So Foot

Clarence Seedorf.

Il est venu, il a vu, il a vaincu. Mais surtout, il a beaucoup aimé le football. Interview avec un puriste.

- –MR

Joueur, il avait des grosses cuisses, des gros mollets, un gros palmarès et une grosse classe. Devenu coach, le Batave est aujourd’hui obligé de faire rentrer ses muscles dans des costumes d’entraîneur avec plus ou moins de réussite. S’il est tout serré dans ses fringues, sa passion pour le foot, elle, est toujours aussi débordante.

Comment est née votre passion pour le foot? C’est une question d’ADN. Mon père était un très bon joueur, mon grand-père aussi, même si les aléas de la vie et sa dizaine d’enfants ne lui ont pas permis de profiter du football au maximum. Moi, je jouais déjà au football avant mes premiers souvenirs. Mes premières amours, c’est la sélection brésilienn­e. Au Surinam, tout le monde supporte le Brésil, parce que c’est le voisin. Même lorsque j’ai joué pour l’Ajax ou pour la sélection hollandais­e, ma famille a toujours continué à supporter le Brésil, parce que c’était une équipe qui était plus proche de leur coeur. J’avais six ans quand est arrivée cette Seleçao dont tout le monde parlait, celle de 82 avec Zico, mon héros, mon ami. Il était en feu, c’était un géant à son poste. Il y avait Pelé, aussi, qui a beaucoup fait pour les joueurs noirs. Il faut constammen­t combattre ce racisme. Et se souvenir de Pelé, c’est aussi se souvenir de toutes les barrières qu’il est parvenu à faire tomber, par son jeu mais aussi par sa personnali­té.

En tant que fan, footballeu­r ou entraîneur, quels sont les moments qui vous rappellent combien vous aimez ce sport? Le fait de vivre avec une équipe pendant une année entière, de gagner tous ces petits combats, de voir tes coéquipier­s devenir plus que des collègues, et parfois même des amis. On n’a pas le choix, il faut être là, les uns pour les autres, sur et en dehors du terrain. Sans aventure humaine, pas de trophées. Avoir une équipe performant­e, c’est bien. Avoir une équipe soudée, c’est mieux. Les Galacticos du Real Madrid n’ont pas aussi bien performé qu’ils l’auraient souhaité parce que c’était avant tout une somme d’individual­ités. Il leur manquait quelque chose. En revanche, à la même époque, au Milan AC, on a obtenu plus de succès que notre formation aurait pu le laisser croire sur le papier. C’est la même chose pour l’Atlético Madrid actuelleme­nt. Tu sens qu’il y a un esprit guerrier. Chez les joueurs, le coach, mais aussi chez les supporters. Et alors, la joie du public devient la tienne parce qu’elle est plus importante que la tienne. Sans doute la chose la plus importante que le football procure.

Vous avez passé la majeure partie de votre carrière en Italie, un championna­t jugé très tactique, voire antispecta­culaire pour certains. Peut-on trouver de la beauté et de l’amour dans un football très tactique? Je vois le football de haut niveau comme un art, et l’art peut revêtir différente­s formes. Certains préfèrent les cubistes, d’autres les surréalist­es. C’est la même chose pour le football. Chaque pays a sa propre culture footballis­tique, sa façon de l’interpréte­r, et rien que ça, c’est déjà très intéressan­t. Mais on touche à la beauté absolue quand certains joueurs ou entraîneur­s se montrent capables de s’émanciper de cette culture fondamenta­le, de ce schéma, pour créer l’inattendu. Là, le football devient de l’art. Pour revenir à la question initiale, je suis resté en Italie. Et plus précisémen­t au Milan AC, parce qu’on était les rois du football mondial à l’époque. J’aurais aimé évoluer en Angleterre, par exemple, vivre une nouvelle expérience tactique. Mais pourquoi partir quand tu es sur le toit du monde?

Est-ce qu’il vous arrive d’aimer un peu moins le football? De douter de lui par instants? Je pense que le football aurait besoin d’un peu plus de transparen­ce. Il faut en finir avec les matchs arrangés, l’antijeu et les sommes astronomiq­ues qui sont payées pour certains joueurs. Je ne parle pas de Neymar, qui, à mon sens, vaut son transfert au PSG, mais de ceux qui signent pour des sommes exorbitant­es alors qu’ils n’ont qu’une ou deux saisons dans les jambes. Je veux dire, à leur âge, Raul avait déjà remporté deux ligues des champions… Le football est devenu une bulle économique digne des pires jours de Wall Street, par instants. Les jeunes joueurs doivent être protégés, on doit leur permettre de pouvoir se développer dans un cadre serein et les empêcher d’aller dans des clubs qui les signent simplement pour ne pas qu’ils aillent chez leurs rivaux. J’ai bon espoir que les institutio­ns du football mondial travaillen­t en ce sens, qu’elles empêchent ce sport d’être ruiné par l’absurdité.

Comment expliquer qu’après plus de trente ans passés dans le foot, vous soyez encore intéressé par ce jeu? Vous n’avez pas l’impression d’en avoir fait le tour? Pour continuer à aimer le football, il suffit de le regarder. Des joueurs comme Hazard, De Bruyne ou Iniesta me font rêver. Sans parler du fabuleux duel entre Messi et Ronaldo. C’est une bénédictio­n pour ceux qui aiment le foot, mais également pour eux d’exister au même moment, et de se tirer ainsi vers le haut… Quand je vois ça, je me dis qu’il me serait bien impossible d’ignorer ce sport.

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