So Foot

Olivier El Khoury.

Bien qu’originaire de Namur et résidant à Bruxelles, Olivier El Khoury supporte le très flamand Club de Bruges. Une passion transmise par son Libanais de père, l’un des personnage­s principaux des on livre, Surface de réparation.

- Propos recueillis par Vincent Riou / Photos: DR et Belga/Iconsport

L’écrivain belge, supporter du Club de Bruges, ne conçoit pas la relation qu’il entretient avec son père sans le football. Si les histoires de famille sont souvent fatigantes, la sienne serait plutôt du genre truculente.

“Appeler untel ‘l’Arabe’ ou ‘Kadhafi’, c’est une preuve d’amour, une façon d’exprimer des choses qu’ils n’arrivent pas à exprimer!”

Dans votre ouvrage, le personnage du père est inspiré du vôtre. Comment celui-ci est-il devenu supporter du Club de Bruges? C’est la véritable question. Il est Libanais, il est venu en Belgique à 18 ans et s’est installé comme docteur à Bruxelles, puis en Wallonie… Donc le fait de s’amouracher d’un club flamand, c’est assez étrange, incompréhe­nsible même. Mon père m’a toujours dit qu’il ne s’est pas formalisé deux heures et demie sur la question de savoir s’il avait le profil ou non d’un supporter type. C’est venu spontanéme­nt, il a aimé le style en les voyant jouer: c’est un club plein de grinta qui n’est pas dans la recherche esthétique. Moi, tout ce que je sais, c’est que ma passion m’a été transmise par lui!

Est-ce que la qualité de vos relations fluctue en fonction des résultats du club, comme c’est le cas dans le livre? Je me sens pathétique en le disant, mais oui! Ces dernières années, on était en course pour le titre, ça fait qu’il y a une belle complicité entre nous, meilleure que si on était dans le ventre mou… Parfois, je dois recadrer mon père et lui dire: “Écoute, va à ce souper avec maman. Le match, tu l’enregistre­s, ne faillis pas à tes devoirs conjugaux à cause d’un stupide match de foot!” Et lui pourra me dire pareil: “Tu travailles tôt demain, ne regarde pas ce match à la con!” C’est comme un fumeur qui dirait à un autre fumeur: “Écoute, il faut que tu arrêtes de t’en griller.”

Est-ce que vous préférez, comme votre protagonis­te, regarder les matchs à la télé pour épargner aux autres le spectacle de votre folie? Oui. Dans un stade, on se sent parfaiteme­nt désinhibé, on peut sortir les pires insultes. C’est hallucinan­t de voir comment une foule peut entraîner des comporteme­nts individuel­s complèteme­nt incohérent­s. Mais ce qui est encore plus inquiétant, c’est d’avoir de tels comporteme­nts devant sa télé. Je l’avais expériment­é avec mon père: j’avais capté son excitation en planquant une caméra qui nous filmait devant le dernier match du championna­t de l’année dernière, où on avait battu Anderlecht 4 à 0. Le fait de se revoir après, c’est assez flippant. Cette image de soi-même à froid, on n’a pas trop envie de l’affronter.

Dans le livre, vous présentez le fait d’avoir hérité de cette passion pour le Club de Bruges comme un lourd fardeau.

C’est vrai que quelqu’un qui n’est pas averti risque de situer Bruges comme un club de couillons, alors que ça ne l’est évidemment pas. On a plus de titres que le Standard, hein! Mais j’ai commencé à écrire le bouquin alors que le Club n’avait plus remporté de titre depuis onze ans. Et puis j’avais le souci d’exagérer la situation, parce que ça servait l’histoire de mon personnage, un loser qui supporte un club à son image. Dans la réalité, même si c’est vrai que j’ai tendance à vouer un culte à la lose, voir mon club perdre me rend malade, je n’en tire vraiment aucune vanité, aucune fierté. En aucun cas je ne supportera­is qu’on lui colle une étiquette de loser. Quand je me suis mis à le supporter, à cinq ans, ça m’est tombé dessus et je n’avais évidemment pas conscience qu’il était un peu en marge. Je ne l’ai donc pas choisi par souci d’originalit­é, mais aujourd’hui, ça me confère un statut qui me plaît beaucoup, idéal quand on apprécie critiquer le Standard et Anderlecht, les grandes vedettes des médias.

Justement, vous qualifiez les Liégeois de “barakis”. C’est-à-dire?

C’est un mot bien de chez nous, assez difficile à expliquer. C’est assez fou qu’il n’existe pas dans d’autres langues, et ça fascine pas mal de Français: c’est entre un kéké et un boloss, c’est à la fois une racaille et un bon vivant de la campagne, c’est une manière d’être, de s’habiller, une question de milieu, aussi. Ça englobe plein de choses, en fait. De façon personnell­e, je l’associe aux supporters du Standard. On a tendance à dire par exemple que le stade d’Anderlecht, lui, est plus bourgeois. Moi, j’aime beaucoup la sobriété, et j’ai l’impression que les joueurs et les dirigeants d’Anderlecht n’en sont pas adeptes. En bruxellois, on appelle ça des “dikkeneks”: ils

ont des gros cous. Le melon, quoi. Mon aversion pour Anderlecht est née d’une frustratio­n, et je pense que c’est le principe des rivalités: on est obligé de détester le camp que l’on ne supporte pas, il n’y a pas de compromis qui puisse s’installer.

Quand il débarque dans son équipe de village, gamin, votre protagonis­te se fait appeler “le bourgeois” par les parents, “le riche” par ses coéquipier­s, mais rapidement, il est “l’Arabe” pour tout le monde. Ça sent le vécu…

Quand ils ne vous connaissen­t pas, les gens vous considèren­t au premier abord sous un certain angle de vue. Puis, à force de se côtoyer, les rapports sont beaucoup plus enrichissa­nts que la vanne sur le surnom peut le laisser supposer. Dans le foot, on est dans un rapport aux tripes, aux couilles, c’est assez primaire, surtout dans le feu de l’action, donc il y a tout un tas de trucs qui sont banalisés, mais qui, moi, ne m’atteignent pas des masses. Si les premiers mots qui viennent sont parfois racistes, ce n’est pas forcément politiquem­ent incorrect, quoi. Et puis ce sont des milieux où des gens sont super maladroits pour s’exprimer, appeler untel ou untel “l’Arabe” ou “Kadhafi”, c’est une preuve d’amour, une façon d’exprimer des choses plus subtiles ou plus fines qu’ils n’arrivent pas à exprimer! Moi, je le vois comme ça plutôt que comme du racisme ordinaire.

Dirar et Meunier sont les deux derniers joueurs passés chez vous et bien connus de ceux qui suivent la ligue 1… Avec Dirar, on n’a pas gagné de titres si je me souviens bien, mais il a fait les beaux jours de Bruges. Meunier, même s’il n’est pas forcément très juste dans ce qu’il dit, j’aime son franc-parler, en plus de son style de jeu qui nous a tant apporté. Il a les couilles de dénoter de temps en temps, et c’est un des grands artisans de notre titre en 2016. Après, la manière dont on le porte aux nues parce qu’il connaît le nom de Picasso, de Van Gogh, et qu’il s’exprime pas trop mal, d’en parler comme du footballeu­r intellectu­el, artistique, bla-bla… Ça me fait marrer tout ce foin, depuis qu’il est à Paris! Le mec, ça ne doit pas être Albert Einstein non plus, hein, il a fait une année d’arts plastiques!

Alors, qui sont tes idoles au Club de Bruges?

Il y a un joueur que j’adorais plus jeune, un Slovène, Nastja Ceh, auquel je m’identifiai­s pas mal, mais je devais avoir 13 ans quand il est parti à l’Austria Vienne. Il n’a pas percé. Quand on est jeune, on a tendance à ériger des joueurs en héros, et ils finissent dans des clubs pourris avec des carrières en eau de boudin. Votre bouquin s’ouvre sur cette citation de Michel Preud’homme: “Je vous encule! Je vous encule, tous! Je vous encule, bande de merdes!” C’est classe… Preud’homme est un être exceptionn­el, je suis fanatique de ce mec-là. Il est tellement possédé par cette passion du foot qu’il ne peut pas se contrôler, donc ça correspond­ait bien à mon personnage, et à son père. Cette citation, c’est un épisode magnifique: on jouait Anderlecht dans un match déterminan­t, et lui qui a tendance à s’énerver comme un dératé sur les arbitres, il était en tribune pour s’être mal comporté un match auparavant. Évidemment, quand tu es charismati­que comme lui, dans un gros match comme ça, tu sais que tous les spots sont braqués sur toi, et cette citation, eh bien c’est sa réponse aux supporters d’Anderlecht qui se sont mis à le chauffer en chantant alors qu’on était en train de perdre: “Allez Michel,

saute avec nous!” Il n’a pas pu s’empêcher de répliquer, j’ai trouvé ça fascinant. Après, c’est parfois plus poétique, le foot. En 2008, l’un de nos attaquants, François Sterchele, s’est tué en voiture. Je me souviens avoir chialé devant le JT en apprenant sa mort, alors que c’était pas un joueur que j’adorais particuliè­rement. Il portait le numéro 23, et les matchs qui ont suivi sa mort, les spectateur­s se sont mis à applaudir à la 23e minute. C’est une habitude qui ne s’est jamais éteinte jusqu’à aujourd’hui. C’est assez significat­if de l’amour d’un public pour son blason, ses joueurs, et ça me fait toujours frissonner.

“Quand on est jeune, on a tendance à ériger des joueurs en héros, et ils finissent dans des clubs pourris avec des carrières en eau de boudin”

 ??  ??
 ??  ??
 ??  ?? E=CM2.
E=CM2.

Newspapers in French

Newspapers from France