Yes, we kanak
Signés en mai sous l’égide de Lionel Jospin, les accords de Nouméa sont approuvés le 6 juillet en congrès à Versailles. Un texte qui accorde plus d’autonomie à la Nouvelle-Calédonie, mais qui ne fait pas oublier à Christian
Karembeu l’humiliation subie par une partie de sa famille soixante-sept ans plus tôt.
Mai 1931. À bord du bateau qui les achemine en France, une centaine de Kanaks prennent connaissance des consignes qu’ils devront respecter une fois arrivés à Paris. Interdiction de faire le signe de croix, de parler français en public ou de se vêtir autrement qu’en pagne, et ce peu importe la météo. Car s’ils font route vers l’Europe, ce n’est pas pour faire du tourisme mais bien se donner en spectacle à l’occasion de l’Exposition coloniale internationale organisée dans la capitale. Installé en lisière du bois de Vincennes, l’évènement propose aux onze millions de visiteurs de l’époque de faire “le tour du monde en un jour”. Les Kanaks, eux, sont installés en plein coeur des quartiers chics de l’ouest parisien, au Jardin d’acclimatation, en compagnie des animaux. À l’entrée, un panneau flanqué de deux flèches. Celle de droite indique le “Marigot des crocodiles”, l’autre promet la découverte des
“Hommes anthropophages”. Soit des Mélanésiens errant dans un village tout en huttes kanaks reconstitué. Pour que ça sonne vrai, les hommes ont pour consigne de faire semblant de travailler du bois pour fabriquer une pirogue, tandis que les femmes sont forcées de se dénuder, pour mieux coller au cliché. En échange de cette exhibition, promesse leur a été faite d’aller se recueillir sur les lieux où nombre des leurs ont perdu leurs vies pour la France durant la grande guerre. Il n’en sera rien. Christian Karembeu connaît parfaitement cette histoire. Et pour cause, son arrière-grand-père Willy faisait partie du contingent exposé dans l’enclos du 16e arrondissement. Forcément, lorsque, quelques heures avant la demi-finale face à la Croatie, le congrès approuve les accords de Nouméa prévoyant le transfert de certaines compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie, le Kanak des Bleus a en tête Cannibale, le livre que Didier Daeninckx a consacré à la question. Avant sa parution en mai 1998, l’auteur a pris soin d’envoyer une copie du livre à Madrid. “J’avais trouvé l’adresse du Real sur le Minitel”,
sourit celui qui doit attendre
septembre 1998 pour connaître le
joueur. “Ils étaient concentrés à Clairefontaine et c’est lui qui m’a
invité, rembobine Daeninckx. Ce jour-là, c’était la première fois qu’ils recevaient leurs maillots frappés de l’étoile de champion du monde. J’ai assisté à l’entraînement, puis nous avons parlé seuls pendant
une heure.” L’écrivain profite de l’occasion pour lui faire découvrir des photos récoltées lors de son voyage en Nouvelle-Calédonie. Sur l’une d’elles, Christian identifie clairement Willy, son ancêtre, dans un zoo allemand. Et à sa grande surprise, parmi la trentaine de compagnons d’infortune qui l’accompagnent, il reconnaît également trois membres des Kaké, sa famille maternelle. “Il
était extrêmement ému, se rappelle
Daeninckx. Il ne connaissait pas les photos que je lui montrais. Il m’expliquait que cette histoire était présente dans sa famille mais restait dans le domaine du non-dit. Ils en avaient honte, alors qu’ils étaient victimes. Il voulait changer ça.” Celui qui partage alors sa vie avec Adriana commence donc un travail de mémoire dans les médias. Sans esprit de revanche, comme tient à le préciser Daeninckx: “Il est traversé par cette histoire extrêmement complexe, mais n’a jamais eu d’agressivité par rapport à cela. Il dit simplement: ‘C’est comme ça.’”