So Foot

L’agression du gendarme Nivel

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Alors que le match Allemagne-Yougoslavi­e touche à sa fin, des hools allemands attaquent trois gendarmes dans une rue de Lens. Retour sur le fait divers qui a plus traumatisé l’Allemagne que la France et détruit la vie d’un homme.

Le trottoir sur lequel Daniel Nivel a essuyé une pluie de coups a disparu. Au numéro 74 de la rue RomualdPru­vost, la maison devant laquelle des hooligans allemands ont frappé le gendarme avant de le laisser pour mort a été rasée. Lorette, la femme de Nivel, n’a pourtant rien oublié. “On ne pardonnera jamais. Daniel aura des séquelles à vie. On lui a enlevé sa liberté. Il a perdu son autonomie. Eux, ils sont sortis de prison, ils ont repris leur vie”, souffle-t-elle à La Voix du Nord, en 2008. Le jour du drame, Lorette prend congé de son mari avec les mêmes mots répétés chaque matin: “Fais attention à

toi.” Cette fois-ci, l’au revoir est un peu plus appuyé que d’habitude: toute la ville sait déjà que plusieurs centaines de hooligans se sont donné rendez-vous à Lens pour en découdre. À 14 h 30, à 500 mètres à peine de la rue RomualdPru­vost, Félix-Bollaert accueille le match Allemagne-Yougoslavi­e. Frustrés de ne pas avoir de billets et de s’être fait sucrer leur fight par des barrages filtrants, hools allemands et yougoslave­s traînent autour de la gare, sous un soleil brûlant. Pendant ce temps là, Predrag Mijatovic et Dragan Stojkovic ont déjà frappé deux fois. Oliver Bierhoff égalise à la 80e, 2-2. Sur les terrasses des cafés, les premières chaises et tables volent. Faute de pouvoir forcer les barrages policiers, des hools allemands s’engagent dans la rue RomualdPru­vost, où ils tombent nez-à-nez avec trois gendarmes. Michel Zajac était l’un de ceux là. “Jusqu’au milieu de la ruelle, ils étaient calmes. Puis, un groupe de six ou sept s’est détaché de la meute et a empoigné des planches en fonçant sur nous, pour nous réduire en miettes. Quand on les a vus s’approcher, on s’est tous dit: ‘On va y passer, on est bons.’” Alors que les casques de ses deux coéquipier­s tiennent bons, celui de Nivel ne résiste pas à ces deux minutes de violence. Transporté à l’hôpital avec de multiples fractures à la tête, il reste près de six semaines dans le coma. À son réveil, l’homme

de 43 ans, qui a perdu la vue à son oeil gauche doit tout réapprendr­e: marcher, parler, entendre, sentir. Sans jamais pouvoir retrouver toutes ses capacités. Le chancelier Helmut Kohl prend immédiatem­ent la mesure du drame et parle d’une “honte” pour son pays. Même son de cloche pour le président du DFB, la fédé allemande, qui ne peut retenir ses larmes face aux micros: “Ce sont les heures les plus noires de ma vie. Cette coupe du monde ne peut plus

me donner de joie.” Très vite, les dons affluent depuis l’Allemagne. Un match de bienfaisan­ce est organisé, prélude à un tournoi annuel qui perdure. En 2000, la Fondation Daniel-Nivel est même créée pour prévenir les violences entre supporters et policiers. Censée être binational­e, ce sont surtout les Allemands qui s’y impliquent. Le besoin de réparation est très fort, outre-Rhin, et ne faiblit pas au cours des années puisque le DFB invite Nivel et sa famille lors du mondial 2006, puis à l’occasion d’un Allemagne-France en 2013. À l’Euro 2016, Nivel est de nouveau convié par le DFB, pour assister au match Allemagne-Ukraine. “L’Allemagne ne nous a jamais

oubliés”, déclare-t-il alors. Le pays ne se contente pas d’être aux côtés du gendarme. Ce drame renforce les efforts mis en place par l’Allemagne pour lutter contre le hooliganis­me, particuliè­rement vivace dans les années 1980 et 1990. Mais si les stades allemands sont désormais réputés pour leur ferveur et leur sûreté, la violence n’a jamais complèteme­nt disparu. La preuve avec les agresseurs de Nivel. Condamnés à des peines de prison ferme allant de trois à dix ans pour tentative d’homicide et blessures corporelle­s graves, ces derniers sont restés abonnés à la rubrique des faits divers. Libéré en avril 2002, Markus Warnecke est ainsi arrêté trois mois plus tard, pour une bagarre lors de la finale du mondial asiatique. Après avoir retrouvé les groupes de supporters néo-nazis du BFC Dynamo et créé une filiale des Hells Angels à Majorque, Christophe­r Rauch a lui aussi été condamné, en 2015, à sept ans de prison ferme pour possession et trafic de drogue. jJULI EN MECHAUSSIE ET NICOLAS HOURCADE

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Foutu sèche-linge.

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