So Foot

“Quand j’entends parler de passes à l’aveugle…”

- – CB ET AV

Malvoyant profond et ancien capitaine de l’équipe de France de cécifoot, Frédéric Villeroux, 34 ans, est tombé amoureux du foot sans jamais avoir vu le moindre match. Le joueur vedette des Girondins de Bordeaux, qui compile de meilleures statistiqu­es que Lilian Laslandes et Sylvain Wiltord réunis, raconte sa passion pour le ballon rond, le Barça et les soirées au stade, le poste de radio collé à l’oreille.

Comment fais-tu pour aimer quelque chose que tu ne vois pas? Je me suis mis à aimer le foot en écoutant des matchs de valides. Le Barça, le Bayern, Dortmund… Quand j’entends parler de passes en profondeur, à l’aveugle (sic), de redoubleme­nts, de jeu en triangle, je m’imagine ces situations de jeu et ça me donne envie de m’entraîner pour pouvoir les reproduire. Le foot, on peut y jouer partout dans le monde, parfois avec très peu de moyens, et même avec un handicap. Moi, c’est quand j’ai découvert le cécifoot à 18 ans que j’ai compris que je pouvais être à la fois handicapé et footballeu­r.

Tu n’avais jamais joué au foot avant? Un peu à l’école… Mes amis me faisaient participer dans la cour de récréation. On entourait le ballon avec des sacs en plastique pour en faire des ballons sonores. Ils levaient un peu le pied, mais c’était très compliqué à cause de ma déficience visuelle. À cet âge-là, j’ai préféré faire de la natation et de l’athlétisme, parce que je pensais que c’était plus adapté à mon handicap. En plus, je viens d’une famille de rugbymen, donc je n’étais pas du tout intéressé par le foot!

Comment as-tu appris à jouer au foot justement? À reproduire des gestes

que tu n’as jamais vus? Dès qu’à la radio ou à la télé j’entends parler d’une roulette, ou d’un coup du sombrero par exemple, je demande aux éducateurs de m’expliquer ces gestes, de me les décrire. Ils me touchent, me font faire des mouvements avec mon corps pour que je comprenne comment reproduire ces dribbles. Ça se passe beaucoup au toucher. En fait, mes pieds sont mes yeux. Je dois schématise­r le terrain, c’est un vrai jeu d’échecs dans ma tête.

Sur YouTube, certains t’ont surnommé le “Messi du cécifoot”. Dans les compilatio­ns de tes buts, on se demande parfois si tu n’y vois pas quand

même un peu? (Il sourit) J’aime quand je suis sur le terrain et que j’entends en tribune des gens dire: “Mais ce n’est pas possible, il y

voit!” Mais non, je n’y vois rien, je distingue à peine quelques formes et quelques couleurs. Finalement, quand j’entends ça, c’est la preuve que je suis un footballeu­r à part entière, ça me libère un peu de mon handicap. Qu’on soit valide ou non, on fait tous le même sport. D’ailleurs on retrouve les mêmes identités de jeu dans le cécifoot: les Espagnols sont techniques, les Allemands physiques, les Italiens truqueurs…

Il y a des joueurs dont tu t’inspires? J’aime les joueurs qui jouent la tête haute. Xavi et Iniesta sont mes références. D’ailleurs je me suis rendu compte qu’il y en a peu qui savent lever les yeux du ballon et regarder vers l’avant. Il n’y a qu’à voir, les joueurs qui ont la meilleure vision du jeu, ce sont les Xavi, Iniesta, Ronaldinho, Paul Scholes, des types qui jouaient toujours la tête haute. Nous, au cécifoot, en plus de notre déficience, on a un bandeau sur les yeux, donc on est toujours la tête haute, pas le choix. Mickaël Landreau a prévu de me faire venir à Lorient pour aider ses joueurs à travailler cette attitude balle au pied, le regard porté vers l’avant. On gagne de précieuses secondes à lever les yeux du ballon.

Est-ce qu’il t’arrive d’aller au stade? Oui, parce que j’aime profiter de la ferveur, des chants, des bruits, des odeurs. Ça me donne des frissons. J’y vais avec des amis, mais la personne qui m’accompagne ne peut pas tout me décrire parce que sinon elle ne vit pas intensémen­t le match. Alors moi, chaque fois, j’apporte une petite radio. Je regarde vers le terrain mais j’ai besoin d’avoir cette radio dans une oreille pour bien vivre le match et pouvoir le commenter avec mes amis.

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Prêts pour l’éclipse.

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