So Foot

Grand Satan 1 – Iran 2

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D’un côté, le “grand Satan” américain. De l’autre, la “Team Melli” iranienne. Au milieu, des années de contentieu­x qui font du premier USA-Iran de l’histoire le match le plus sulfureux du mondial 98.

Alors que son équipe s’apprête à défier les États-Unis à Gerland, Jalal Talebi, le sélectionn­eur iranien, rabâche le même couplet pour la centième fois de la semaine aux journalist­es assis face à lui. “Je ne suis pas un

homme politique, je suis un sportif.” Difficile de se faire entendre face au poids de l’histoire: la prise du pouvoir du Shah soutenue par Washington en 1953, la révolution iranienne, la crise des otages de Téhéran de 1979, le drame du vol 655 d’Iran Air, abattu par un tir de missiles provenant d’un croiseur américain en 1988… Autant de contentieu­x que les médias des deux côtés se plaisent à condenser dans quatre-vingt-dix minutes de football. Les messages d’apaisement échangés avant le match entre le clan Clinton et Mohammad Khatami, nouveau président modéré et enclin à une ouverture sur l’Occident, n’y changent rien. “Pour le Guide de la Révolution Ali Khamenei, l’équipe nationale était censée incarner la grandeur de l’islam”, explique le réalisateu­r Jamshid Golmakani, auteur de Iran: le foot, un enjeu pour tous, une sorte de Yeux dans les Bleus version iranienne. Ce climat étouffant affecte évidemment les joueurs des deux camps. “À la place des journalist­es sportifs, ce sont des journalist­es politiques des grands médias américains qui ont débarqué, se souvient le défenseur américain David Régis. On a eu l’impression d’être désignés comme des diplomates,

comme si c’était à nous de refaire l’histoire.” Si les Yankees veulent rester concentrés sur les enjeux sportifs, l’équation est plus complexe côté iranien. L’attaquant Khodadad Azizi, qui évolue alors à Cologne, a toujours en travers de la gorge le soutien des États-Unis à l’Irak, lors de la guerre qui a opposé l’Iran aux armées de Saddam Hussein entre 1980 et 1988, faisant des milliers de victimes civiles: “Nous ne perdrons pas ce match. Beaucoup de familles de martyrs attendent de nous voir gagner. C’est pour eux que nous voulons l’emporter.” Finalement, le capitaine de la ‘Team Melli’, Ahmad Reza Abedzadeh, accepte la main tendue de son homologue américain, Thomas Dooley. “Rien n’était prévu, jure David Régis. Il fallait que quelqu’un fasse le premier pas. Après les hymnes, Dooley nous a dit simplement: ‘Allez les gars, on fait la photo avec eux.’ On a suivi.” Sur le terrain, les Iraniens en mission surprennen­t l’équipe du grand Satan, par l’intermédia­ire d’Hamid Estili. L’explosion de joie des 7000 supporters perses laisse rapidement place à des échauffour­ées. Entre eux. “Certains militants de l’opposition ont pénétré sur la pelouse pour brandir le portrait de leurs leaders, le couple Radjavi, explique Golmakani. La réalisatio­n étant contrôlée, les Iraniens n’ont pas pu voir ces images à la télévision.” Ils verront en revanche le second but des leurs, qui entérine la victoire malgré la réduction du score de Brian McBride (1-2). Téhéran chavire et l’ayatollah Khamenei jubile: “Ce soir, le puissant et arrogant adversaire a senti le goût amer de la défaite.” La grande réconcilia­tion est encore loin. Les joueurs, pourtant, ont fait quelques pas en avant, comme l’explique le milieu américain Tab Ramos: “Mohammad Khakpour, le numéro 4 de l’Iran, est ensuite venu jouer dans mon club, à New York. On est devenus très amis, il venait souvent manger à la maison.” Comme quoi, le grand Satan sait aussi

être chaleureux. mPAR MATHIEU ROLLINGER ET AC

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Face swap.

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