François Hollande.
L’ancien président de la République n’a jamais caché son amour du football. Interview d’un type qui a plus vibré avec Marius Trésor et Willy Brandt que devant cette remontada.
L’ancien président de la république n’a jamais caché son amour du football. Il tente ici d’en expliquer l’origine, et le pourquoi du comment. Entrez ici Robert-Diochon, Marius Trésor et Willy Brandt.
I Si vous deviez faire une déclaration d’amour au football, qu’est
ce que vous lui diriez? Je lui dirais qu’il est beau, ce qui est déjà une condition pour aimer. Qu’il est intelligent aussi, parce qu’il ne suffit pas d’avoir deux pieds. Et enfin, qu’il est sans cesse changeant, ce qui fait que c’est un amour qui se renouvelle toujours. Aucun match ne ressemble à un autre, aucune équipe n’est semblable à une autre, et pourtant on a toujours envie de refaire le match avec la même équipe.
Justement, comment est né votre amour de Rouen? Parce que j’y vivais. Parce que j’y jouais. Et ensuite parce que j’allais au stade. J’y ai découvert une culture. Le premier stade c’est comme la première femme ou le premier homme que l’on a aimé. C’est une communion avec le public, là que naissent des souvenirs inoubliables. Je ne remercierai jamais assez mon grand-père de m’y avoir emmené. C’est le plus beau cadeau qu’on puisse faire à un enfant. Et puis, peu à peu, le stade devient le lieu de l’émancipation. La première fois que je suis allé à RobertDiochon (le stade de Rouen, ndlr) seul, avec mes copains, j’avais 12 ans.
Vous dites “le foot est intelligent, il ne suffit pas d’avoir deux jambes”, vous
entendez quoi par là? Les plus grands footballeurs ont une science de l’espace, une connaissance géométrique, une maîtrise des combinaisons. Ce sont des intellectuels. Platini est un joueur qui avait un sens du jeu supérieur aux autres. Zidane aussi est de cette trempe-là. Il le montre comme entraîneur, il sait transmettre son intelligence. Il voit ce qui va se passer sur le terrain quelques millièmes de secondes avant les autres, c’est pour ça que ses joueurs l’écoutent. Ceux qui pensent qu’il suffit d’être le plus fort ou le plus rapide se trompent. Le football est une pensée, pas un instinct.
Vous vous souvenez de votre plaisir footballistique le plus intense? Les buts
que j’ai marqués?
Par exemple. Il a dû y en avoir quelques-uns, même le plus mauvais des
arrière-droit met parfois des buts. Malgré tout! (rires) Même par hasard, d’un petit ricochet ou d’un genou comme Ocampos, récemment, lors du match de Marseille contre Toulouse. Avec le hasard, on peut même marquer du dos!
Vous étiez quel type de joueur? Accrocheur. Mon seul avantage était que j’allais plus vite que les autres. Donc ma carrière a été rapide, elle aussi.
Et quel est votre souvenir de foot le plus intense alors? Des reprises de volée. Celle de Marius Trésor lors du France-Allemagne de Séville. Celle de Larqué aussi, en finale de coupe de France. Et puis, il y a les buts décisifs. Je pense à Trezeguet en finale de l’Euro 2000. Le but exceptionnel. On sent qu’il va venir, on craint qu’il ne vienne pas, et à un moment il déchire.
On a tous ressenti ce moment où on sent qu’il va se passer quelque chose,
et bim, ça arrive. C’est parce que le foot est psychologique. À un moment c’est l’esprit qui chavire, chacun sait ce qui va se produire. Il y a comme une fatalité. Pareil pour le France-Allemagne de Séville. On doit gagner mais on sait qu’on va perdre. C’est la même chose pour le PSG contre Barcelone la saison passée. Comme si c’était écrit.
Et quelle est votre plus grosse déception amoureuse avec le
football? Quand la tribune de Furiani s’est effondrée. Aujourd’hui encore le souvenir est très fort. J’avais déjà eu ce sentiment avec le drame du Heysel. Face à ces catastrophes, le football n’a plus d’importance. Je pense aussi à la coupe du monde de 1978 en Argentine, sous la dictature de Videla. C’est la première fois depuis 1966 que la France retrouve le mondial donc elle est exaltée. Mais nous constatons très vite que cette coupe du monde n’est pas saine. C’est toujours le même dilemme: ne pas y aller et donc ne pas voir, ne pas pouvoir rendre compte, ou y aller et subir. Le sport peut être une arme contre les dictatures, mais celles-ci peuvent aussi l’enrôler pour servir leurs sinistres causes. Le football ne peut pas se substituer à ce qu’est la lutte pour l’essentiel.
Il y a d’autres moments comme celui-ci où, politiquement, le football a été
un dilemme? C’était sans doute la période la plus difficile parce que toute l’Amérique latine était concernée par ces dérives. Ensuite il y avait des confrontations plus classiques entre l’est et l’ouest mais ça n’a jamais pris cette intensité. Je me souviens d’un match politiquement très important, c’était le RFA-RDA de 1974. Il préfigurait ce qui allait se produire ensuite: la politique d’ouverture à l’est de Willy Brandt, etc. Le football peut parfois accélérer des mutations politiques, anticiper des évolutions. En soi, c’est un sport qui n’a aucun caractère politique mais, par la passion qu’il soulève, il peut avoir un impact au-delà du jeu.
Pendant votre quinquennat, vous aviez aussi un premier ministre fan de football, comment est-ce que vous viviez votre rapport au foot pendant
cette période-là? Le football a été à la fois un plaisir que nous avons pu partager et un sujet de douleur que nous avons éprouvé ensemble. Il ne faut pas oublier que le 13 novembre, c’est autour du Stade de France que les terroristes ont commencé leur action. Le football était une cible. Dans ce contexte, la réussite de l’Euro 2016 était primordiale.
On s’est rendu compte à ce moment-là que la passion du football a, quelque part, transcendé la peur. Puisque malgré cette menace, les gens se sont déplacés dans les stades, dans les fan-zones, dans les bars. C’était aussi une réponse. Les gens savaient que le risque d’attentat existait, mais ils savaient aussi qu’ils devaient être forts et qu’ils devaient aller partout où ils en avaient envie, au nom de la liberté.
Est-ce qu’il y a des matchs que vous n’auriez ratés pour rien au monde? Il
y a des matchs que j’ai ratés parce que j’étais dans des réunions internationales. Certaines ont connu des suspensions de séances “particulières”. En juin 2012, un conseil européen très important se tenait au moment du match Italie-Allemagne. Angela Merkel était à côté de moi et elle regardait régulièrement l’évolution du score. À la fin, Balotelli a éliminé l’Allemagne, ce qui a donné au président Mario Monti, qui n’y connaissait rien au football, une énergie supplémentaire pour demander qu’on règle plus vite l’union bancaire! Même s’il a fallu ajouter d’autres arguments.
Depuis quelques années vous avez la possibilité de côtoyer les joueurs.
Qu’est-ce qui vous a plu et déplu chez les footballeurs? Je n’en côtoie pas personnellement sauf Laurent Koscielny parce qu’il est de Tulle et que je connais ses parents. Cela dit, les joueurs de l’équipe de France que j’ai pu rencontrer m’ont plu parce qu’ils ont montré qu’ils étaient conscients du rôle qu’ils pouvaient jouer dans la société. Et que dans le contexte aussi difficile que celui des attentats, ils voulaient montrer le meilleur de la France.
Est-ce que la société française et parfois les politiques n’attendent pas trop des footballeurs? J’ai toujours en tête cette phrase de Florent Malouda qui disait: “On nous prend toujours pour exemple mais si un exemple c’est quelqu’un qui est allé à l’école jusqu’en 5e, c’est pas le meilleur exemple
du monde.” Oui, et il a raison. Il était là pour jouer au football, pas pour porter une parole. Les footballeurs essaient d’être le plus discret possible parce qu’un incident peut vite se transformer en scandale.
Et parfois les politiques peuvent s’en mêler. Nous en avions discuté avec Manuel Valls à l’époque où il était premier ministre et que l’affaire Benzema
éclatait. Il y a une limite à ne pas franchir: le politique doit éviter de se prendre pour le sélectionneur. Les pleins pouvoirs doivent être donnés à celui qui gère l’équipe et choisit ses joueurs. En l’occurrence, il s’appelle Didier Deschamps.