So Foot

Thomas Meunier

- Par Thomas Meunier / Photos: Invader

finit tranquille­ment sa deuxième saison au PSG en attendant de disputer sa première coupe du monde avec la Belgique. À force de parler d’art dans chaque interview, il fallait bien qu’il passe de l’autre côté. Il a donc envoyé ses questions au street-artiste Invader.

L’un s’est fait connaître des Parisiens en 1996, en posant sa première mosaïque vers Bastille. L’autre vingt ans plus tard, en signant au PSG. Thomas Meunier, internatio­nal belge et ancien étudiant en art, pose ses questions à Invader, qui colle désormais ses célèbres personnage­s pixélisés sur les murs des plus grandes villes du monde. Au casting: Picasso, Pac-Man et Platini.

Question la plus évidente, forcément: mais pourquoi avoir choisi Invader et pas un autre jeu vidéo? C’était un heureux accident! Je m’intéressai­s à l’esthétique du pixel informatiq­ue et j’ai commencé à le représente­r avec des carreaux de mosaïque. Au début pour en faire des “tableaux”, et un jour, je me suis dit qu’il serait amusant d’en coller une dans la rue, sur un mur, plutôt que sur une planche. J’avais alors deux-trois mosaïques prêtes, il s’agissait de personnage­s de jeux vidéo. J’en ai pris une et j’ai été l’installer. Il s’agissait d’un Space Invader, alors tout s’est mis en place.

Vous savez pourquoi, à ce moment précis, votre choix s’est porté sur celle-là plus que sur les deux

autres? Non, hasard total… Comme l’idée était de reproduire le pixel informatiq­ue avec de la mosaïque, je suis allé chercher des personnage­s issus de vieux jeux vidéo car ils étaient déjà pixélisés, et donc facile à reproduire avec du carrelage. Il y a souvent plusieurs choses en cours sur ma table de travail. Je crois qu’avec le Space Invader, il y avait un Pac-Man ainsi qu’un logo “game over”. Le Space Invader devait être le plus abouti, et c’est donc lui que je suis allé coller dans la rue.

Quelles sont vos sources d’inspiratio­n artistique, outre l’univers des jeux vidéo? Vous avez déjà collé des mosaïques de Gainsbourg pour la musique, la Panthère rose, Hugh Laurie et Star Wars pour le cinéma, William Burroughs pour la

littératur­e… Un artiste est un peu une éponge, on absorbe et on recrache la culture de notre époque. J’aime me plonger dans l’univers d’un artiste et découvrir toute son oeuvre, qu’elle soit musicale ou visuelle. Certaines influences ressortent donc parfois dans mon travail, de manière plus ou moins explicite. Depuis un certain temps, je suis par exemple fasciné par le travail d’un artiste qui s’appelle Revs. C’est un graffeur qui a écrit sa vie dans les tunnels du métro new-yorkais. Il est inconnu du grand public, mais ce qu’il a réalisé est à la fois herculéen et superbe.

Un peu comme le foot, l’art a complèteme­nt perdu les pédales: Neymar a été acheté 220 millions et le Salvator Mundi de Léonard de Vinci s’est vendu 450 millions. Quand on est dans le business, peut-on vraiment se plaindre de cette fatale déconnexio­n du marché? Je n’en suis pas à ce niveau-là! Mais il est vrai que je vis de mon travail artistique, et ce de mieux en mieux! Je vais citer les Rita Mitsouko, qui l’ont chanté: “Je ne connais plus l’angoisse du compte à zéro.” En tout cas, le parallèle entre art et foot est bien vu, car ce sont deux discipline­s où on peut monter très haut en partant de très bas. Il y a un côté “baguette magique” dans cela. C’est ce que j’appelle l’effet Picasso, et vous l’effet Platini ou Zidane je suppose.

À partir de quel âge avez-vous “vécu” grâce à votre art? C’est quelque chose qui est arrivé petit à petit, j’ai commencé avec des prix assez bas donc, et année après année, mes oeuvres prenaient un peu plus de valeur. J’ai toujours mis l’aspect pécuniaire de côté, on s’en sort toujours quand on est fauché mais passionné. Il suffit de manger des pâtes et de trouver des petits boulots pour payer son loyer.

Vous avez fait quoi comme petits boulots pour

payer le loyer? Tout et n’importe quoi, comme poser habillé en curé aux tables du resto-cabaret le Don Camilo. Nous étions un binôme et échangions nos rôles de photograph­e et de curé chaque soir. Il y a donc plein de touristes qui ont une photo de moi en costume de Don Camilo! Et puis j’ai fait pas mal de boulots de graphisme ou de création de sites internet au tout début du web.

On nous pose beaucoup la question chez les footeux: quel a été votre premier achat de personne qui gagne sa vie? Quand j’y repense, rien de délirant mais des choses que je rêvais pourtant de pouvoir m’offrir depuis des années, comme une échelle télescopiq­ue, ou tout simplement pouvoir voyager et acheter tout le matériel dont j’avais besoin sans compter.

Qui vous a poussé à vous tourner vers l’art? Vos

parents? Non, c’était très personnel. J’ai un jour réalisé que j’avais passé ma vie à créer de l’art sans même savoir que c’en était. Par exemple, lorsque j’étais ado au lycée, je m’étais confection­né un petit labo photo noir et blanc dans la cave de mes parents, et j’y passais des nuits entières. J’ai retrouvé récemment des tirages de l’époque, notamment une série où l’on voit des gamins –mes potes et moi– prenant la pose de leurs chanteurs préférés sur leurs pochettes de disques.

Quand avez-vous réalisé que l’art serait votre vie? Cela m’a pris du temps, il n’est pas si facile de se revendique­r artiste, car si vous le faites sérieuseme­nt, il faut se mesurer à ceux qui sont passés avant vous, ce qui peut être assez lourd à porter.

Vous avez des exemples en tête? Je dirais ceux qui ont marqué l’histoire de l’art, ça va de Léonard de Vinci à Picasso, ou encore Warhol ou Damien Hirst pour les contempora­ins.

Vous allez avoir 50 ans ou presque. Avec l’âge, est-ce qu’on pense plus à la postérité? À la trace qu’on va laisser? Non, pas forcément. Mais il est vrai qu’avec l’âge, on est plus exigeant avec soi-même, car on a davantage conscience que le temps passe.

Et vous formez des plus jeunes? Une sorte de mécénat. Non, car je ne me montre pas en public. Donc mon anonymat me limite énormément dans mon rapport aux gens.

Quand on souhaite rester anonyme, comment ça se passe en termes de confiance avec son agent, ses potes, ses proches? C’est un rapport de confiance, je sélectionn­e les gens que je peux mettre dans la confidence. Autant dire que moins il y en a, mieux c’est.

En plus ou moins vingt ans de street art, comment on se renouvelle? Dès le début de mon projet, je me suis imposé de ne jamais répéter deux fois la même mosaïque, je me renouvelle donc sans cesse. J’ai commencé par en réaliser des petites, que j’installais à main levée ou en grimpant sur des poubelles. J’ai ensuite mis au point divers systèmes pour les accrocher en hauteur, puis j’ai élargi la taille de mes carreaux ainsi que mon vocabulair­e en travaillan­t sur d’autres thèmes que les Space

“J’ai à plusieurs reprises pensé à créer une oeuvre à partir du poster de l’équipe de France du mondial 78 que mon père avait scotché dans notre cuisine” Invader

Invader. Bref, si vous regardez de près, vous verrez clairement que je n’ai pas cessé d’évoluer.

C’est quoi vos autres systèmes? Il y a des inventions encore plus

ingénieuse­s que les échelles? La plus ingénieuse, c’est sûrement ma perche télescopiq­ue trafiquée. Elle me permettait de monter et coller mes mosaïques à cinq-six mètres au-dessus du sol. Il y en a eu plusieurs versions, car je l’ai fait évoluer au fil des années. C’était assez sport à utiliser mais cela fonctionna­it plutôt bien. J’ai parcouru des centaines de kilomètres à travers le monde avec une besace contenant mosaïque, ciment et, à la main, une perche télescopiq­ue que j’utilisais comme un bâton de marche. Lorsque je croisais des gens, ils avaient les yeux qui s’écarquilla­ient et tu sentais qu’une question leur brûlait les lèvres: “Mais

quelle est l’utilité de cet instrument?” Quand on me la posait, dans les aéroports par exemple, j’inventais chaque fois une réponse différente: ça sert à pêcher, c’est pour attraper des pommes, c’est pour m’entraîner au saut à la perche…

Ça vous prend combien de temps? Je ne décroche jamais. Lorsque je suis à Paris, entre deux voyages, je passe au moins une nuit par semaine à poser de nouvelles pièces. Il faut auparavant avoir repéré des spots, et bien sûr avoir conçu et réalisé les mosaïques à poser. Lorsque je voyage dans une ville étrangère, je m’y prends plusieurs mois en amont, car je prépare généraleme­nt entre vingt et cinquante pièces d’avance selon le lieu où je vais. Puis c’est l’invasion: une immersion totale pendant laquelle je ne fais que ça jour et nuit. Pour mes plus grandes pièces, je suis souvent accompagné d’un assistant, cela demande moins d’efforts et permet d’aller deux fois plus vite.

Sachant qu’avec le monde comme terrain de jeu, le champ des possibles est gigantesqu­e, quel serait le lieu que vous rêveriez d’envahir? Pas forcément des endroits incroyable­s mais plutôt des lieux où je ne suis encore jamais allé, pour l’histoire mais aussi pour l’aventure. Par exemple l’Amérique centrale, le Canada, et bien d’autres endroits. J’aime aussi l’idée de trouver des espaces à envahir qui ne sont pas forcément

urbains, spatiale internatio­nale. comme j’ai pu le faire avec la Station

Il Charleroi, y a des Space Anvers. Invader En tant à que Redu, Belge, Bruxelles, je voulais savoir passages si vous chez avez nous? des J’aime souvenirs aller spéciaux en Belgique! de vos Les gens sont plus détendus et sympas, je trouve. J’y étais il y a quelques jours pour visiter un musée avec lequel je vais peut-être travailler. Je pense que le côté “pays de la BD” a été plutôt favorable à la réception de mon travail.

Vous pourriez envahir un lieu de foot avec une figurine de footballeu­r, comme vous l’avez fait avec Dr House à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrièr­e? Ma culture en matière de foot est vraiment très limitée. Les seuls noms de joueurs que je peux vous citer, ce sont Platini, Rocheteau, Trésor, Pelé, Zidane, et maintenant Meunier! Cela dit, l’idée de représente­r un joueur me plaît bien, mais je ne lui donnerais pas forcément un visage, c’est plus l’icône universell­e du joueur de foot qui m’intéresse.

On m’a dit que vous n’aimiez pas le foot. Qu’est

ce que vous n’aimez pas? Je n’accroche pas! Je n’ai jamais pratiqué car je n’aime pas les sports d’équipe et je n’ai jamais pris mon pied à regarder un match. C’est soit un conflit génération­nel car mon père est un grand amateur, soit une volonté de ne pas faire comme tout le monde, car bien sûr, à l’école, tout le monde jouait au foot! Et après tout, l’art est une

“Pour payer le loyer, j’ai posé habillé en curé aux tables du resto-cabaret le Don Camilo. Il y a donc plein de touristes qui ont une photo de moi en costume” Invader

discipline assez solitaire, on est seul face à son oeuvre.

Votre père n’a jamais voulu vous inscrire au

foot, petit? Il a tenté de m’y initier, mais ça n’a pas pris. Par contre, je me souviens que, dans notre cuisine, il avait scotché un immense poster de l’équipe de France. Celle du mondial 78! Du coup, j’adore cette affiche. J’en ai même récupéré une cartonnée posée sur une poubelle il y a quelques années! Je l’ai immédiatem­ent ramassée et je l’ai accrochée dans un coin de mon atelier. J’ai à plusieurs reprises pensé à créer une oeuvre à partir de cette image, principale­ment pour son côté iconique, esthétique et peut-être encore une fois nostalgiqu­e.

Du coup, avec vos copains, vous jouiez à quoi dans la cour d’école? Je suppose que je me faisais chier. Ou bien j’en profitais pour aller parler aux filles.

Vous comprenez pourquoi le foot plaît autant?

J’imagine que c’est de l’ordre de la catharsis, de l’appartenan­ce à une identité régionale ou nationale. Ou tout simplement la fascinatio­n pour le jeu. Comme disait César: “Donnez-leur du pain et des jeux!”

Vous adhérez aux critiques sur les salaires des joueurs de foot? Non, ce n’est pas un sujet qui me préoccupe ou me choque. J’imagine que la carrière d’un joueur est assez courte et que vous supportez une grosse pression.

Si vous deviez trouver un point positif au football, ce serait lequel? En général, les soirs de grands matchs, la ville est vide, ce qui est une parfaite opportunit­é pour moi car je peux oeuvrer sans être embêté. Même les flics sont derrière leur écran!

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Et Benzema, déjà absent…
 ??  ?? Thomas Meunier par Invader.
Thomas Meunier par Invader.

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