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Riccardo Saponara.

Le 4 mars dernier, Davide Astori, 31 ans, décède dans son sommeil à l’hôtel où logeait la Fiorentina la veille d’un match contre l’Udinese. Son coéquipier, Riccardo Saponara, revient sur un drame qui l’a changé pour toujours.

- Par Fabrizio Salvo pour Sportweek – ITALIE

Le milieu de la Fiorentina évoque le drame qui l’a changé pour toujours: la mort de son ami et capitaine, Davide Astori.

“Parfois, parler de ce qu’il s’est passé, ou même prononcer son nom, est un tabou”

Vous pouvez raconter cette matinée à Udine? Davide ne descend pas pour le petit déjeuner. Ils le font appeler, il ne répond pas, ils ouvrent la porte et le retrouvent allongé dans le lit, comme s’il dormait. De ma chambre, j’entends arriver une ambulance, je me mets à la fenêtre, puis j’entends une voix, celle de l’intendant. Je suis pétrifié. “Que se passe-t-il?” demande-t-il, très inquiet. Le coach, Pioli, entre en larmes. Il est pâle et ne réussit quasiment pas à prononcer le nom de Davide. Il nous prend dans ses bras. Un par un. Chiesa, qui ne se doute de rien, est encore en train de dormir. Quand il est averti, je l’entends dans sa chambre s’écrouler. Certains d’entre nous pleurent. D’autres font des va-et-vient dans le couloir de l’hôtel ou s’assoient devant la chambre de Davide, le regard dans le vide.

Vous êtes-vous donné une explicatio­n à cette mort prématurée?

Non. Si c’était arrivé sur le terrain, quand le coeur est soumis au stress, j’aurais peut-être pu l’accepter. Mais là, c’est dur.

Vous avez rendu hommage à Astori dans un post qui a ému toute l’Italie.

Je ne voulais pas que cela ait cette résonance. Je ne devrais pas le dire, mais je l’ai écrit quand j’étais au volant, en train d’écouter Ludovico Einaudi, qui me détend dans les moments de détresse et me met en contact avec mes émotions. Les mots sont arrivés vite. J’ai voulu raconter ce que lui, inconsciem­ment, a apporté à chacun de nous.

Ne l’aviez-vous jamais fait avant?

Une fois. En janvier, nous perdons 3-1 à Gênes contre la Samp en jouant très mal. Davide était suspendu et il y avait un trou énorme à l’intérieur du groupe, nous étions privés de son charisme. En rentrant à Florence, je lui ai dit: “Tu nous as manqué comme l’oxygène.”

Vous parlez de lui avec vos autres coéquipier­s?

On se le remémore. On se confronte: “Mais qu’auraitil fait… Comment se serait-il comporté… Imaginez

s’il avait été là… Davide le disait…” Parfois, parler de ce qu’il s’est passé, ou même prononcer son nom, est un tabou. La douleur ressentie, on la garde à l’intérieur de nous. Chacun de nous a de la crainte à l’idée de réévoquer cette souffrance.

Durant la journée, y a-t-il des moments précis où vous pensez à Astori?

Au petit déjeuner, lors de la mise au vert. Marco Sportiello et moi sommes toujours les premiers à descendre: endormis, avec la tête de ceux qui viennent de tomber du lit. Davide arrivait toujours cinq minutes après nous et lançait un beau “bonjour!”, vif, il faisait une blague, il nous demandait ce qu’on avait fait la veille et il nous chambrait. C’était sa façon d’insuffler de l’énergie et de la sérénité. Aux funéraille­s, Badelj a rappelé son habitude d’allumer la lumière quand il entrait dans la salle de soins. Ça le décrit à la perfection: son entrée dans une pièce amenait de la lumière.

C’était un type amusant?

Il ne jouait pas un rôle, il avait un charisme fort, chaleureux, qui faisait autorité, comme un grand frère. Moi, je suis quelqu’un d’anxieux. Avant les matchs, j’ai un noeud à l’estomac, mon coeur s’accélère. Lui, c’était tout le contraire, ça m’énervait. Il me prenait de front: “Mais de quoi tu t’inquiètes, bordel? C’est un match, pas la guerre, tu es fort, donne-nous un coup de main parce qu’on a besoin de toi.” Parfois, il m’envoyait des messages d’encouragem­ent sur WhatsApp durant le trajet en bus de l’hôtel au stade. Ça, c’était Astori. Quelqu’un qui transmetta­it de l’assurance.

Ce genre d’événement pousse souvent à reconsidér­er les priorités de la vie. Ça a été le cas pour vous?

J’avais déjà les idées bien claires concernant les choses valant la peine d’être vécues. Mais après ses funéraille­s, j’ai trouvé des ressources que je pensais avoir perdues. Cette année, je suis resté beaucoup à l’écart à cause des blessures. Après sa mort, j’ai pensé: “Maintenant, c’est vraiment fini, c’est le coup de grâce, je ne me relève plus.” Puis le mercredi, avec les quelques personnes à qui la famille avait concédé ce privilège, j’ai vu Davide dans la chapelle ardente et j’ai eu un déclic. J’ai épuisé mes dernières larmes aux funéraille­s, accepté la douleur et ma fragilité, comme je ne l’avais jamais fait auparavant par peur de passer pour un faible. Me montrer comme je suis m’a rendu plus fort. C’est le dernier cadeau que m’a fait Davide.

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