So Foot

Joey Barton

- Par Joey Barton et PA Images/Iconsport / Photos: ActionImag­es/ Panoramic, Photoshot/Iconsport, Colorsport/Dppi

est un lad anglais passé par ManCity, Newcastle et l’OM, et connu pour son football “physique”: coups de poing à Dabo, manchette à Tévez, coup de genou à Agüero et moqueries envers Zlatan. Retraité prématuré suite à une suspension de 13 mois pour paris illicites, l’ancien milieu est devenu un homme de médias. Il le prouve avec une interview de haut vol de Gary Neville.

D’un côté du ring, Joey

Barton, éternel badboy du foot anglais et punchliner dur sur l’homme. De l’autre, Gary Neville, ancien latéral rugueux des Red Devils et entraîneur raté du FC Valence, reconverti dans un rôle de consultant qui dézingue la planète foot sans pitié. À première vue, un dialogue entre deux types qui ne doutent de rien pouvait rapidement tourner court. Mais voilà, impossible n’est pas anglais. La preuve.

Joey Barton: Tu as 85 sélections avec l’Angleterre, huit Premier League, trois FA Cup, deux League Cup, deux ligue des champions. Tu as constammen­t gagné sur une très longue période. Peux-tu nous dire ce que cela signifie de gagner, à tes yeux?

Gary Neville: Lorsque je jouais, gagner était une notion présente chaque semaine. Au début de chaque saison, on se disait qu’il fallait être champion. Parce que tu es à United, avec sir Alex. Il voulait rattraper Liverpool et faire de Manchester United le club le plus titré du pays. C’était son défi. Donc tu as la nécessité de gagner. Là-bas, c’est ce que tu dois faire de 16 à 35 ans. Pareil pour les gens qui nous entouraien­t, comme Nobby Stiles, qui était notre entraîneur chez les jeunes. Il avait gagné la coupe du monde et la coupe d’Europe. Il y avait aussi Eric Harrison, qui avait joué à Halifax. Il était agressif, méchant, une personne horrible. Il détestait manquer un tacle, donc vous pouvez imaginer à quel point il détestait perdre un match. Je dis horrible, mais c’était un grand monsieur, qui a fait des choses fantastiqu­es pour nous. Il fallait travailler dur pour être au niveau. C’était le standard de sir Alex. Et il vous a transmis la confiance?

Individuel­lement, cela arrive parfois de la perdre, mais il nous disait souvent: “Où est la prise de

risque dans votre jeu?” Il vous encouragea­it à dribbler votre adversaire direct, surtout dans les 25 derniers mètres. Kidd, notre entraîneur chez les jeunes, était génial pour cela. Il disait toujours: “Va provoquer ton adversaire en un contre un.” On le faisait constammen­t à l’entraîneme­nt. Un joueur dans le rond central, un défenseur aux abords de la surface, le joueur doit le passer et se retrouver face au gardien. C’était horrible. Vous aviez un Ryan Giggs ou un Roy Keane qui arrivait devant vous, tout le monde vous regardait. Ce n’est pas la chose la plus plaisante à faire, mais Kidd nous le faisait faire tout le temps. C’est presque une version footballis­tique de Fight Club, en fait. Ouais, même à l’entraîneme­nt, il y avait cette notion de compétitio­n. Vous devez battre ce mec, il doit vous battre, c’était comme ça tous les jours. On était chanceux. Et on est arrivés dans une équipe ou il y avait Bruce, Pallister, Schmeichel, Keane, Robson, Ince, Hughes, Cantona… Ces gars-là étaient tous considérés comme des gros caractères, des grands leaders. C’étaient d’immenses joueurs de Premier League, d’immenses footballeu­rs britanniqu­es également, et on les a côtoyés pendant deux ou trois ans. Donc on était toujours entourés de personnes qui donnaient leur maximum tout le temps. Une mauvaise passe était un crime, un mauvais résultat c’était encore pire. Ils vous entraînaie­nt dans leur sillage. Je me souviens avoir parlé avec Schmeichel, à l’époque où j’étais un jeune joueur qui tentait de s’imposer en équipe première de City. J’avais été bluffé par son état d’esprit. Il pensait qu’il n’allait jamais faire d’erreurs. Il me disait qu’il ne ratait jamais ses matchs. Selon lui, il avait juste fait une ou deux erreurs dans sa carrière. Il le croyait vraiment, il ne le disait pas pour faire genre… Peter était horrible avec moi à mes débuts. Ils avaient une défense à quatre avec Parker, Irwin, Bruce et Pallister. Ils avaient gagné des titres de champion, participé au doublé. Et moi, je m’imposais dans cette défense. Trois ou quatre ans après mon arrivée, le jour de Noël, il m’a dit: “Je croyais réellement que tu n’étais pas assez bon, que tu étais une menace pour nous dans notre mission de devenir champions. Tu faisais des erreurs qui nous coûtaient des buts.” À l’entraîneme­nt, il se mettait au point de penalty et attrapait mes centres en me disant qu’ils étaient à chier. À chaque fois qu’il prenait un but à l’entraîneme­nt, il était furieux. Pire, il se déchaînait contre le défenseur qui avait fait une erreur. Ils étaient tous comme lui. Bruce, Keane, Ince et Hughes étaient comme ça aussi. Tu les connais, tu as joué contre eux, tu sais comment ils sont. Mais Giggs était pareil, Scholes aussi, et moi aussi, lorsqu’on a repris le flambeau. On a apporté ce standard dans le vestiaire. Sir Alex fixait les exigences. Les coachs étaient en charge de l’entraîneme­nt, pas lui, mais il était là, à nous observer. J’ai joué avec Alan Smith et Nicky Butt à Newcastle et je leur demandais: “Alors, il est comment,

Fergie?” Selon eux, il avait un sens inné du timing pour dire les choses, botter le cul d’un joueur, en rassurer un autre. Chez les très grands managers, il y a une volonté de déléguer: aux joueurs, d’abord, mais aussi aux coachs en charge des entraîneme­nts. Le manager supervise, donne la confiance et délivre ce message: “Si quelque chose

tourne mal, je suis derrière vous.” Donc lorsque tu me dis que tu ne connaissai­s rien d’autre que la victoire, c’est complèteme­nt normal. C’est même une chance, moi j’ai travaillé pour beaucoup de mauvais entraîneur­s. Je crois que cela devient un problème après ta carrière, et particuliè­rement si tu veux devenir entraîneur. Parce que tout ce que tu as connu, c’est l’excellence au plus haut niveau, le fait de gagner constammen­t. Lorsque je jouais en sélection, je ne vais pas dire qu’il y avait un manque de qualité parce qu’il y avait de grands joueurs, mais à l’entraîneme­nt, l’intensité était différente. Vous aviez pas mal des meilleurs joueurs du monde à Manchester. Des mecs qui ont probableme­nt la meilleure manière de concevoir le football. Puis tu arrives en sélection où il y a du talent mais… Je savais ce que c’était de gagner avec United. Mais en sélection, si quatre ou cinq joueurs ne sont pas au même niveau, tu n’as pas l’équipe pour le faire. Et je ne parle pas de talent mais du niveau d’implicatio­n, de la mentalité, de la préparatio­n. Toutes ces choses dont tu as besoin pour remporter des titres. C’est pour ça que ça ne fonctionne pas avec l’Angleterre. En 2004 et en 1996, on aurait pu gagner. Le talent était là mais la mentalité nous a peut-être fait défaut. On a perdu aux tirs au but les deux fois. C’est un talent, de savoir tirer un penalty, mais c’est aussi une question de mentalité. Il faut être capable de se saisir de ces grands moments, et faire en sorte qu’ils tournent en votre faveur. À United, on arrivait à le faire, mais pas en sélection. En tant qu’adversaire, je peux dire que les moments où vous étiez les plus dangereux, c’est lorsque vous étiez menés dans les dix dernières minutes. On me demande souvent ce que sir Alex disait dans ces causeries. Il n’y en avait jamais une où il ne faisait pas référence au fait de travailler dur. Pas une où il ne nous disait pas qu’il ne fallait jamais baisser les bras. Les deux uniques choses qu’il nous demandait constammen­t, c’était de travailler aussi dur qu’on le pouvait et de ne jamais abandonner. Si tu appliques ça dans ta vie, tu gagnes. Lorsque je suis consultant à la télévision, je critique parfois une tactique ou un joueur qui a fait une erreur mais le pire, c’est quand il n’y a pas l’implicatio­n, que les joueurs s’en foutent. Pour moi, c’est impardonna­ble. C’est à ce moment-là qu’il faut rentrer dans tes joueurs. Quand je regarde Huddersfie­ld face à City, je sais qu’ils vont probableme­nt se faire battre, mais je sais aussi qu’ils ne seront pas avares d’efforts, qu’ils seront impliqués, qu’ils montreront de l’envie, qu’ils en ont quelque chose à faire, qu’ils sont fiers de porter ce maillot. Donc je suis plus clément avec eux. Mais quand je vois West Ham face à Leicester, je sais que si Leicester marque, quelques joueurs de West Ham vont baisser les bras. Certains d’entre eux ne donneront pas le maximum. Certains s’en foutront un peu. Pour résumer, sir Alex ne disait qu’une chose: tu te fixes des exigences, tu travailles dur, et tu n’abandonnes pas. C’est tout.

C’est ta référence. Moi j’ai été de l’autre côté, j’ai joué dans certains environnem­ents où tu vois ce que j’appelle des “erreurs d’effort”. On connaît beaucoup de joueurs, qu’on ne va pas nommer, qui se cachent derrière le talent. Ils sont très forts mais

“Ferguson disait tout

le temps: ‘J’envoie mes joueurs en équipe d’Angleterre et ils reviennent toujours avec la tête à l’envers.’ C’était une vraie idée, à Old Trafford, à l’époque…” Gary Neville

ne font pas d’efforts. Puis il y a des joueurs, comme toi, qui maximisent leurs qualités. Qui se forgent un palmarès et jouent pour de grandes équipes. Si tu avais lésiné sur les efforts, United aurait recruté le meilleur arrière droit du monde. Oui, c’est ce qu’ils auraient fait. Est-ce que cette peur est aussi un moteur? Est-ce que tu en avais besoin? Moi, j’avais la chance de jouer pour le club que je supportais quand j’étais enfant. Il est parfois facile de confondre un manque de confiance, ou quelqu’un qui est malheureux dans sa vie personnell­e, avec un manque d’efforts. Donc j’essaie de faire preuve d’empathie. Cela m’arrive de critiquer un joueur en tant que consultant, et d’apprendre une semaine après qu’il lui est arrivé un truc dans sa vie personnell­e. Tu te dis: “Je n’aurais pas dû y aller aussi fort, j’aurais dû être plus sympa.” Je me souviendra­i toujours de mon premier match à l’extérieur avec l’Angleterre, en Norvège. Brian Woolnough, qui nous a quittés, était le journalist­e principal et le plus puissant du Sun…

Je m’en souviens, il avait une tête énorme!

(Rires) Ouais, il m’avait mis 4 sur 10. Et le commentair­e c’était: “Nerveux, très mal aligné.” Pourtant, j’avais plutôt pas mal joué. Terry Venables, le sélectionn­eur, m’a appelé deux jours plus tard pour me dire: “Ne te laisse pas affecter.” Je m’en foutais un peu, mais sir Alex Ferguson disait tout le temps: “J’envoie mes joueurs en équipe d’Angleterre et ils reviennent toujours avec la tête à l’envers.” C’était une vraie idée, à Old Trafford, à l’époque.

Parce que vous arriviez dans un endroit ou la culture n’était pas aussi forte. Et que vous alliez vous ramollir. C’est ce qui m’a fait relativise­r mon expérience d’entraîneur à Valence (en 2015-2016, ndlr). Je suis retourné directemen­t à la télévision. Pourtant, il y en a qui pensent que je ne suis plus légitime pour parler de football. C’est ridicule, mais tu le ressens. On te dit: “Qui es-tu pour critiquer?” J’ai entendu des entraîneur­s, comme Pulis ou Klopp, s’en servir contre toi. Pep aussi, l’an dernier. C’est un phénomène moderne, que les entraîneur­s s’en prennent aux consultant­s. À quoi ça sert? Quand tu joues, à quel moment l’avis d’un consultant va t’aider ou te gêner? Tu t’en fous, au pire, tu joues mieux la prochaine fois. Donc en tant qu’entraîneur, pourquoi est-ce que tu laisses cela impacter tes joueurs? Et puis, avec tous les angles de caméras et les analystes qu’il y a, ils ne peuvent plus se cacher. On a toutes leurs données, toutes leurs statistiqu­es, toutes leurs tactiques, toutes leurs combinaiso­ns sur coups de pied arrêtés, on a des caméras qui filment du haut de la pelouse, ce qui veut dire qu’on peut voir tout ce qu’ils peuvent voir. Et ce que l’on dit est probableme­nt vrai. Sur 99 % des buts, ce qui sort de la bouche d’un analyste sur une émission de foot est la vérité. Qui t’a le plus influencé personnell­ement et profession­nellement? Mes deux parents, mais aussi sir Alex, bien sûr. Au final, mon histoire a commencé avec lui. J’ai eu des entraîneur­s exceptionn­els chez les jeunes, je ne pourrai jamais les remercier assez. Mais si le boss ne dit pas “je ramène ce joueur

dans l’équipe première”, qu’il ne vend pas les joueurs plus expériment­és comme il l’a fait, et qu’il ne croit pas en toi, c’est fini. La “Class of 92”, c’est quelque chose que je ne pense pas revoir un jour dans ce pays. Toi, Giggs, Beckham, Scholes, vous vous êtes tous imposés dans l’équipe première au même moment. Est-ce que tu sentais que tu faisais partie d’un groupe exceptionn­el? Pas sur le moment. Il y avait eu un article dans lequel Bryan Robson, lorsqu’on avait 17 ou 18 ans, avait dit: “Si ces mecs ne percent pas, on peut tout

arrêter.” Ça nous avait donné la confiance. Puis on a gagné la Youth Cup. C’était la première fois en trente ans que United la gagnait. Après, on a gagné le championna­t des réserves, puis un titre avec l’Angleterre U18. Là, on s’est rendu compte qu’on faisait des trucs que d’autres n’avaient pas réussi auparavant. Mais ce n’est que lorsque tu signes ton premier contrat et que tu débutes avec l’équipe première que tu réalises vraiment. Puis tu gagnes ton premier championna­t et tu te dis: “Ok, rien ne va nous arrêter maintenant.”

Tu penses que c’est possible de revoir une telle génération? Gagner a toujours été important mais aujourd’hui on dirait que…

Tu gagnes des médailles juste pour avoir participé!

Liverpool et United pourraient faire de grandes choses avec leurs jeunes. City aussi. J’adorerais qu’il y ait un quota qui oblige les équipes à prendre trois joueurs formés au club dans leur groupe de 18 joueurs chaque semaine. Des joueurs qui peuvent percer, qui sont au club depuis qu’ils ont 15 ou 16 ans. Ça ne veut pas forcément dire qu’ils doivent venir de la ville. Cela pourrait être des joueurs étrangers qui ont été ramenés à 14 ou 15 ans. Il faut créer un chemin vers l’équipe première. Trois sur 18, ce n’est pas trop demander. Et ils peuvent être sur le banc, pour commencer. Mais est-ce que ça se fera? Pas sûr.

On a des jeunes talentueux, il faut leur donner des opportunit­és. On doit parvenir à créer une culture importante de coaching et de jeu, ce qu’il y avait à United. Avec un leader en haut de l’échelle, des leaders dans le vestiaire. Puis le cycle change. Tu passes de suiveur, en tant que jeune joueur, à leader qui fixe la barre pour les futurs leaders, comme Cristiano Ronaldo aujourd’hui. Avec votre modèle à United, c’est devenu un gagnant. Sachant que tu as été coach, est-ce que tu aimerais voir plus d’entraîneur­s britanniqu­es avoir des opportunit­és? Bien sûr, mais je crois que l’on verra de moins en moins de joueurs finir leur carrière et aspirer à devenir entraîneur. Lorsque j’ai signé à Valence, j’avais tout planifié, je m’étais préparé pour tout, mais les meilleurs entraîneur­s doivent être obsédés par tous les éléments liés au foot,

“Depuis mon expérience d’entraîneur à Valence, il y en a qui pensent que je ne suis plus légitime pour parler de football. On te dit: ‘Qui es-tu pour critiquer?’” Gary Neville

“Quand je pense à Fergie, je pense à la structure américaine de coaching. Des grands entraîneur­s, qui sont comme des pères. Tu veux que tes enfants soient une meilleure version de toi, qu’ils héritent de tes forces, mais qu’ils aient moins de faiblesses” Joey Barton

cela doit les ronger. Je ne suis pas sûr que les meilleurs joueurs britanniqu­es, lorsqu’ils auront fini leur carrière, vont se dire: “Je vais mettre exactement le même niveau d’implicatio­n, de détail, de travail et d’attention que celui que je mettais lorsque j’étais un joueur de 15 ou 16 ans.” C’est notre problème, aujourd’hui. En partie parce qu’il y a d’autres voies, mais aussi parce que les gens, quand ils ont fini leur carrière à 35 ans, se disent que le combat est fini. Combien de grands boxeurs deviennent entraîneur­s? Ils sortent souvent d’un gymnase pourri, et montent la pyramide. Ils apprennent le coaching sur des années, c’est un talent complèteme­nt différent… Il y a un gros problème pour les entraîneur­s anglais: notre réputation. La perception que les étrangers ont de nous est désastreus­e. En Espagne, on est considérés comme de mauvais coachs. Ils voient la Premier League comme quelque chose de fantastiqu­e pour le spectacle mais ils pensent aussi que nous sommes débiles parce qu’on dépense trop d’argent sur les transferts. Pour beaucoup, on a gagné au loto. Quand j’ai débarqué à Marseille, un grand club qui compte 14 millions de supporters, ça m’a permis d’observer l’Angleterre de loin, de prendre du recul. Je me suis dit: “Wow, c’est dingue ce qu’ils font.” Les infrastruc­tures, le clubhouse, les terrains, ça allait, alors qu’ils n’ont pas les droits TV qui viennent de partout dans le monde. Lorsque j’étais là-bas, je me

disais: “Je suis un joueur qui cause beaucoup dans

le vestiaire mais là, je ne parle pas la langue.” Je me sentais handicapé, je n’arrivais plus à communique­r. Cela m’a aidé en tant que joueur parce que tu te dis: “Soit tu t’adaptes, soit tu t’écrases.” J’ai dû m’écraser parce que je ne parlais pas la langue, mais j’ai fait mes preuves à l’entraîneme­nt. Et c’est comme ça que j’ai gagné le respect des autres. Alors qu’en tant qu’entraîneur, tu dois transmettr­e tes pensées et tes sentiments à tes joueurs. Le Neville joueur aurait mis ses crampons et aurait eu du succès, sans aucun doute, à Valence… Mais il y a la barrière de la langue. C’était un problème? Ce n’était pas le seul souci… Tout le monde me dit: “Il y avait des problèmes dans le vestiaire, tu ne parlais pas la langue.” Mais je savais tout ça avant d’y aller. Je ne trouverai jamais d’excuses pour ce qui s’est passé là-bas. Moi ça me fascine, ce que tu as fait. Qu’est-ce-que tu en as appris? Parce que moi, j’aimerais bien bosser pour le centre de formation de Marseille. J’ai fait deux ou trois grosses erreurs. Il y a une chose qui est la connaissan­ce du football, mais les meilleurs tacticiens, ceux qui le connaissen­t le mieux, ne font pas forcément les meilleurs entraîneur­s. Tu peux être un érudit du football mais être un mauvais entraîneur. Et vice versa. Si ta connaissan­ce du football est moyenne, tu peux compenser en étant très bon pour gérer les gens, bien communique­r. Je suis allé là-bas et le propriétai­re voulait juste un intérimair­e jusqu’à la fin de la saison. Il ne voulait pas mettre en place un nouvel entraîneur qui allait ramener sept nouveaux joueurs à la moitié de la saison, dix nouveaux membres du staff. Il voulait que je sauve le navire jusqu’à la fin de la saison. Je n’arrêtais pas de dire qu’on ne donnait pas leur chance aux entraîneur­s britanniqu­es et là, c’était un club du top 4 espagnol, donc j’ai sauté sur l’occasion. L’erreur c’est de ne pas avoir appris la langue, mais aussi de ne pas m’être entouré de coachs expériment­és. J’aurais dû ramener un mec que les fans adorent et que les médias apprécient. Et aussi un cerveau, un mec qui connaît tous les joueurs, tous les

“Je savais ce que c’était de gagner avec United. Mais en sélection, si quatre ou cinq joueurs ne sont pas au même niveau, tu n’as pas l’équipe pour le faire” Gary Neville

terrains espagnols, et qui peut communique­r avec les joueurs en espagnol. Il aurait aussi pu me protéger vis-à-vis des arbitres. Mais je ne l’ai pas fait. On parlait de sir Alex qui déléguait beaucoup: il s’entourait toujours de mecs pas forcément géniaux, mais les bonnes personnes. Moi j’étais avec des types très bien, mais qui n’étaient pas forcément les bonnes personnes.

Pour moi, tu as eu les couilles de prendre ce boulot. Tu vas remonter en selle. Mais je ne voulais même pas monter en selle! J’y suis allé pour Peter (Lim, le propriétai­re de

Valence), parce qu’il me l’a demandé. J’adore ce que je fais. Le sport, le business. J’adore être consultant. J’ai refusé des boulots. Quand je repense à Valence et aux erreurs que j’ai faites, je ne me dis jamais que les joueurs auraient dû donner plus, ou faire ci, ou ça. Une autre erreur que j’ai faite, c’est de jouer les coupes à fond. En janvier, le propriétai­re me l’avait dit: “Tu dois te faire éliminer des coupes, le championna­t va te tuer. Tu dois mettre la priorité sur la Liga.”

Le problème, c’est qu’on n’arrêtait pas de gagner en coupe! Les joueurs voulaient gagner ces matchs, ils voulaient un trophée. J’aurais dû mettre des jeunes en Copa del Rey et me faire éliminer dès le début. Quand tu regardes la Carabao Cup (la coupe de la ligue anglaise), il y a des managers qui se font éliminer, qui passent à autre chose, ça leur donne du temps en plus. Je n’avais pas une minute sur le terrain d’entraîneme­nt. On jouait, on récupérait, et on rejouait. Les joueurs étaient crevés. On se faisait démonter dans les journaux. Et ils n’ont jamais eu trois jours de pause, pour se changer les idées. C’était ridicule. Moi aussi, j’étais crevé. Je faisais des conférence­s de presse tout le temps…

Et ils t’attaquaien­t parce que tu étais Anglais?

Tu sais ce qu’on dit sur la presse anglaise, qu’elle est brutale? Là-bas, ils sont sans pitié. Mais bon, mon échec ne m’a pas arrêté. Au contraire… J’avais perdu ma confiance en moi à 25 ou 26 ans. Je m’étais séparé d’une fille avec qui j’avais passé sept ans. Dans ma tête, ça n’allait pas. Contre Vasco da Gama lors du championna­t du monde des clubs, j’avais permis à Romario et Edmundo de marquer des buts tout faits, et on s’était fait éliminer. J’ai connu six mois difficiles. Mon frère et moi, on s’est fait défoncer après l’Euro 2000. On n’avait pas bien joué, Phil avait concédé un penalty. Je me souviens être allé voir un psy pendant quelques mois, c’est peut-être la première fois que je le dis. Mais grâce à ces séances chez le psy et au travail effectué avec les coachs de United, je n’ai plus jamais été affecté par ce que les gens disent de moi. Le truc qui me déçoit le plus, c’est de ne pas avoir gagné dix matchs avec Valence: l’opinion sur les entraîneur­s anglais se serait considérab­lement améliorée.

Oui, mais ça, ce n’est pas de ta faute.

Ce n’est pas de ma faute, Joe, mais j’ai travaillé en sélection, je passe beaucoup de temps à réfléchir

aux anglais, méthodes et l’idée des d’avoir coachs eu anglais, l’occasion au de football changer cette anglais opinion ne vont à l’étranger… pas à l’étranger, Les entraîneur­s les joueurs non plus, donc il y a l’idée qu’on est fermés d’esprit.

Si tu avais réussi là-bas, les mecs du continent auraient Peut-être, dit: mais “C’est cela l’exception aurait pu à donner la règle.” des idées à d’autres clubs espagnols, français ou allemands. Ils se seraient dits: “Ah mais, en fait, il y a des bons entraîneur­s anglais.”

On a tendance à ne pas y aller, mais je crois que c’est une question financière. C’est moins cher de ramener des joueurs étrangers. Si notre championna­t était comme celui du Portugal ou des Pays-Bas où ils forment et vendent leurs joueurs, nos joueurs et nos entraîneur­s partiraien­t à un moment donné. Et ce serait moins dur pour les joueurs anglais de s’imposer, et pour nos coachs de trouver du boulot. Je sais combien les joueurs et les membres du staff gagnaient à Valence. Si tu regardes les salaires de Premier League, ceux des entraîneur­s compris, c’est juste un autre monde.

À cause de la puissance de la Premier League, il y a beaucoup de joueurs, vers la fin de leur carrière, qui n’ont plus vraiment besoin de travailler. Tu penses que c’est une bonne chose? Je discutais ce matin avec un type qui bosse pour un club écossais qui voulait prendre un jeune joueur anglais en prêt. Mais le gamin touche 30 000 livres par semaine, et ils ne pouvaient pas se le payer! Je te parle d’un jeune joueur! En prêt! Un type qui ne joue même pas pour l’équipe première. Tu te dis: “Wow!” J’ai arrêté il y a quelques années, donc je n’ai pas trop suivi l’évolution des salaires, et je n’arrivais pas à y croire. Je lui ai dit: “C’est pas possible!”

Quel est ton meilleur souvenir de victoire?

La ligue des champions 1999. Lorsque j’y repense, je me dis: “Est-ce qu’on s’est améliorés les deux saisons d’après ou est-ce qu’on s’est

relâchés?” De 1996 à 1999, on n’a fait que progresser. On était meilleurs chaque année, on avait de plus en plus faim, on était de plus en plus proches. Mais lorsqu’on y est arrivé, on devrait pouvoir le refaire. Peut-être que le club aurait dû investir dans d’autres joueurs, pour qu’on s’améliore encore plus. Après le triplé, on a recruté un seul type, Mark Bosnich, qui devait remplacer Peter (Schmeichel). C’était une grosse perte. On a remporté le championna­t l’année suivante, mais inconsciem­ment est-ce qu’on ne s’est pas un peu relâchés?

Phil Jackson (mythique coach des Chicago Bulls) dit que l’année après le premier titre NBA, quand tout le monde a donné son maximum, l’équipe n’a pas atteint les mêmes sommets. Il écrit: “Je me suis rendu compte que le virus, c’était que certains s’étaient relâchés.” Pour certains, un titre NBA, comme une ligue des champions, c’est suffisant. Vous avez perdu cette faim parce que vous avez touché le Graal? Le standard était encore élevé. On a remporté le championna­t avec quinze points d’avance la saison d’après, et on l’a regagné facilement la saison suivante. Mais il a fallu qu’on perde

le championna­t trois ans d’affilée pour revenir et regagner la ligue des champions, en 2008, avec Ronaldo et Rooney. Sir Alex a démantelé l’équipe de 1999 en trois ou quatre ans, puis a tout rebâti. Il avait ce grand talent: construire une très grande équipe, et réussir à le faire trois ou quatre fois. Il était à la fois loyal et clinique. Quand les gens pensent à lui, ils pensent à la stabilité. Mais il a pris de grosses décisions dans sa carrière. “Boom, tu pars. Boom, tu pars.” Moi, quand je pense à Fergie, je pense à la structure américaine de coaching. De grands entraîneur­s qui sont comme des pères. Tu veux que tes enfants soient une meilleure version de toi, qu’ils héritent de tes forces, mais qu’ils aient moins de faiblesses. On retrouve ça chez Bill Parcells, Bill Belichick ou Tom Coughlin (coachs de football américain). Le truc avec Fergie, c’est qu’aucun de ses joueurs n’est devenu un aussi bon entraîneur que lui. Tu regardes ce qu’il fait mais tu ne sais pas ce qu’il pense. Il parlait beaucoup avec nous mais il ne nous disait pas pourquoi il avait choisi cette formation, pourquoi il se débarrassa­it d’un joueur, ou pourquoi il en recrutait un autre. On le voyait prendre des décisions mais il n’y avait que lui qui savait pourquoi il les prenait. Lorsqu’il se débarrasse de Jaap Stam, il ne nous explique pas pourquoi. Pareil quand Beckham est parti. Je crois qu’il était incroyable­ment intelligen­t. Je me souviens avoir lu une conversati­on avec son assistant, Archie Knox. Knox disait: “Tu n’as pas besoin de faire le coaching. Je le fais, toi tu peux

observer de loin.” Sir Alex a toujours été excellent pour trouver un assistant.

Cela l’a beaucoup aidé pour se réinventer, en vingt ans de carrière. Tous les trois ou quatre ans, il y avait un nouveau coach. La plupart d’entre eux voulaient apprendre et devenir entraîneur principal, donc il était content lorsqu’ils partaient. Il y avait toujours une nouvelle voix. Ce que j’ai du mal à comprendre, c’est pourquoi il n’a jamais pris ses anciens joueurs… Je ne sais pas. Il les laissait quitter le nid… Si tu y penses, logiquemen­t, il voulait les meilleurs coachs disponible­s pour l’assister. Gary, quelle est ton idée du bonheur?

Me réveiller tous les jours, et avoir hâte de commencer.

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