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“Jacques Chirac n’a pas instrument­alisé France 98”

Entre la cohabitati­on Jospin-Chirac, les grèves, les débats sur la loi des 35 heures et le scandale du Tour de France qui couvait, Marie-George Buffet, ministre des sports, n’a pas chômé cet été 1998, veillant au bon déroulemen­t de l’épreuve.

- BINCTIN PAR BARNABÉ

Quel est le climat en France quand débute le mondial 1998?

Il n’y a pas d’euphorie autour de la coupe du monde. Michel Platini avait beaucoup investi dans la fameuse fête d’inaugurati­on avec le défilé de géants et ça avait été un flop… La tribune se dégarnissa­it, les officiels partaient. Cela avait suscité de l’inquiétude sur le rapport de la population française à la coupe du monde. Pourtant, on avait lancé toute une série d’initiative­s autour de l’évènement, notamment la retransmis­sion des matchs sur écrans géants, ainsi que le fait de ne pas mettre de grilles autour des terrains, contre l’avis du ministre de l’Intérieur.

Et politiquem­ent?

On est dans la loi des 35 heures, qui fut un combat très frontal entre la majorité

gouverneme­ntale, derrière Martine (Aubry,

ministre de l’Emploi à l’époque, ndlr), et la droite. Pour nous, au gouverneme­nt, c’était le grand marqueur social. Pourtant, dans les entreprise­s, il n’y avait pas d’enthousias­me considérab­le. Quelques semaines après, lors d’une visite dans une usine automobile à Rennes sur le sport en entreprise, je me suis fait engueuler par les syndicalis­tes qui me disaient: “Vous avez voté les 35 heures, mais on nous a augmenté les cadences!” La loi est toujours montrée du doigt aujourd’hui mais personne n’a osé y toucher. Elle a changé la vie de millions d’individus.

Il y a également une grève chez Air France. On parle alors de menace sur le mondial, d’une “coupe du monde sans ailes”…

Il ne faut pas exagérer, il n’y avait pas de risque sur l’achemineme­nt des équipes, du staff… Ma ligne a toujours été de soutenir le droit de grève. Sinon, on finit par dire qu’il ne faut pas faire la grève ce week-end parce que c’est le départ en vacances, ou qu’il faut interdire aux infirmière­s de faire grève, etc.

Comment se passe la cohabitati­on pendant la coupe du monde?

Il y a une sorte d’union sacrée. C’est l’image que l’on renvoie depuis la tribune présidenti­elle. En interne, les débats se poursuiven­t, mais il n’y a pas de sujet politique autour de la coupe du monde. Et plus on avance dans la compétitio­n, plus les gens ne nous parlent plus que de ça.

C’est quoi le déclic?

Les huitièmes de finale, avec le match à Lens. La France se réveille et les gens commencent à y croire. Petit à petit, il y a un emballemen­t. Et puis le président Chirac porte l’équipe, il descend à chaque match dans les vestiaires et se déclare premier supporter:.

Vous alliez dans les vestiaires avec lui?

Lui y allait systématiq­uement mais moi, jamais. Ce n’est pas la place d’un ministre. Pour autant, je ne crois pas du tout à une instrument­alisation de Jacques Chirac. On en a beaucoup fait làdessus, mais il y a une vraie sincérité chez lui.

Comment avez-vous vécu cette coupe du monde?

Pour moi, l’enjeu était que ça commence et que ça finisse bien. Quand vous êtes ministre des Sports, vous craignez qu’il y ait un accident dans le stade, une invasion de la pelouse, un souci à l’extérieur etc. Le 12 juillet, j’ai été me réfugier cinq minutes avant la fin, dans le salon au fond de la tribune présidenti­elle. Il fallait que je respire. C’était drôle, je suis tombée sur Mme Simonet (la femme de Claude,

président de la FFF), qui ne voulait pas voir le résultat! Je lui ai dit “ça y est, c’est gagné ” et on s’est retrouvées là, toutes les deux… À part l’agression du gendarme Nivel, il n’y a pas eu de problème notable. En fait, on ne vit pas la coupe du monde dans la joie sportive mais dans la responsabi­lité, avec la crainte.

Juste après, le Tour de France arrive et avec lui, le scandale Festina…

S’il n’y avait pas eu la victoire des Bleus, je ne sais pas comment on aurait pu gérer le Tour. Tous les matins, je me disais: “L’opinion va se retourner.” On lui gâchait l’un de ses plus beaux moments sportifs. Le Tour de France, c’est un attachemen­t viscéral pour beaucoup de Français. De plus, on touchait à l’un de leurs coureurs préférés, Richard Virenque… Sans la coupe du monde, il y aurait eu moins de tolérance vis-à-vis de ce qu’il s’est passé après. D’ailleurs, certains dans le monde du cyclisme ont dit qu’on pointait le Tour alors qu’on avait laissé faire la coupe du monde tranquille­ment.

Or, vous avez raconté avoir été victime de pression sur un contrôle antidopage de l’équipe de France.

Lors du stage de préparatio­n à Tignes, oui. On avait déclenché un contrôle antidopage inopiné. On était mal tombé parce que ce jour-là, il y avait les familles. Il y a eu un déchaîneme­nt médiatique d’une grande violence. Aimé Jacquet, que j’aime beaucoup, a eu des paroles d’une grande dureté. Il s’était fait le porte-parole de cette rébellion. On me le fait savoir un peu plus haut oui, les messages sont passés par les cabinets. Et puis j’ai eu le contre-feu de mon administra­tion, car ils ont eu l’impression qu’on les lâchait.

Le mondial 98 est-il la dernière émotion collective “positive” en France?

Oui. Je ne vois aucun autre élément qui ait rassemblé autant de monde. Même lors de Mai-68, il y a des fins de grèves formidable­s, avec des acquis extraordin­aires, mais comme ça s’échelonne dans le temps, ce n’est pas la même chose. Dommage que la parenthèse se soit si vite refermée…

Comment l’expliquer?

Il aurait fallu travailler tout ce discours sur la France “black, blanc, beur” sur le long terme. Très vite, les gens se sont dit que ce concept était une illusion. Quand on voit aujourd’hui le niveau de discrimina­tion qui frappe la jeunesse d’un départemen­t comme la Seine-Saint-Denis, quand on voit la tension entre les différente­s communauté­s, on ne peut pas dire qu’on vit dans le “tous ensemble”… C’est normal, on ne peut pas demander au sport de régler les problèmes de la société. Ça m’énerve quand on demande au sport d’assurer le lien social, la santé, etc. C’est du sport, point.

“Le 12 juillet, j’ai été me réfugier cinq minutes avant la fin, dans le salon au fond de la tribune présidenti­elle. Il fallait que je respire”

Marie-Georges Buffet, ministre des Sports de l’époque

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