So Foot

“Espèce de Footix”

Ou comment une mascotte de coupe du monde est devenue une insulte.

- PAR MB

Un rire gras et une vieille tape sur l’épaule: “T’es

un vilain p’tit Footix!” François Morel a toujours su manier le canon et tirer avec précision. Peutêtre encore plus dans les années 90, lorsqu’il était monsieur Morel de la fromagerie Morel, avec Les Deschiens. Alors, forcément, lorsqu’un coq en peluche est érigé en symbole du pays, l’homme au sourcil circonflex­e canarde cette mascotte qui s’affiche sur des pyjamas pour enfants, couettes, rouleaux de PQ, après avoir fait sa première sortie officielle au milieu du

Club Dorothée, un peu moins de deux ans plus tôt. Pourquoi Footix, d’ailleurs? Parce que les Français en ont décidé ainsi lors d’un vote réalisé par Minitel et téléphone: résultat, Footix a été choisi par 47 % des 18 000 votants, devant Raffy, Zimbo, Gallik et Houpi. Une certitude dans cette histoire: au moment de répondre à l’appel à candidatur­es en 1996, cinq des six designers en course ont souhaité que la mascotte soit un coq. L’autre voulait voir une grenouille nommée Froggie, mais oublions. Christian De Bergh, le directeur associé de Dragon Rouge, l’agence qui a remporté la découpe de Footix, s’explique: “Le coq, c’était une question de tradition. C’est le symbole de la France et, pour nous, il n’y avait aucune alternativ­e possible.” Et ce alors que Michel Platini rêvait tout fort de faire du Petit Prince de Saint-Exupéry un vainqueur marketing. Pour l’apparence de Footix, il faut se tourner vers Fabrice Pialot, dont l’objectif était alors de “créer un personnage résolument tourné vers les enfants, simple au niveau du traité, et donc facile à redessiner.” Petit détail: Pialot pense pouvoir faire fortune avec le volatile et ses produits dérivés. Drôle d’envol. Et drôle d’atterrissa­ge: durant la coupe du monde, et même avant, Footix en a pris plein le barbillon. On l’a notamment vu se faire secouer sur la plage du Prado, à Marseille, se faire

allumer lors d’un France-Norvège joué en 1997, ou encore se faire claquer le bec par des hordes de supporters pintés dès les premiers rayons de soleil lors du mondial. Aujourd’hui, l’histoire raconte qu’après le calvaire, la personne cachée sous le costume de Footix s’est enfilé une grosse dépression et a été rachetée par le Qatar pour être consultant mascotte en vue de la coupe du monde 2022. Retrouvé par Le Monde en décembre 2015, il avait alors estimé que s’il avait touché “un euro à chaque fois que quelqu’un

s’était fait traiter de Footix, [il] pourrait racheter le Qatar”. Se faire traiter de Footix? Oui, évidemment: après le mondial, le terme est devenu l’insulte suprême pour désigner un supporter qui l’est devenu au fil de la coupe du monde 98. Le virage a été pris à partir du jour où Francis Lalanne a voulu prendre la défense de la mascotte en criant un “Je suis Footix” resté mythique, mais l’explicatio­n tient aussi au stade de France –qui est tout sauf un vrai stade de foot– et à un chant, le célèbre “et 1, et 2, et 3-0”. Auteur de Génération supporter, le journalist­e Philippe Broussard juge que le terme a pris une importance supplément­aire avec l’arrivée du Qatar au PSG en 2011: “C’est le virage décisif, comme le plan Leproux, car à partir de cet instant, le Parc, à travers le regard des anciens d’Auteuil et de Boulogne, est devenu un repère à Footix. C’est le milieu ultra qui a popularisé l’insulte, pour une raison assez évidente: un ultra est un libertaire, il rejette tout ce qui est officiel, marketing, etc. Alors le Footix est devenu la personne qui vient au stade comme elle va à Disney ou à l’opéra, qui n’a pas de culture foot, qui part avant la fin du match, qui se gave du merchandis­ing…” Et qui est une girouette comme la France adore en créer. Combien de personnes se sont mises à vénérer les handballeu­rs lorsque les Bleus ont commencé à écraser le monde entier? En octobre 2016, un autre pas a été franchi au stade Vélodrome de Marseille, avec la création d’une zone “anti

Footix” pour dégager de l’enceinte ceux qui osaient venir avec les couleurs d’un autre club sur le dos. Là aussi, François Morel aurait bien été utile.

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