So Foot

Anna Karina

“Il m’arrive de crier: ‘Mais connard, donne-lui le ballon!’”

- – PROPOS RECUEILLIS PAR ARTHUR CERF / PHOTO: DR

Icône de la Nouvelle Vague, Anna Karina n’en est pas moins une grande amatrice des matchs du dimanche soir.

Pourquoi aimez-vous le foot? J’aime bien voir un beau match. Le foot, c’est magnifique quand c’est bien construit. Et puis, c’est quand même la joie. Je regarde les matchs avec mon mari, mais quand il n’est pas là, je regarde quand même. Je crie, je tape dans mes mains, je suis bon public. Il m’arrive même de crier, de faire des commentair­es: “Mais connard, donne-lui le

ballon!” Mon mari n’est pas content, il n’aime pas trop quand ça gueule. Lors de la coupe du monde 98, il m’est même arrivé de regarder des matchs dans les bars ou dans un café dans le quartier. Le poste était cassé.

Vous suivez le foot depuis que vous êtes toute

petite? Oui. J’ai été élevée par mes grandspare­nts. On écoutait ça à la radio à l’époque, les matchs de Puskas et les combats de Sugar Ray Robinson, l’oreille collée au transistor. C’était excitant parce que les journalist­es étaient énergiques, très dans le coup. C’était surtout les matchs internatio­naux, pas les matchs danois. C’est mon grand-père qui m’a donné le goût de ça.

Il paraît que Brialy avait une photo de vous en train de jouer au foot avec Godard. Oui, quand j’étais gosse, autour de six-sept ans, je jouais beaucoup au foot avec mon premier beau-père et ses frères, qui avaient à peu près mon âge, et j’adorais ça. On jouait dans la rue, il n’y avait pas de stade. C’était comme ça, bon enfant. Moi je m’en fous de perdre. Royalement. Mais je me suis toujours intéressée au sport. Après, je me suis inscrite dans un club d’athlétisme. Et puis je me suis cassée le bras.

Quand il était petit, il paraît que Godard jouait

gardien de but. Pourtant, il courait très vite, comme un cheval de course, il aurait pu être numéro 10 ou attaquant. Mais il était complèteme­nt pris par le cinéma. Il a toujours eu un corps d’athlète, il faisait des sauts périlleux, je l’ai vu marcher sur les mains. Dans Une femme est une femme, il y a une scène où Brialy écoute un clasico qui passe à la radio. Oui, je me rappelle très bien de ça. Ça me faisait beaucoup rire. On a tourné cette scène dans un appartemen­t qu’il avait vu rue SaintDenis et qu’il avait fait reconstrui­re en studio de cinéma. Jean-Luc Godard était évidemment un intellectu­el, mais c’était aussi un très grand sportif. Pour lui, L’Équipe, c’était aussi important que Le Monde. Il faisait toujours du sport, il fallait toujours s’entraîner, il fallait travailler. D’ailleurs, il nous reprochait toujours, à nous les acteurs, de ne pas être assez sportifs. Il disait: “Un ouvrier travaille huit heures par jour, eh bien vous, les acteurs, il faut que ce soit pareil. Il faut faire du sport, devant le miroir.” On bouge pas mal dans ses films, mais de là à nous demander d’être de grands footballeu­rs…

Godard lisait beaucoup L’Équipe, ça vous arrivait

aussi? Non, c’était compliqué. Ça ne se faisait pas pour les femmes dans les années 1960. Ce n’était pas interdit, mais c’était très bizarre. C’était pour les mecs machos. Si j’avais demandé L’Équipe à Jean-Luc, il m’aurait dit: “Va te faire foutre! Qu’est-ce que tu comprends à tout ça?” (Rires)

C’est vrai qu’il disait qu’il allait chercher des clopes et qu’il partait pendant trois

semaines? Absolument. Et après, il revenait avec des cadeaux. J’essayais de deviner s’il était allé en Suède pour aller voir Bergman, en Italie pour voir Rossellini, en Amérique pour voir Faulkner. Pendant ce temps-là, je restais seule. À l’époque, on n’avait pas d’argent, nous les femmes, pas le droit d’avoir un compte en banque, rien. Je sortais avec les copains, on allait dans des endroits où on mangeait des hot dogs, on dansait le cha-cha-cha. Quand il n’était pas là, je faisais de la peinture aussi. Je peignais des portraits de Jean-Luc. Je m’occupais, quoi. Et quand il y avait du foot, j’écoutais les matchs à la radio. Mais il y en avait très peu, il y avait très peu de programmes à l’époque, c’était exceptionn­el.

Il disait aussi que le foot était un art plus vrai

que le cinéma. Vous êtes d’accord? Le foot, c’est quand même un peu le hasard. Parce que si tu n’as pas le ballon, tu ne peux pas le mettre dans le filet… Mais il est vrai aussi que les très grands atteignent toujours le ballon au bon moment et le donnent toujours au bon moment. À l’époque de mon grand-père, c’était Puskas, Pelé. Mais Pelé était souvent un peu hors jeu. À mon époque, en France, c’était plutôt Platini. C’était un dieu. Après, ça a été Zidane, enfin “Zizou” comme on l’appelle. Et maintenant, il y a son fils Enzo qui a 22 ans. Il a toute sa vie devant lui. J’ai vu qu’il avait été transféré, j’ai suivi ça. Comme j’ai suivi le transfert de Neymar, ça m’a captivée. C’est vrai qu’ils gagnent beaucoup d’argent. Mais enfin, ce n’est pas très long, une carrière de footballeu­r.

Vous vous rappelez du coup de tête de Zidane?

Bah il avait raison en même temps, l’autre avait insulté sa soeur. L’Italien l’avait provoqué grave. C’était triste cette histoire, quand même. Il est devenu fou, quoi. Et puis évidemment, on a perdu le match à cause de ça. C’est là que c’est injuste.

Il y a des films sur le foot qui vous ont marquée?

Coup de tête, avec Patrick Dewaere, c’était bien! Mais il n’y en a pas eu tellement. Parce que c’est difficile de filmer des gens qui courent après un ballon. Puis il faut quand même une intrigue…

Il paraît que Godard aimait beaucoup les séances

de tirs au but. Moi, ça m’angoisse! Parfois, c’est un peu injuste, et quand c’est injuste, ça me fait mal. Un penalty, c’est quand même la punition.

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“Ce soir mon coeur, petit match, pizza et au lit.”

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