So Foot

Le meilleur 0-0 de l’histoire

Français d’Italie contre Italiens. Ce quart de finale au nombre d’occases famélique fut en réalité un sommet tactique.

- PAR CG

“Ce match a été terrible à préparer, raconte Aimé Jacquet à France Foot au lendemain de la qualif contre l’Italie. Chaque jour, je me disais: ‘Putain, ces

mecs-là, ils peuvent nous faire passer à la trappe. Fais attention.’ Tous les jours. Il fallait que je me persuade qu’aujourd’hui on est plus forts qu’eux, dans beaucoup de domaines. Et que chez nous, nous avons des individual­ités

bien supérieure­s.” Malgré la qualificat­ion, Jacquet ne peut pourtant pas se persuader que ses Bleus étaient meilleurs collective­ment et individuel­lement… Car ce quart du vendredi 3 juillet atteste d’une égalité parfaite sur le seul plan qui prime dans ce choc européen: la tactique. Et c’est en fait la loterie des tirs au but qui finit par départager deux équipes terribleme­nt proches. “Dominer l’Italie” reste la blague préférée de tous les tifosi, parce qu’on ne domine pas l’Italie: on la bat pour de bon, sinon rien! En huitièmes, les Azzurri se sont régalés d’un délicieux mais cruel 1-0 face à des Norvégiens stupidemen­t dominateur­s. Et au Stade de France, les Bleus de chez nous n’ont pas battu les Bleu azur. Et inversemen­t. Normal pour deux équipes jumelles, quasi siamoises… Le matin du match, Emanuela Audisio écrit ces lignes dans La Repubblica en parlant des Tricolores: “Ils étaient beaux et perdants. Et puis les Français sont venus jouer chez nous et ont appris le cynisme. Ils se sont mis à nous ressembler.” La veille, plus inquiet, le Corriere dello Sport s’est alarmé: “Nous avons enfanté des monstres.” Et comment! La France est une légion romaine: Zidane et Deschamps (Juventus), Desailly (Milan AC), Djorkaeff (Inter), Thuram (Parme), Candela (AS Roma), Boghossian (Sampdoria), sans compter Blanc, passé par Naples, ou Karembeu, ex-Sampdoria. Les Français revêtent le même blindage que leurs homologues italiens, coéquipier­s en club. Confronté au 4-4-2 de Cesare Maldini, Aimé Jacquet abandonne son 4-2-3-1 utilisé depuis le début de la compète pour réhabilite­r son milieu fétiche de l’Euro 96 à trois “bloqueurs” (Karembeu, Deschamps, Petit). Sur la défensive, Aimé? En apparence, oui. Guivarc’h presse les défenseurs pour empêcher les relances longues vers Vieri. Couloir gauche, Liza bloque Moriero, et à droite, Karembeu, Thuram et ensuite Henry (entré à la 65e) se chargent d’enrayer les dangereuse­s montées de Paolo Maldini. Petit, lui, harcèle avec succès Dino Baggio et Di Biagio. Le bloc français joue haut et empiète constammen­t sur la moitié italienne. Récup et intercepti­ons: chaque mouvement de balle est compensé par des replacemen­ts logiques et appropriés de joueurs qui coulissent harmonieus­ement. Ce duel est un chef-d’oeuvre tactique à l’italienne où seule la faute peut provoquer le but! Del Piero est mangé et Vieri est bien tenaillé. Jacquet a donc gagné son pari en se haussant au niveau du maître Maldini. Après le 0-0 du temps réglementa­ire, la prolongati­on ne change rien à l’affaire. Roberto Baggio a même l’élégance de préserver ce nul vierge d’une reprise qui frôle juste ce qu’il faut le poteau de Barthez pourtant archi battu (102e). À 19 heures, 35 minutes et 50 secondes, Luigi Di Biagio bazarde son tir au but sur la barre de Barthez: les Bleus remportent cette série (4-3). Sur le terrain, Français et Italiens s’étreignent, tel Vieri en larmes dans les bras de son pote Zidane. Beaux joueurs, les Italiens félicitent leurs vainqueurs. “Ils ont été irréprocha­bles sur le plan de l’organisati­on. Ils nous ont gênés dans nos contre-attaques. On voit qu’ils ont beaucoup appris dans le calcio!”, déclare le bon Dino Baggio. Cesare Maldini encense son alter ego: “La victoire finale serait une superbe récompense pour Aimé Jacquet. Un homme et un entraîneur que j’apprécie beaucoup.” Ce 3 juillet, l’hymne national transalpin, Fratelli d’Italia, a pris une significat­ion tactique remarquabl­e: durant 120 minutes, les 22 acteurs, les cinq remplaçant­s et les deux entraîneur­s ont été

réellement “frères d’Italie”…

“Ils étaient beaux et perdants. Et puis les Français sont venus jouer chez nous et ont appris le cynisme. Ils se sont mis à nous ressembler.”

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