So Foot

César Menotti

- – AF

Vous parlez toujours de football, mais est-ce qu’au moins vous savez

pourquoi vous l’aimez? Parce que je suis né dans un quartier et que le football est un sport de quartiers. Il appartient aux gens de la rue. Ce sport m’a enseigné ce phénomène qu’est la représenta­tivité. C’est en jouant des matchs contre des équipes de l’autre coin de ma rue, ou contre des formations d’autres quartiers, que je me suis forgé une identité. Le football m’a donné la possibilit­é de représente­r les miens: ma rue, ma ville, mon pays. Il m’a aussi appris l’amour pour la collectivi­té, et pas seulement à l’intérieur d’un vestiaire. Et puis, avec un ballon, tu peux distraire une multitude d’enfants. Tu peux faire des vingt-cinq contre vingt-cinq, des cinquante contre cinquante… La balle est un jouet pour tous, et ne fait pas de distinctio­ns de classes sociales.

Est-ce que votre amour pour le football a une date de péremption? Non, jamais. Un ballon de foot, pour moi, c’est comme le bandonéon d’Astor Piazzolla, le piano d’Horacio Salgan ou le violon d’Antonio Agri. C’est mon moyen d’expression. Le football est un canal par lequel je peux me manifester. Le ballon ne divise pas, il unit les gens. Regardez la relation affective qui peut exister entre les grands footballeu­rs, regardez la taille des terrains de foot: ils sont immenses. En Argentine, il y a des enceintes qui semblent irréelles tellement elles sont grandes. Pourtant, une équipe de football est capable de mobiliser 70 000 ou 80 000 personnes pendant quatre-vingt-dix minutes. Si on réfléchit un peu, c’est quand même quelque chose d’insensé. Il n’existe rien sur cette terre qui puisse remplir des stades toutes les semaines. Seul le football le peut.

Est-ce que pour vous il existe un plaisir plus grand que de voir du beau jeu?

Je ne sais pas s’il existe un plaisir plus grand, mais j’avoue que je prends vraiment mon pied quand je vois que le ballon circule bien et arrive dans les pieds de certains joueurs magiques, capables de transforme­r des actions en émotions. Le genre d’émotions comparable­s à celles que l’on ressent devant un tableau de Picasso, ou à la lecture de Jorge Luis Borges.

Aujourd’hui, l’enjeu a pris le pas sur le jeu. Vous pensez que le football tel

que vous l’idéalisez résistera encore combien de temps? Si le football a supporté des guerres, des capitalism­es sauvages et cruels, il peut tout supporter. Qu’on le veuille ou non, il appartient et appartiend­ra toujours aux gens. À la rue. Tant qu’il y aura des joueurs capables de rendre amoureux le public, il y aura de la passion.

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Tu tires ou tu pointes?

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