So Foot

Pablo Aimar.

Avant d’être l’actuel sélectionn­eur des moins de 17 ans argentins et d’être pressenti pour remettre l’Albicelest­e sur le droit chemin, Pablo Aimar faisait partie de la catégorie de ces joueurs frissons. Interview de puriste avec l’idole de Lionel Messi.

- Par Sebastian Varela del Rio et Ezequiel Scher pour Pagina12 – ARGENTINE

Du temps où il régalait la chique, l’actuel sélectionn­eur des U17 argentins était surnommé “El Payaso”. Bizarre, puisque lorsqu’il parle de football, l’idole de Lionel Messi est loin d’être un pitre.

Quelle est ton opinion sur les médias qui traitent du football? Les journalist­es devraient davantage parler de jeu. Mais pour en parler, il faut l’aimer, il faut le jouer. Qui connaît le mieux le football? Celui qui gagne? Non. À mes yeux, ce sont les personnes qui transmette­nt le mieux leurs connaissan­ces sur le football aux autres qui le connaissen­t le mieux. C’est là que commence la mère de toutes les discussion­s footballis­tiques, mais aujourd’hui, on préfère traiter d’autres choses. De choses moins importante­s, mais qui vendent plus.

Et pourquoi, selon vous? Parce que les gens ne changent jamais de chaîne et ne referment pas non plus leurs journaux s’ils sentent le parfum du scandale. Peut-être même que c’est ce qu’ils lisent en premier… Comment voulez-vous demander à un type qui a travaillé pendant dix heures qu’il essaye de comprendre cette logique-là? Quand il rentre du travail, ce gars-là veut juste se poser sur son canapé et qu’on le divertisse. Attention, moi aussi j’en avale des saloperies, hein. Ça nous arrive à tous… Parfois, on ne prend juste pas assez conscience des effets pernicieux que ça peut avoir sur la vie des joueurs qui sont dans l’oeil du cyclone. Non parce qu’on n’a plus aucune conscience de l’existence de l’autre, mais parce qu’on se fout de ce qui peut arriver à notre prochain. Ça dépasse le cadre du football. Par exemple, il y a très peu de gens qui se disent, au volant de leur voiture: “Tiens, je vais laisser passer ce type qui a vu défiler deux cents bagnoles sous son nez et qui attend depuis deux heures qu’on lui cède la priorité.” Tu peux être sûr que si tu le laisses passer, le mec derrière toi va te pourrir. Mais ça, ça n’arrive pas qu’en Argentine ou seulement dans le football. L’être humain est une bête compliquée. Revenons au foot, mais en gardant la même idée. Comment s’applique cet individual­isme sur le terrain? L’équipe qui réussit à s’extraire de cette pensée individuel­le tire son épingle du jeu. Il y a un ballon, vingt-deux gars, et chacun d’eux le touche trois minutes en moyenne sur les quatreving­t-dix que dure un match. Cela veut dire que chacun d’eux joue quatre-vingt-sept minutes sans le ballon. Du coup, si tu arrives à te déplacer pour que ton coéquipier puisse marquer un but, tu es un génie! Si tu réussis à apporter des solutions à ton coéquipier et que le lendemain il fait la une des journaux alors que toi tu n’y es pas, génial! Ça veut dire que tu joues pour l’équipe! Au final, les meilleurs footballeu­rs sont ceux qui font bien jouer leurs coéquipier­s. Des gars comme ça, j’en ai eu dans mes équipes. Tu ne les entendais jamais mais ils te rendaient meilleur.

Vous avez des exemples? J’ai toujours beaucoup aimé Leo Astrada (ancien internatio­nal argentin de River Plate, ndlr). Physiqueme­nt ce n’était pas un monstre, techniquem­ent ce n’était pas non plus un magicien, mais il était très intelligen­t. Il te donnait le ballon au bon moment et il te parlait. Il se démarquait pour que tu puisses le lui rendre. Il te rendait meilleur. Je ne sais même pas s’il se rendait compte du bien qu’il pouvait faire à ses coéquipier­s. Roberto Ayala faisait aussi partie de cette catégorie de génies. Quand l’avantcentr­e d’en face avait le ballon dans les pieds, lui jaillissai­t. Au lieu de dégager la balle n’importe comment, il te regardait, et pendant qu’il la récupérait, il était déjà en train de faire la passe pour que tu puisses repartir à l’attaque. Tout ça sur la même touche de balle! Et à cette époque-là, celui qui faisait la une le lendemain, c’était moi, parce que derrière, je me retournais et je faisais une passe décisive. D’autres joueurs ont les deux. Ils te font briller et en plus ils font la une des journaux. Ce sont des élus de Dieu. Je t’en donne deux: Riquelme et Messi. Il est possible d’inculquer ces notions de collectif dans l’esprit d’un footballeu­r qui ne le fait pas naturellem­ent? Oui, mais il doit aimer le jeu. Tu peux avoir le meilleur prof de guitare au monde, si tu n’aimes pas en jouer, c’est compliqué… Plus

“Au final, qui vit le mieux? Sans doute celui qui s’en bat les couilles de tout…”

“Je fais partie de la dernière génération qui regardait des matchs en entier. À la télévision, aujourd’hui, il n’y a plus que des résumés. Pour la génération actuelle, seuls les buts comptent”

un footballeu­r est jeune, plus tu peux l’impliquer. Moi, j’aime beaucoup l’idée de transmissi­on. Des gens m’ont appris mon métier, et maintenant, c’est à moi d’expliquer ce que je sais aux nouvelles génération­s. J’ai vécu ça avec José Pékerman et c’est seulement aujourd’hui que je me rappelle de tout ce qu’il m’a appris. Il arrêtait l’entraîneme­nt et me disait: “Elle est où, la solution?”

Que dites-vous aux gamins à propos de la célébrité, de l’argent et de la place qu’occupent les joueurs de foot aujourd’hui? Qu’en soi, ces choses-là ne sont pas mauvaises. Vouloir s’améliorer en tant que joueur de foot n’empêche pas d’avoir tout ça. Moi, je regrette de ne pas avoir plus profité de mon statut. J’imaginais qu’à 60 ans, j’allais être ruiné, je ne me rendais pas compte de ce que c’était que d’avoir 20 ans, qu’il fallait en profiter, parce que la vie passe à une vitesse folle. Après tout, un entraîneme­nt ne dure que trois ou quatre heures dans une journée qui en compte vingt-quatre au total. Après, s’il n’y a que l’argent qui t’intéresse, t’es mal barré. Tu penses qu’il y en a qui pensent seulement à ça quand ils tapent dans un ballon? Il n’existe pas de manuel d’utilisatio­n de la vie. Moi, quand je perdais, ça m’affectait tellement que je ne pouvais pas fermer l’oeil de la nuit. Le pire, c’est que je devais sûrement avoir tort de réagir comme ça! Le fait de détester la défaite faisait de moi un anticonfor­miste. Peut-être même que ça me faisait progresser, mais au final, qui vit le mieux? Sans doute celui qui s’en bat les couilles de tout… Il faut savoir vivre avec son temps, c’est pourquoi je n’aime pas qu’on dise: “Les gamins d’aujourd’hui sont différents.” C’est sans doute le cas. Mais peutêtre aussi qu’ils vivent mieux qu’à notre époque. Je n’aime pas le dogmatisme. Combien de fois les jeunes vont-ils vivre? Une fois, comme tout le monde. Après, si je dois travailler avec des types, donnez-moi ceux qui sont affectés par la défaite… Quoi qu’il en soit, jamais vous ne m’entendrez dire à un jeune: “Hé toi! Tu as une mauvaise vie.”

Qu’est-ce qui va sauver le football? C’est difficile à dire. Ici, en Argentine, il y a de la passion, mais peu de spectacle. C’est de plus en plus rare de voir des bons matchs, mais personne n’a l’air de s’en soucier, puisque beaucoup se contentent de regarder les résumés de matchs qui passent à la télévision. Je fais partie de la dernière génération qui regardait des matchs en entier. La génération actuelle, elle, est habituée à l’éphémère. Un match de Playstatio­n dure cinq ou sept minutes à peine. À la télévision, c’est pareil: il n’y a plus que des résumés. C’est là que la nouvelle génération voit les buts. Pour eux, il n’y a plus que ça qui compte. Nous, les vieux, on est plus dans l’analyse, on espère encore voir des jolies actions. Cette vision romantique du jeu est de plus en plus dure à tenir dans le milieu du football d’aujourd’hui… Peut-être, mais la pression n’est plus juste l’affaire du footballeu­r. Bien souvent, sa famille souffre plus que lui. Dernièreme­nt, j’ai remarqué qu’elles allaient de moins en moins voir les matchs: qu’un type qui a réalisé son rêve de devenir pro ne voit plus les siens en tribune, c’est contradict­oire quelque part, non? Je connais beaucoup de parents qui restent chez eux pour regarder leur fils à la télévision. Ils coupent le son, pour ne pas avoir à écouter les commentair­es et les critiques… Personne n’aime qu’un être cher se fasse insulter. Vous êtes l’idole de jeunesse de Messi. Comment jugez-vous son évolution ces dernières années? Sa meilleure version est toujours celle qu’on a vue en dernier. Quand il avait 20 ans, il pouvait dribbler quatre types d’un coup plusieurs fois par match. Aujourd’hui, il se contente de le faire deux fois, voire une fois par match, mais c’est toujours au moment et à l’endroit juste. Si tu me demandes quel Messi je préfère voir, je te réponds celui qui avait 20 ans. Mais le Messi actuel est un bien meilleur joueur. C’est une encyclopéd­ie du football. Il sait quand il doit attirer les rivaux sur lui pour mieux démarquer un coéquipier, il sait quand il doit dribbler, quand il doit accélérer, quand il doit jouer à une ou deux touches de balle. À mes yeux, Messi est le footballeu­r total. – Traduction: Marco Prieto Santos/Photos: Picture-Alliance/ Dppi et Imago/Panoramic

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Pas moche, Pablo.
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Quand tu joues contre Valbuena.

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