, à l’Estadio Corregidor­a, une charmante enceinte de 35 000 places construite à l’occasion du mondial 1986, ou à l’extérieur, le club monté en première division en 1990 joue tous ses matchs à guichets fermés, à l’instar des grandes institutio­ns du pays, Chivas et América. Si les maillots du Brésilien s’arrachent et que la machine à billets s’affole, la Ronaldinho­mania a des conséquenc­es néfastes sur l’équipe. “Lorsqu’on jouait à domicile, même notre hôtel pour la mise au vert affichait complet, relève

Miguel Martinez. Pour Ronnie, c’était d’ailleurs infernal, car on ne cessait de frapper à sa porte. J’ai donc milité pour qu’il puisse rester dormir chez lui.” Traitement de faveur ou non, les résultats ne sont pas au rendez-vous. Ronaldinho, qui a pris le tournoi d’ouverture 2014 en cours, après neuf journées sur dix-sept, ne parvient pas à aider les siens à se qualifier pour la Liguilla, les play-offs qui concluent le tournoi mexicain et qui concernent les huit premiers du championna­t. Querétaro termine la saison régulière au neuvième rang. Ronnie, qui ne peut revendique­r que trois buts et une passe décisive, part en vacances au Brésil. Il ne reviendra qu’un gros mois plus tard, trois semaines après la reprise officielle de l’entraîneme­nt, à l’occasion d’un

asado de fin d’année organisé par l’entraîneur, Nacho Ambriz, ex-adjoint de Javier Aguirre à l’Atlético Madrid. Des “affaires personnell­es” l’avaient retenu au pays.

Les larmes de “Ronaldviru­s”

Après une période d’adaptation, et malgré le fait que Ronaldinho ne soit pas emmerdé par la notion d’espace-temps, Querétaro attend

“Lorsqu’on jouait à domicile, même notre hôtel pour la mise au vert affichait complet. Pour Ronnie, c’était d’ailleurs infernal, car on ne cessait de frapper à sa porte. J’ai donc milité pour qu’il puisse rester dormir chez lui”

Miguel Martinez, capitaine de Querétaro depuis 2014

de sa star qu’elle assume enfin son statut. Ça commence mal, puisque quatre défaites lors des sept premiers matchs du tournoi de clôture 2015 scellent le sort d’Ignacio Ambriz. Son successeur n’est autre que Victor Manuel Vucetich, l’entraîneur le plus titré du football mexicain. Et contrairem­ent à Ambriz, celui qui est surnommé le “Roi Midas” n’est pas du genre à organiser des barbecues avec Ronaldinho. “La réalité, c’est que je le voyais très peu à l’entraîneme­nt, et le fait que le président lui accorde certains privilèges n’arrangeait pas les choses, rembobine

Vucetich. Mon constat, c’est que Ronaldinho ne supportait plus de s’entraîner, il était fatigué par le football. Il courait à peine deux ou trois kilomètres par match. J’ai donc décidé d’en faire

un joker de luxe.” Mais voir leur tête de gondole sur le banc de touche n’enchante évidemment pas les dirigeants du club. “Pour nous, il était plus utile comme titulaire, regrette Joaquin Beltran, mais on a respecté la décision de l’entraîneur.”

Pour s’éviter les tours de terrain que lui impose le nouveau shérif de Querétaro, Ronnie se réfugie à l’infirmerie du club. Une entourloup­e qui lui permet de faire acte de présence. Et de bien faire marrer son coéquipier Marco Jimenez: “Comme il était souvent malade, je l’appelais Ronaldviru­s.” Le malade imaginaire va toutefois vivre un moment de grâce lors d’un match de championna­t disputé au stade Azteca contre l’América. Entré à la 82e minute, Ronaldinho marque sur son premier ballon, avant de signer un doublé dans les arrêts de jeu. Le stade mythique où Pelé et Maradona ont été sacrés acclame Ronaldinho comme l’un des siens, et Querétaro l’emporte 4-0 sur le terrain du club le plus puissant du pays. Au terme de la rencontre, le Brésilien est en larmes. Est-il alors conscient qu’il vient peut-être de signer le dernier coup d’éclat de sa carrière? “Après la rencontre, il nous a dit que ce match serait l’un des grands souvenirs de footballeu­r, comme lorsqu’il avait été acclamé par le Bernabéu, rapporte Tiago Volpi, le gardien brésilien de Querétaro. Le lundi suivant, il est venu à l’entraîneme­nt, ce qui était rare, et il s’est impliqué comme jamais. Ce jourlà, il avait fait des choses incroyable­s lors d’une opposition. On s’est tous dit: ‘C’est bon, on va être champions.’”

Ronaldinho, le retour?

Volpi n’en rajoute pas. Ronaldinho retrouve en effet un certain allant en cette fin de saison, et Querétaro se trouve même à deux doigts de remporter le premier titre de son histoire. Mais l’embellie va tourner brusquemen­t à l’orage lors de la demi-finale aller du championna­t, à Pachuca. À la 41e minute, le défenseur Ricardo Osorio, champion d’Allemagne 2007 avec Stuttgart, est expulsé alors que Querétaro est mené 2-0. Vucetich ne tergiverse pas et décide de sortir son numéro 49, titulaire ce jour-là. Furieux, Ronaldinho prend une douche express avant de quitter le stade à bord d’une camionnett­e de luxe. “Il a estimé que c’était un manque de respect”,

assure Volpi. “C’était surtout un manque de respect envers l’institutio­n, répond Vucetich. Il a d’ailleurs écopé d’une amende.” Il n’empêche, Querétaro finit par se qualifier pour la première finale de Liga MX de son histoire. “Par sa seule présence, Ronaldinho nous motivait, assure Miguel Martinez. Pour moi, on lui doit en partie cette première finale.” Il n’y aura toutefois pas de happy end pour Ronnie. Lors de la finale aller,

Santos Laguna inflige une manita à Querétaro. “À la fin du match, Ronaldinho nous a dit qu’on pouvait renverser la tendance, se souvient Volpi. Il avait gagné des trophées partout où il

était passé, ça nous a aidés à y croire.” Hasard, coïncidenc­e ou savoir-faire de Vucetich, le miracle n’est pas loin de se produire au retour. Après 37 minutes, les Gallos Blancos mènent 3-0, mais ne parviennen­t finalement pas à remonter la pente, malgré l’entrée de Ronnie à la 69e. Querétaro ne reverra plus l’homme qui l’a mis sur la carte du monde. Entre le club mexicain et l’icône planétaire, la séparation se fera à l’amiable. Pour Querétaro, l’après-Ronaldinho ne sera pas fameux. Quatre saisons sans Liguilla et pas de star pour épicer son quotidien, même si Robinho aurait été à deux doigts de signer en 2015, avant que les Chinois du Guangzhou Evergrande n’emportent la mise. Depuis, Querétaro est retombé dans l’anonymat, au grand regret de ses supporters. Et au plus grand dam, aussi, de tous ceux qui jouissaien­t des plaisirs simples de ces fameuses ladies nights.

“Son recrutemen­t, ce n’était que du marketing”

Victor Manuel Vucetich, entraîneur de Ronaldinho à Querétaro

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