Champions du monde: incroyable mais faux?
Au fur et à mesure de la compétition, la rumeur enfle: la France aurait acheté son mondial. Preuve ultime, le mystérieux malaise de Ronaldo quelques heures avant la finale.
“On veut te baiser dès que tu montes / Et je me demande si c’est truqué comme la coupe du monde / Donc
j’emmerde tout le monde.” En 1999, dans Civilisé, le premier extrait de l’unique album de Lunatic, Booba se fait le porte-parole de ceux qui pensent que le sacre mondial des hommes de Jacquet est une mascarade. À l’époque, s’il entend surtout des échos dans sa fameuse vallée de Dana, Martial Tricoche, rappeur celtique originaire de Villetaneuse (93) et leader de Manau, a aussi vent de ces thèses conspirationnistes: “C’est vrai que près de chez moi, t’avais un quartier portugais, et là-dedans, ils disaient tous qu’on l’avait achetée! Après, c’est super normal, ce genre de réaction de gamins.” Jorge est portugais et il n’est ni un artiste engagé, ni un gamin. Et même si ce quinquagénaire de Saint-Denis n’a jamais côtoyé les hautes sphères du pouvoir, il sait que la victoire des Bleus est une supercherie orchestrée en haut lieu: “Comme par hasard, deux semaines après la finale, qui achète quatorze Rafale à bon prix à la France? Le Brésil. La finale était arrangée.” Et peu importe que les Brésiliens n’aient jamais acheté les avions de Dassault…
Heureusement pour lui, dans cette soif de vérité, les théoriciens du complot ne manquent ni de soutiens ni d’arguments. Tout d’abord, il y a le sportif. Se qualifier en inscrivant un but en or, comme ce fut le cas face au Paraguay, cela peut arriver. Éliminer les Italiens aux tirs au but, passe encore. Voir Lilian Thuram inscrire les deux seuls buts de sa carrière internationale du pied gauche en demi-finale paraît hautement improbable, mais pourquoi pas… En revanche, combiner les trois événements pour se frayer un chemin jusqu’en finale d’une coupe du monde –une compétition que les Bleus n’avaient plus disputée depuis 86– organisée à la maison ne peut relever d’un vague alignement de planètes. Surtout avec Guivarc’h en pointe de l’attaque. Pour des types d’extrême droite comme Nico, propriétaire du Pub 66 à Noyon et habitué à l’époque de la fête annuelle lepéniste des Bleu-Blanc-Rouge, la ficelle est trop grosse. “Pour moi, la France a triché, c’est sûr. C’est
trop louche leur histoire, déclaret-il à Libé quelques jours après le
12 juillet 98. Ils ne gagnent jamais et là, comme par hasard, ça fait trois à zéro contre des Brésiliens. Faut pas nous prendre pour des cons. De toute façon, c’est magouille et compagnie depuis le début, leur coupe du monde.”
S’il ne faut retenir qu’une date pour étayer leur thèse, les pisse-vinaigre de tous bords s’accordent à se pencher d’un peu plus près sur la matinée du 12 juillet. Tranquillement avachi devant la télévision de sa chambre d’hôtel, Ronaldo, le meilleur avant-centre du monde, est pris de convulsions pour la première et dernière fois de sa vie.
“O Fenomeno” perd connaissance et doit être hospitalisé en urgence. Les médecins parlent alors d’une simple crise d’épilepsie, ce que le Pr Bruno Caru, président de la société italienne de la cardiologie du sport, dément en 2012. Selon le praticien, R9 a carrément été victime d’une crise cardiaque: “En vérifiant le dossier avec attention, une fois à l’hôpital, il avait 18 pulsations par minute. Cela signifie qu’au moment de la crise, le coeur s’était arrêté de battre. Les médecins français se sont entêtés et se sont fiés au diagnostic de la crise d’épilepsie émis par Roberto Carlos et non à celui avancé par l’un de leurs confrères.” Donc, en plus de se retrouver en finale dans des conditions troubles, les Bleus ont écrasé une équipe emmenée par un joueur de retour de l’audelà, aligné sous la pression de ses
sponsors, des instances dirigeantes et des médias. Pour l’argent, évidemment. Les arguments des accros aux théories alternatives sont déjà solides, mais prennent une autre dimension lorsque les chiffres –qui ne mentent jamais– s’en mêlent. En effet, 1998 divisé par 3, cela donne 666. Mis bout à bout, ces éléments rassemblent autant d’ingrédients indispensables à la recette d’une parfaite théorie du complot, comme le confirme Rudy Reichstadt, fondateur du site Conspiracy Watch: “Une théorie du complot fonctionne toujours selon la même mécanique, décrypte
le politologue. On accumule des arguments empruntés à des champs très variés, même contradictoires entre eux, pour créer l’impression d’un millefeuille argumentatif qui va être très intimidant intellectuellement. Et qui fait naître l’idée que tout ne peut pas être faux.” De quoi même faire douter un Emmanuel Petit, qui, en 2016, avoue
face aux caméras d’Arte: “Cela fait maintenant quelques semaines que je me fais cette réflexion: en 98, estce qu’on a vraiment gagné la coupe du monde? Est-ce que ce n’était pas un petit arrangement? Je n’en sais rien, moi… Nous, sur le terrain, on se défonçait contre nos adversaires, on faisait tout pour gagner, mais est-ce qu’on n’a pas été uniquement et simplement des marionnettes? ‘Faites tourner l’économie, et le reste, ne vous en souciez pas!’ Aujourd’hui,
je me pose la question…” Dans le 9-3, il n’est pas le seul.