So Foot

“Zidane sur l’Arc de Triomphe, ça a apporté du baume au coeur”

-

Le 25 juin 1998, le chanteur algérien

Lounès Matoub est assassiné dans sa Kabylie natale par un groupe armé. Le journalist­e et écrivain Méziane Ourad rassemble ses souvenirs de l’icône: un

“sportifdec­omptoir” qui aimait le foot, la JSK, et Zizou bien sûr.

Vous souvenez-vous de la première fois que vous avez entendu parler de

Matoub? Je l’ai d’abord découvert avec son premier album studio, en 1977. Niveau musical, c’était du Chaâbi, de la musique populaire algérienne, dérivée de l’andalou. Mais comme tout le monde, j’ai été ébahi parce qu’il a commencé tout de suite très fort au niveau des textes, avec cette voix rugueuse. À cette époque-là, il était difficile d’être franc, direct, et pour autant la chanson a joué un rôle fondamenta­l dans la quête de la démocratie en Algérie. Donc il a eu tout de suite un public énorme, mais il était difficile à suivre parce que quasiment interdit de radio. C’est seulement quand j’ai été un leader étudiant de ce que l’on a appelé “le

Printemps berbère”, en avril 1980, que je l’ai rencontré. C’est la première fois que la population défilait, défiait la police, le pouvoir, dans la rue. Boumédiène était mort, Chadli venait d’être nommé, mais ce qui voulait être une démocratie populaire était en fait un système totalitair­e. Il y a eu des arrestatio­ns, la révolte s’est propagée, on a commencé à occuper les université­s, les usines, les hôpitaux. Des artistes solidaires venaient sur les campus à Tizi ou à Alger, parmi lesquels Matoub. Quand il y a eu le soulèvemen­t d’octobre 1988 et qu’il s’est retrouvé sur les chemins de Kabylie à distribuer des tracts pour appeler la région à être solidaire des émeutiers d’Alger sauvagemen­t réprimés

(on parle de 500 morts, ndlr), on lui a tiré dessus à un barrage de gendarmeri­e. Il a reçu trois balles, il a failli y passer. Je lui rendais régulièrem­ent visite à la clinique des Orangers à Alger. Nous sommes devenus des amis.

En 1998, après avoir échappé à la mort si souvent, Matoub se savait-il en sursis? Dans son dernier album, il y avait la chanson Détourneme­nt, où il reprend la mélodie de l’hymne national

algérien en parlant de l’attitude du pouvoir, des injustices… On ne fait pas ça impunément, il le savait. Il m’avait dit, “quand je vais descendre, il se peut que je meurs, ou au moins que j’aille en

prison”. Il croyait fermement à son rôle de guide, de prophète pratiqueme­nt, et était prêt à en assumer toutes les conséquenc­es. Il avait réglé son compte avec la mort depuis bien longtemps, il vivait avec. Pour lui, c’était le summum du sacrifice. À l’époque, on lui avait tous déconseill­é de retourner en Algérie. Il venait tout juste d’échapper à l’enlèvement du GIA. Ils pensaient après l’avoir libéré qu’il allait les dédouaner, mais Matoub s’est retourné contre eux d’une manière mille fois plus virulente qu’avant son enlèvement!

Grand fan de foot, pourquoi n’est-il pas resté en France pendant le mondial? Surtout qu’une coupe du monde en France pour un Algérien, c’est comme si elle se déroulait en Algérie. Il suivait le foot de près. Avant de venir en France, il était souvent dans les tribunes de la JSK, grimé aux couleurs du club, comme un vrai supporter. Il avait la réputation de s’énerver quand l’équipe prenait des buts et qu’il voyait une défaite se profiler… Il quittait la tribune et allait se prendre un verre pour se consoler. Il ne dormait pas tant qu’il n’avait pas tel ou tel résultat, il était toujours là à s’informer. Même quand il s’est retrouvé obligé de se balader pendant un moment avec une poche pour les selles, après s’être pris un coup de couteau par un voisin de son village pour une histoire de terre, il allait au stade. Un jour, cette poche a explosé en plein dans la tribune, c’était pas joli à voir… En 1998, Matoub était heureux, il y avait la coupe du monde autour de lui, et il y avait Zidane. C’était un admirateur mortel de Zidane. Contrairem­ent à ce que peuvent penser une bonne partie des Français, toute l’Algérie était derrière l’équipe de France en 98. Matoub est parti en Algérie en pensant être là le jour de la finale. Je trouve assez léger ce qui a motivé son retour en Algérie à ce moment-là. Il tombait amoureux chaque année, il venait de se marier pour la troisième fois, et il voulait ramener sa femme pour vivre avec elle. Il avait ramené sa mère, sa soeur, il ne restait plus que sa femme. Il voulait avoir le soutien de membres de l’opposition pour qu’elle obtienne son visa auprès du consulat… S’il avait été patient, sa femme l’aurait rejoint ici, sans problèmes.

Matoub était fan de Zidane, donc? Un inconditio­nnel. En 1994, Matoub a reçu à la Sorbonne le prix de la Mémoire par Danielle Mitterrand, et ce jour-là, il a rencontré le Dalaï Lama, mais jamais Zidane! Quand Matoub est mort, Zidane a présenté publiqueme­nt ses condoléanc­es. Ses deux buts contre le Brésil en finale, et son portrait sur l’Arc de Triomphe, n’est pas une revanche sur le sort de Matoub, mais ça a apporté du baume au coeur à ceux qui le pleuraient. Pour nous, c’est une immense fierté de se dire que ce sont les gènes d’un Kabyle qui ont permis aux Bleus d’être champions du monde. Dans le moindre petit village de Kabylie, il y a des fresques avec Matoub, Zidane, et tous les Kabyles qui ont réussi quelque chose dans le monde quoi.

Quels souvenirs avez-vous des jours qui ont suivi l’annonce de sa mort? Après sa mort, le café qu’il fréquentai­t à Ménilmonta­nt, le Petit Balcon, en face de l’Associatio­n pour la culture berbère (ACB), est devenu un lieu de rassemblem­ent, de manifestat­ion. Les RG, qu’on connaissai­t bien –parce que Matoub était toujours flanqué de deux officiers qui le protégeaie­nt–, sont venus un soir nous dire de fermer le café vers trois ou quatre heures du matin, mais ils ont vite compris qu’il était impossible d’empêcher ces veillées à la mémoire de Matoub. Ils nous ont laissé faire une chapelle ardente pendant trois jours et autant de nuit… Évidemment, quand il y avait un match on regardait quand même. Dans ce café, d’ailleurs, un jour, j’ai vu Thierry Roland et Platini. En 1995, il y a eu un gros incident lors d’un match entre le FCB, le club de l’ACB, et la JA Drancy. À la fin de la partie, un supporter de Drancy a tiré dans le tas avec un 22 long rifle. Douadi Atout, un supporter du FCB, est mort. Platini et Roland ont organisé un match de charité à SaintDenis avec le Variétés Club de France. C’est Matoub et Cantona, spécialeme­nt descendu de Manchester, qui avaient donné le coup d’envoi. vPAR VINCENT RIOU

 ??  ?? Adidas guidant le peuple.
Adidas guidant le peuple.

Newspapers in French

Newspapers from France