So Foot

François Ruffin

- – BB

Député France Insoumise

“J’ai longtemps voulu devenir Michel Platini. Et aujourd’hui encore, je joue au foot tous les dimanches, avec l’associatio­n sportive du foyer rural de Ribemont-surAncre, équipe B: rien que ça, c’est de la poésie. J’ai joué dans des tas de petits clubs, j’adore ça. Le foot, c’est le seul truc qui produise cette fraternité, entre des jeunes et des vieux, des riches et des pauvres, des gens de la ville et des gens de la campagne. Y a comme une symbiose à partir du ballon. Le philosophe italien Antonio Gramsci pensait que les intellectu­els devaient ressentir les passions populaires et les épouser. Même si on n’aime pas le football, on doit le comprendre à ce titre. Thomas Monconduit, le capitaine d’Amiens, m’a dit une fois que le vestiaire était à lui seul le résumé de la société: je pense que c’est assez juste. Bien sûr qu’on peut critiquer le football, il y a plein de choses qui ne vont pas. Mais on ne peut pas ne pas s’intéresser à ce sport, vu ce qu’il représente dans la société. Mon pire souvenir, c’est Séville 82. Une injustice qui se produit devant des millions de téléspecta­teurs. Tout le monde a vu l’attentat sur Battiston, sauf l’arbitre. Cette image de Battiston, allongé sur la pelouse, qui a perdu trois molaires, c’est une révélation politique pour moi: cela m’a formé à la conviction de réparer les injustices! Il y a une nécessité d’engagement pour les Battiston du monde entier! Le lendemain, j’ai un repas de communion à Proyart, dans le Santerre (Somme). J’étais incapable de manger, en dépression totale après ce match. J’ai ma cousine qui vient me voir avec du melon en me disant:

‘Bah alors, François, tu ne manges pas?’ Et moi, je lui réponds: ‘Battiston, il mange lui?’ Cette réparation, elle intervient deux ans plus tard, avec France-Portugal 84. On fait un super match, et ils égalisent contre le cours du jeu. Et quand, dans les prolongati­ons, Jordao marque le but en ratant sa reprise de volée comme ce n’est pas possible de la rater, tu te dis que Séville recommence… Moi, je monte me coucher, en pleurs. C’est le traumatism­e qui recommence, la blessure qui se rouvre à nouveau. Heureuseme­nt, on égalise et mon père vient me chercher, mais j’ai encore le souvenir des penaltys de Séville qui me hante. Et qui ne cessera jamais de me hanter. Je pense qu’il y a des gens comme moi qui mourront avec Séville… Bon finalement, dans la toute dernière minute, Michel Platini met ce but incroyable, avec cette feinte de frappe qui fait s’allonger tous les Portugais. Et là, je me suis senti libéré de Séville. Mais Séville a fait naître ce romantisme de gauche en moi, le sentiment d’être inévitable­ment condamné à la défaite.”

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Handisport.

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