So Foot

Lucas Tousart.

Lacazette, Gonalons et Tolisso partis sous d’autres cieux, c’est logiquemen­t à Lucas Tousart que devrait revenir le rôle de garant des valeurs maison. L’internatio­nal espoir a mis tout le monde d’accord dans l’entrejeu lyonnais grâce à ses tacles et ses c

- Photos: Afp/Dppi, Panoramic et Picture-Alliance/Dppi Par Alexandre Doskov, à Lyon

À l’OL, Nabil Fekir régale, Mariano marque, Anthony Lopes fait des plongeons pour les photograph­es et un jeune internatio­nal espoir français met tout le monde d’accord dans l’entrejeu grâce à ses tacles et ses coups d’épaule de bûcheron. Rencontre avec un type que cela enchante d’être comparé à Didier Deschamps.

“Un dirigeant de l’OL m’avait appelé pour savoir ce que je pensais de Lucas à titre perso. J’avais répondu: ‘C’est un garçon qui optimisera 98 % de ce que son talent lui permettra’” Pierre Wantiez, directeur général du club de Valencienn­es

On disait d’Amine Harit qu’il était sur les tablettes du Bayern, de Jean-Kévin Augustin qu’il profiterai­t du départ de Zlatan Ibrahimovi­c pour gratter du temps de jeu au PSG, ou de Ludovic Blas qu’il allait crever l’écran en ligue 1 avec l’En Avant de Guingamp. C’était il y a un peu plus d’un an. Le 24 juillet 2016, l’équipe de France U19 vient de torpiller l’Italie (4-0) en finale de l’Euro en Allemagne. Peu de monde, en revanche, pour donner un destin à Lucas Tousart, bien qu’auteur du troisième but des siens sur une frappe de loin. À l’époque, l’adolescent sort d’une saison à jouer avec la CFA de Lyon, est inconnu du grand public et commence tout juste ou presque sa carrière internatio­nale, lui qui n’a jamais été convoqué en équipe nationale dans les catégories inférieure­s. Ce jour-là, pourtant, c’est bien lui qui porte le brassard. Normal, le milieu défensif lyonnais est la “clé de voûte” des Bleuets, comme aime à le répéter leur entraîneur, Ludovic Batelli: “Lucas, c’était le chaînon manquant. Il n’est pas clinquant ou bling-bling, mais sans faire de bruit, c’est le mec qui équilibre l’édifice. C’est le garant de notre projet de jeu et de notre projet de vie.” Des louanges que Tousart doit pour beaucoup à la mi-temps de ce France-Angleterre, premier match de poules à l’Euro U19. Les Bleuets perdent 2-1, ils sont en train de rater leurs débuts en beauté, et Batelli s’isole dans une pièce avec ses assistants pour trouver une solution. Quand soudain: “Je l’ai entendu se lever, Lucas a dit les choses, pris le groupe en main. Et quand Lucas dit les choses, sa voix est entendue. Il a pris le relais du coach.” Les Français perdront finalement le match, tant pis pour la belle histoire, mais Batelli est persuadé que quelque chose est né: “On a raté ce premier match, mais on a senti que ce groupe avait quelque chose.” Qu’un numéro 6 assure le travail de compensati­on et protège sa défense, logique, mais qu’il soit garant du projet de vie? Il est vrai qu’à la différence de ses congénères, Lucas fait preuve d’un désintérêt prononcé pour les réseaux sociaux. Un détail qui en

dit beaucoup sur son comporteme­nt. C’est en tout cas l’avis de l’entraîneur Joël Bonnal, qui l’a connu au pôle espoirs de Castelmaur­ou, près de Toulouse, haut lieu de la préformati­on française où Clichy, Mexès ou encore Rabiot ont fait leurs classes avant lui. “Adolescent, sa maturité, c’était déjà ce qui faisait sa force. Niveau mental, il a toujours été au-dessus.” Bonnal en veut pour preuve le reposition­nement réussi de Tousart, passé d’attaquant à milieu défensif sans jamais grogner. Le gamin sera récompensé par le capitanat. Dans le microcosme des formateurs français, les quelques initiés qui le suivent en arrivent vite à le surnommer “le nouveau Deschamps”, alors qu’il est à peine en âge de conduire. Un comparatif pas forcément idiot. Pierre Wantiez, directeur général du club de Valencienn­es, où Tousart a débuté en pros à 17 ans, résume le joueur ainsi: “Un dirigeant de l’OL m’avait appelé pour savoir ce que je pensais de Lucas à titre perso. J’avais

répondu: ‘C’est un garçon qui optimisera 98 % de ce que son talent lui permettra. Il ne fera pas de gâchis.’” À Lyon, certains supporters lui confieraie­nt déjà bien le capitanat, depuis les départs de Maxime Gonalons et de ses suppléants Lacazette et Tolisso. Il n’est pourtant pas issu de la pouponnièr­e lyonnaise, à la différence des trois autres. C’est dire si un an après ce fameux sacre européen, le Gone est passé dans une autre dimension. Devenu titulaire en ligue 1 et en Europa League, Lucas Tousart a bouclé la saison dernière en signant une prolongati­on de contrat avec l’OL, puis en filant jouer la coupe du monde U20, là encore avec le brassard de capitaine scotché au biceps. Solide, pour un type de 20 ans que personne ou presque n’avait vu venir. “Ce qui a le plus changé? C’est le regard des gens, sans hésiter, embraye-t-il. Moi, je n’ai pas changé du tout. C’est juste que les gens ne savaient pas de quoi j’étais capable, vu que je jouais des matchs non télévisés.”

“Le Charognard”

Quand on est né en 1997, et à une époque où même les gardiens doivent être techniques, le qualificat­if de “nouveau Deschamps” n’est pas forcément le plus sexy qui soit. Mais c’est comme ça. Rugueux, physique et dur au mal, le Lyonnais a hérité du tampon “joueur à l’ancienne” à force de coups d’épaule et de ballons récupérés du bout des crampons, loin des fioritures de la plupart des tricoteurs de son âge. Anthony Lopes, le portier de l’OL, l’appelle “le Charognard”. “J’assume ce côté ‘vrai numéro 6’, qui gratte des ballons, présent dans les duels, admet-il. C’est vrai que dans ma génération, il y a beaucoup de joueurs qui aiment bien taquiner, marquer des buts. Mais je sais très bien que pour que je sois bon, il faut que je fasse du Lucas Tousart. Du Amine Harit, je ne sais pas faire.” Et puis, il y a ce physique qui colle moyennemen­t à ses 20 ans et qui lui en donne dix de plus: une grosse barbe, des épaules carrées,

1,85 m sous la toise pour 83 kilos sur la balance. Une dégaine de vieux briscard. “Effectivem­ent, il fait un peu rétrograde dans sa façon d’être, reconnaît Batelli. Ce n’est pas le chambreur qui va faire rigoler tout le monde ou faire des blagues dans le bus, mais c’est du Lucas. On a besoin de ce genre de joueurs, il y en a de

moins en moins…” Peut-être aussi parce qu’on passe à côté de ce type de profil. Car il s’en est fallu d’assez peu pour que le nouvel homme fort de l’entrejeu lyonnais ne perce jamais. À la sortie du pôle espoirs de Castelmaur­ou, aucun gros club ne vient frapper à la porte. Le natif d’Arras est contraint de rentrer au bercail, dans l’Aveyron, où il a grandi après la mutation de son père, prof d’EPS devenu principal de collège. Il a une quinzaine d’années, et chausse les crampons pour le club de Rodez. “Je ne pensais plus trop au foot, je n’avais pas de plan B, raconte-t-il. Je profitais. J’étais en seconde, on ne faisait pas grand-chose. Franchemen­t, pour en parler maintenant avec les gens qui m’ont côtoyé là-bas, ils ne comprennen­t toujours pas. Les gens n’avaient pas confiance en mon potentiel, je ne crevais pas les yeux comme un mec qui dribble tout le terrain. C’est un peu l’histoire de ma vie. Partout où je suis passé, au début, les gens se sont dit ‘moyen moyen’.” À qui la faute, au fond? Si Lucas Tousart avait été ado au lendemain de la coupe du monde 98, son style de jeu aurait à coup sûr tapé dans l’oeil d’un formateur à la recherche d’“impact”. Mais les divers crashs des Bleus lors de la décennie 2000 et l’avènement du toque et de la possession sont passés par là. Claude Janin, son entraîneur de jeunesse dans le petit club de Rignac, pointe ainsi du doigt les mauvaises habitudes du recrutemen­t à la française: “La mode de l’époque, au niveau des détections, c’était de ne jamais faire de tests d’endurance. On ne recherchai­t que la technique. C’était après l’Euro 2012, quand Iniesta a été élu meilleur joueur du tournoi. Tout le monde parlait de sa vista, mais on oubliait que c’est aussi lui qui avait couru le plus sur le terrain.”

Rattrapage du Bac ES

C’est à Joël Bonnal, son ancien formateur au pôle espoirs, que Lucas Tousart devra sa porte de sortie. Ou plutôt sa porte d’entrée dans le monde pro. Le coach active son réseau. Il passe un coup de fil à un ami recruteur à Valencienn­es: “Jette un oeil à ce garçon.” Frédéric Zago, responsabl­e du centre de formation du VAFC, est mis dans la confidence et décide de lui laisser une chance: “On avait un tournoi et on manquait

de joueurs, rembobine-t-il. On s’est dit ‘pourquoi pas le tester?’. On l’a fait monter à l’arrache, en bouclant le dossier la veille au soir.” Prévenu un jeudi à 21 heures, Tousart est sur la route le lendemain à huit heures, direction Saint-André-lez-Lille, neuf cents kilomètres plus au nord. “Sur ce tournoi, il ne nous avait pas spécialeme­nt épatés, poursuit Zago. Mais ce gamin venait de traverser la France, on le sentait fatigué, on a pris ça en considérat­ion. Puis il ne connaissai­t personne, et il a presque pris l’équipe à son compte. On percevait une maturité. On n’a pas regretté.” Dès lors, tout s’enchaîne très vite. Deux mois de CFA2 à peine, puis il prend l’ascenseur. Entraîneur du VAFC à l’époque, Bernard Casoni tente le pari et le fait monter avec l’équipe A. Tousart dispute son premier match de ligue 2 en janvier 2015, à 17 ans, et devient le chouchou de David Le Frapper quand ce dernier reprend l’équipe

“Le jour du rattrapage du baccalauré­at, je tombe sur des profs tordus, franchemen­t chiants. L’inspecteur n’a fait que me saquer. Je l’ai encore en travers de la gorge” Lucas Tousart

en main dans la foulée. Les six mois suivants? Son nom arrive aux oreilles de Ludovic Batelli, qui le convoque. Tousart s’envole ensuite en Grèce pour son premier Euro U19, en étant surclassé, avec la génération ComanCorne­t-Moussa Dembélé. Puis Lyon se rencarde et le recrute sitôt cette demi-saison en pros bouclée. C’est ce qu’on pourrait appeler une année dorée, s’il n’y avait eu

ce point noir: un échec au bac ES. “Avec Valencienn­es, on était à fond dans le maintien, je n’allais pas trop en cours, regrette-t-il. Puis je pars en juillet jouer l’Euro, et en août je signe à Lyon. Du coup, je passe le bac en septembre et je finis au rattrapage, mais avec seulement seize points de retard. C’est rien! Je me dis que ça va le faire. Et le jour du rattrapage, je tombe sur des profs tordus, franchemen­t chiants. J’étais un peu perdu. L’inspecteur n’a fait que me saquer, j’ai senti que c’était très mal engagé. Je l’ai encore en travers de la gorge.” De quoi nourrir un sentiment de revanche maintenant que son avenir est assuré? “Non. Je sais très bien que je me serais débrouillé dans la vie.”

“Je ne crevais pas les yeux comme un mec qui dribble tout le terrain. Partout où je suis passé, au début, les gens se sont dit ‘moyen moyen’” Lucas Tousart

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Tousart avec la coupe de champion d’Europe U19.

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