So Foot

Sadek.

Il a tourné avec Gérard Depardieu, mais Sadek reste surtout le seul rappeur français à avoir cité le Roudourou dans un de ses textes. Un fait d’armes qui ne l’empêche pas de vouer un culte aux salopards du foot.

- Propos recueillis par Brice Bossavie / Photos: Iconsport et BB

Le rappeur, le seul dans le paysage français à avoir cité le Roudourou dans ses lyrics, aime les salopards. Surtout ceux qui peuplent la planète foot.

Dans tes textes, tu n’arrêtes pas de citer des clubs italiens. Le Calcio, c’est ta référence? C’est un style de jeu qui me plaît, et puis c’est le championna­t de mon enfance. Avec le PSG, la Juve est l’autre club que je suis depuis tout petit, sûrement parce que Zidane y était à l’époque. Le football italien lui a énormément apporté dans son jeu et selon moi, c’est indirectem­ent la Juve qui nous fait gagner la coupe du monde 1998. Je me souviens de mon père qui m’expliquait pendant la compétitio­n: “Tu vois, si les Bleus arrivent à jouer comme ça, c’est parce que la plupart sont allés en Italie.” C’est incroyable la Juventus: malgré les crises, les relégation­s, c’est un club que tu ne pourras jamais effacer de l’histoire du football. Les jeunes aujourd’hui parlent beaucoup du Barça, du Real et du PSG, mais ils ne sont pas insensible­s quand tu leur parles de la Juve. Et puis j’aime beaucoup les footballeu­rs italiens comme Gennaro Gattuso, pour son côté sans âme, tout pour l’équipe, qui casse des jambes. En fait, j’aime bien les joueurs comme Pepe ou Sergio Ramos, le vice, l’aspect psychologi­que…

Tu dois aussi apprécier Thiago Motta alors? Je suis supporter du PSG. Donc oui, évidemment. Tout comme je le détesterai­s si j’étais supporter d’une autre équipe. Mais le vice fait partie du jeu. C’est impression­nant d’accepter cette responsabi­lité d’être détesté au service des autres. C’est vraiment quelque chose que je sais apprécier chez les autres. Les simulation­s, quand elles sont bien faites, je trouve ça extraordin­aire. Quel joueur est propre à 100 % dans son jeu? Il n’y en a pas. C’est pour ça qu’il y a des cartons et des arbitres. Pour moi, les footballeu­rs sont les gladiateur­s modernes. Il y a des coups bas, mais ce sont uniquement des choses qui se passent sur le terrain. En Tunisie, on appelle ça le chméta: un petit coup de vice bien placé au service de la réussite ou de l’humour. Genre Sergio Ramos: l’arbitre siffle le coup franc, et il le joue vite. C’est dans les règles! Je n’aime pas, par exemple, les semelles: les joueurs qui vont essayer de viser les chevilles. Le football c’est très psychologi­que, et c’est la raison pour laquelle chacun y voit des choses différente­s.

C’est-à-dire? Avec le rap et le cinéma, je navigue un peu entre les couches sociales, et je vois des différence­s. Un mec de cité va rapidement regarder les dribbles, le lifestyle, quelle voiture ou quelle maison a tel joueur, ça va le faire rêver. Alors que quand je regarde un match avec mon banquier ou mon comptable, ils vont regarder d’autres choses comme le vice, la tactique. Les meufs, elles, vont regarder les corps (rires).

Quel a été ton premier lien avec le foot? La coupe du monde 1998 justement. C’est ce qui m’a rapproché du football. Avant ça, le foot était le jeu avec lequel je me faisais des amis. Mais quand tu vois un but de Lilian Thuram, qu’à la maison tout le monde se lève, et que lorsque tu regardes à la fenêtre tu vois que c’est partout pareil dans le quartier, c’est extraordin­aire. Les gens se prenaient dans les bras sans se connaître. Direct après le coup de sifflet, mon père m’a emmené sur les Champs-Élysées, c’était un moment complèteme­nt fou, il n’y avait que de la joie et du bonheur sur l’avenue. Si on est rationnel, ce sont juste onze mecs qui jouent contre onze mecs avec deux maillots différents et qui représente­nt deux pays, mais les émotions que tu as dépassent tout. Aucun politique ne peut te donner les sensations d’un joueur de foot. Après je ne suis jamais allé à un meeting, mais si je te propose d’aller au stade ou à un meeting, tu vas choisir quoi? Le stade! (rires)

Avant cette fameuse demi-finale, tu jouais au quartier? Bien sûr. Je jouais juste en face de chez moi à Neuilly-Plaisance: il n’y avait pas de terrain mais une grande surface de terre dure, et on jouait dessus. On se faisait des matchs de trente contre trente sans aucune règle… Je le dis dans mon morceau Paro: “Un ballon de foot et des copains, putain sa mère ce qu’on était bien.” La vraie force d’un être humain, c’est d’arriver à se contenter de rien. Tu joues avec tes copains, tu es content, tu as ton premier scooter ou tu embrasses ta première fille, c’est incroyable. Aujourd’hui, il nous en faut toujours plus: quand tu auras un jet, tu voudras une soucoupe

“Le vice fait partie du jeu: c’est impression­nant d’accepter cette responsabi­lité d’être détesté au service des autres. C’est vraiment quelque chose que je sais apprécier chez les autres”

“Ma première fois au Parc des Princes, j’avais la grippe et j’ai vomi sur des touristes espagnols”

volante. Alors quand on reproche à des joueurs de se blesser dans des matchs amicaux, j’ai envie de dire à ces gens: “Mais vous êtes cons

ou quoi?” Le foot c’est son plaisir, normal qu’il se donne. Le foot, c’est comme la bouffe: que tu sois milliardai­re ou pauvre, tu vas apprécier de manger quelque chose.

Tu te souviens de ta première fois au Parc? C’était après la coupe du monde. C’était une fois un peu malheureus­e. J’étais malade, j’ai vomi sur des touristes espagnols. (rires) Ils ont été très gentils d’ailleurs, ils ont pris des nouvelles auprès de mon père pour voir si j’allais bien. J’avais une grosse grippe mais mon père et mon oncle avaient eu des places et ils m’ont dit “on y va!”. Je les soupçonne aujourd’hui de ne pas avoir eu envie de me ramener à la maison. Ils l’ont payé. (rires)

Vu que tu as connu les années difficiles du PSG, tu as un peu de recul sur ce qu’il se passe aujourd’hui? J’ai beaucoup été supporter du PSG dans la défaite, donc évidemment que j’ai du recul sur la victoire. Mais la passion et la ferveur font que tu peux aussi perdre ce recul. Par exemple, quand on a perdu contre Barcelone, je n’ai plus regardé un seul match jusqu’à la fin de la saison, je n’étais pas bien, presque dégoûté. En ce moment, tout le monde s’emballe et ça me rend fou: on a gagné contre le Bayern et on parle déjà de gagner la ligue des champions, mais ce n’est pas comme ça que ça marche!

Tu clames souvent ton amour pour le Brésil, et tu t’y rends souvent. Quel est ton ressenti sur la place

du football dans ce pays? C’est pire que dingue. Sur la plage de Copacabana, tu as des filles en string qui font des brésilienn­es et jouent super technique. C’est vraiment une religion. Récemment, j’étais avec des amis brésiliens, on rigolait, j’ai commencé à les chambrer sur l’Allemagne, et d’un coup plus personne ne s’est marré. Ça ne rigolait pas du tout, ça insultait la mère de Thiago Silva à toutes patates. (rires) J’ai dû leur dire “c’est bon, estou brincando” (“je plaisante”, ndlr) pour détendre l’atmosphère.

Tu as tourné avec Gérard Depardieu qui a un gros passé avec le football: il a participé au doublé coupe-championna­t d’Auxerre en 1996, il était même avec les joueurs dans le vestiaires… (Il

coupe) Ah la légende! Je n’étais même pas au courant. Il me parlait plus de ses expérience­s dans le cinéma, ses rencontres avec De Niro… Mais ça ne m’étonne pas du tout: c’est quelqu’un de très curieux et instinctif, il a besoin de vibrer et d’aller vers les autres. Je l’ai vu à son contact: il me posait des questions sur le rap, je me disais que c’était de la politesse. Et puis j’ai bien vu que c’était plus que ça. C’est en tout cas sûr et certain qu’il a donné aux joueurs d’Auxerre des discours complèteme­nt incroyable­s dans les vestiaires. Il a dû bien te les motiver.

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Fumer peut rendre aveugle.

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