So Foot

Per Mertesacke­r.

- Par Antje Windmann pour Der Spiegel – ALLEMAGNE

Il est grand, il est blond, il est Allemand. Mais voilà: il est fragile.

Dans quelques jours, Per Mertesacke­r ne sera plus footballeu­r profession­nel. L’internatio­nal allemand et défenseur d’Arsenal explique pourquoi cette perspectiv­e le réjouit. Lui, son estomac et son cerveau anxieux. “Je vais aux toilettes directemen­t après le réveil, après le petit déjeuner, puis après le déjeuner, et encore une fois au stade…”

La nausée arrive quatre ou cinq secondes avant le coup d’envoi. Toujours. La tension devient insupporta­ble. “Mon estomac commence à s’agiter et je sens que je vais vomir. Je m’étouffe si fort que je commence à pleurer”, explique-t-il. Dans ces momentslà, il tourne sa tête sur le côté, le menton dans l’épaule, pour que personne –ni les caméras, ni le coach, ni ses coéquipier­s– ne puisse voir ce qu’il se passe. Toujours. Il fait un effort pour sourire. Toujours. “Tu te dis: ‘Merde, j’espère que personne ne m’a vu. C’est quoi ce bordel?’ D’un autre côté, directemen­t après, j’étais totalement présent.” Il ferme le poing droit et cogne sa main gauche. “C’est la première fois que je parle de mon problème de nausée”, lâche Mertesacke­r, dont la nervosité s’empare toujours la veille du match, au soir. Clemens Fritz, avec qui il partageait sa chambre lorsqu’il jouait au Werder Brême, est le premier à avoir évoqué le sujet avec lui. “Il m’a dit que la seule chose qu’il pouvait essayer de faire était de s’endormir avant moi. Avant les matchs, mon pied droit tremblait tellement que toute la couette bougeait. Cela le rendait fou.” 1,98 m. 90 kilos. Ce n’est pas pour rien que les Anglais le surnomment Per “the Big Fucking

German”. Mais si, dans le récit biblique, le colosse a les pieds d’argile, Mertesacke­r, lui, a l’estomac fragile. “Je dois aller aux toilettes directemen­t après le réveil, après le petit déjeuner, puis après le déjeuner, et encore une fois au stade.” Baissant les yeux, il avoue que cela lui est arrivé plus de cinq cents fois dans sa vie. Tout ce qu’il mange traverse juste son corps. Pendant un certain temps, tout ce qu’il pouvait avaler, c’était des pâtes avec un peu d’huile d’olive. Il ne pouvait pas manger moins de quatre heures avant un match, pour être sûr que son estomac soit complèteme­nt vide quand la nausée le prenait. “Comme si tout ce qu’il se passait à ce moment-là, symbolique­ment, me donnait juste envie de vomir.” Ses nausées, il ne les a jamais évoquées avec sa femme, sa famille ou ses amis. “Je ne voulais pas être dramatique, dit-il. Cela n’affectait pas mes performanc­es.” Mertesacke­r marque une pause, réfléchit: “En même temps, même lorsque j’étais enfant, j’avais tendance à intérioris­er.”

Les minutes sur le tableau d’affichage

Il paraît que le rêve de tout footballeu­r est de disputer une coupe du monde, de préférence à domicile. Pour le défenseur d’Arsenal, sélectionn­é à 21 ans pour disputer le mondial 2006, ce rêve a rapidement tourné au cauchemar. “Je me suis fait bouffer par la pression. J’avais constammen­t le pire scénario en tête, où tu fais une erreur qui amène un but.” Il reste silencieux pendant un instant. “Il y a toujours cette peur: tu regardes constammen­t le tableau d’affichage et tu comptes les minutes. Mais pendant le mondial, c’était inhumain. Mais est-ce que j’aurais pu dire ça? Que j’étais heureux qu’on soit éliminés?” Impossible à dire, impossible à entendre, aussi. Alors, comme lorsqu’il était enfant, Mertesacke­r garde ça pour lui. “Bien sûr que j’étais déçu lorsque nous avons perdu contre l’Italie en demi-finale, mais j’étais surtout soulagé, souffle-t-il. Je m’en souviens, comme si c’était hier. Tout ce que je disais, c’était: C’est fini, c’est fini. C’est enfin terminé.’” On dit que l’erreur est humaine. Aux yeux des fans, pourtant, les footballeu­rs sont des demidieux, et se doivent d’honorer ce statut. “Au final, personne ne s’intéresse au fait que tu aies bien joué sur les dix derniers matchs. Seul celui qui est en cours importe.” La moindre défaillanc­e, personnell­e, ou profession­nelle, est donc interdite. “Quand les fans t’adulent, c’est indescript­ible. Quand ils me huent, ugh, je m’enfonce dans la honte.” Ajoutons à cela un contexte de travail ultraconcu­rrentiel, et l’on obtient un milieu où le silence est d’or. “Tu ne veux pas que tes coéquipier­s se disent qu’il y a un truc qui ne va pas chez toi. Que, peut-être, le sport de haut niveau n’est pas fait pour toi.”

Le suicide de Robert Enke

Parfois, il arrive que le système déraille. En 2009, une nouvelle pétrifie le football allemand. Le portier de la Mannschaft, Robert Enke, se tue en se jetant sous un train. Un suicide qui démontre à quel point, dans le monde du football, la faiblesse et la maladie sont balayées sous le tapis. Lorsqu’il parle de son ami Enke, son ex-coéquipier à Hanovre 96, les yeux de Mertesacke­r s’embuent. “Même moi, je ne savais pas à quel point il allait mal. Ça veut dire beaucoup, non?” À l’époque, pour la première fois, Mertesacke­r est dégoûté par le milieu du football. “J’étais vraiment proche de tout abandonner. Encore plus parce que, une semaine après, tout était revenu à la normale.” Depuis, Per Mertesacke­r a été sacré champion du monde au Brésil, a signé à Arsenal, son club de coeur, où il est devenu capitaine, et a remporté trois FA Cups dans un Wembley en fusion. L’Allemand a une carrière qui ferait rêver n’importe quel joueur. Il en est d’ailleurs conscient. “Je ne veux pas paraître pleurnicha­rd, parce que je sais bien évidemment à quel point ma vie est celle d’un privilégié.” Mais si les Ryan Giggs, Francesco Totti ou autre Javier Zanetti ont tenu à prolonger le plaisir le plus longtemps possible, Mertesacke­r, lui, n’est pas mécontent de quitter les terrains. “Tout le monde dit que je devrais vraiment profiter de ma dernière saison, jouer le plus possible, et vraiment m’imprégner de tout.” Il secoue la tête. “Je préférerai­s m’asseoir sur le banc, ou même mieux, dans les tribunes.” Mertesacke­r jouera son dernier match en mai. “Et ensuite, à plus de 30 ans, je serai enfin libre.”

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But à Sochaux.
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