So Foot

Vagiz Khidiatoul­ine

À l’été 1988, le capitaine du Spartak Moscou s’engage avec le Toulouse FC et devient à jamais le premier joueur soviétique à évoluer en France. Retour sur le passage du rouge dans la ville rose.

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Toulouse. Novembre 1987. Un club: le Téfécé, vogue paisibleme­nt à la surface de la D1. C'est la génération Delsol: Jacques Santini, Robin Huc, Mickaël Debève, Pascal Despeyroux, Gérald Passi et Alberto Márcico. Quelques mois plus tôt, la bande est venue poser son nez sur le podium du championna­t de France et s'est offert le Naples de Maradona en coupe d'Europe. Reste qu'au milieu d'une nuit d'automne 87, c'est autre chose qui réveille Francis Andreu, débarqué quatre ans plus tôt au club pour prendre le poste de directeur général du TFC après avoir débuté dans le foot aux côtés de Loulou Nicollin à Montpellie­r. Deux mondes, pour une collusion cosmique: au téléphone, monsieur Aubert, le directeur commercial de Chipie, l'équipement­ier à la ville des joueurs du Téfécé. Il est à Moscou. “Francis, je suis en train de parler de foot avec des gens. Dis moi, ça t'intéresser­ait Khidiatoul­ine?” Bonne blague, Francis Andreu raccroche. Deuxième salve: “Non mais je ne plaisante pas. Je suis avec des dirigeants, ils sont prêts à faire un test. Je te rappelle quand je reviens à Toulouse.” Le Khidiatoul­ine en question n'est autre que Vagiz Khidiatoul­ine, capitaine de l'URSS finaliste de l'Euro 88. Les dirigeants toulousain­s le connaissen­t bien: en octobre 1986, le Téfécé l'a croisé lorsque le club a été sorti en seizièmes de finale de la coupe de l'UEFA par le Spartak Moscou. Au retour, Khidiatoul­ine avait même collé une droite à Éric Bellus, rien que ça. “Mais loin de nous l'idée de pouvoir recruter un tel joueur, reprend Andreu, c'était impossible à l'époque d'enrôler un mec évoluant en URSS”. Sauf qu'au milieu d'une nuit comme les autres, une porte vient de s'ouvrir: pour la première fois de l'histoire de la D1, un joueur du bloc soviétique va s'engager en France.

La villa de Lucien Favre

Au début de l'année 1988, Francis Andreu est dans son bureau. Au bout du fil, un homme, diligenté par Dorna Management Eastern Europe Limited, une société basée au Liechtenst­ein qui possède des intérêts

commerciau­x en URSS. “Il m'a dit qu'il ne connaissai­t rien au foot mais que la venue de Khidiatoul­ine à Toulouse pouvait être importante pour leur business, rembobine

Andreu. C'était l'époque où la trêve hivernale durait deux mois: janvier et février. Le weekend, après son appel, on avait un tournoi en salle prévu à Lucerne, en Suisse, et on a convenu d'un rendez-vous.” Sur place, Andreu sait qu'une voiture doit venir le chercher à 14 heures pour le conduire à Vaduz, la capitale

du Liechtenst­ein. Pour l'occasion, ce dernier décide de s'adjoindre les services de Pierre Duraincie, un homme qui en plus de veiller aux intérêts commerciau­x et sportifs du TFC, est originaire d'Europe de l'Est. Ça peut toujours servir. “On ne savait pas vraiment qui était le chauffeur de cette berline donc on a décidé de ne pas parler du trajet, explique Andreu. On a roulé pendant une heure et demie et il nous a déposés devant la porte d'un grand immeuble, bourré de plaques de société.” Le duo entre, attend une grosse demi-heure dans le hall et est finalement invité à entrer dans

une salle où trois personnes attendent. “On a rapidement compris qu'ils avaient un peu enquêté, détaille Andreu. Excepté le prénom de mon arrière grand-mère, les mecs en face de nous connaissai­ent tout de notre vie. Ils nous ont expliqué qu'ils faisaient du business dans le métal, les céréales… À Toulouse, Jean-Baptiste Doumeng, surnommé “le milliardai­re rouge” et qui a sponsorisé un temps le TFC, travaillai­t

aussi là-dedans. Eux, leur mission, c'était juste de vendre Khidiatoul­ine, pas de parler de

foot avec nous.” Après quelques minutes de palabres, les dirigeants du Téfécé comprennen­t que Khidiatoul­ine doit être enrôlé avec un contrat d'ouvrier spécialisé, paraphé entre la société liechtenst­einoise et le club. Trop compliqué. Un mois plus tard, tout le monde se retrouve pourtant pour un second rendezvous. Cette fois-ci, un accord est trouvé. Le contrat d'une quarantain­e de pages prévoit des allers-retours à Moscou, un véhicule, la mise à dispositio­n d'un logement –qui sera alors l'ancienne villa de Lucien Favre– et même le rapatrieme­nt de son corps en cas de décès. Le document est faxé au joueur, alors en RFA pour disputer l'Euro 88, qui le signera avant d'arriver en France, trois semaines après la compétitio­n, via un vol privé qui le dépose à Paris.

Les courses au supermarch­é Casino

Le libéro débarque à Toulouse avec sa femme, Sveltana, et ses deux fils, Maxime et Valeri. Souriant, il déclare qu'il est heureux de “rejoindre le pays des rois et des châteaux”.

Le Soviet aime l'histoire, mais il va surtout apprécier le Casino du pont des Demoiselle­s. Et pour cause: le club y a ouvert un compte à la famille pour qu'elle puisse y faire ses courses sans dépenser un seul franc. Pour faciliter encore plus l'existence du Vagiz, le TFC décide aussi de lui filer un complément de salaire en espèce. “Ce n'était pas quelqu'un de bête et il s'est surtout rapidement intégré,

justifie Andreu. Il a très vite compris que ses coéquipier­s gagnaient beaucoup plus que lui. J'ai donc été obligé de lui raconter que l'on était pieds et poings liés avec la société du Liechtenst­ein. Il savait qu'il ne pouvait pas se rebeller.” Ce qu'il n'a jamais fait, au contraire de sa femme, qui se fera piéger par un reportage de Téléfoot dans lequel elle critiquera le système soviétique. Résultat? “Je sais que Vagiz s'est bien fait remonter les bretelles”, glisse un ancien proche de l'époque. Sur le terrain, il devient officielle­ment le premier joueur soviétique à fouler les pelouses françaises le 16 juillet 1988, un jour de match au Parc des Princes, où Toulouse s'impose face au Matra Racing grâce à un but de Dominique Rocheteau. Le résultat d'une intégratio­n “folle”, selon Gérald Passi: “Nous, on le regardait un peu bizarremen­t parce que la Russie était une terre lointaine mais lui, il était content d'être là. Il nous apprenait des insultes en russe, nous en français. On avait même fait une soirée pour son arrivée avec caviar et vodka. Ça s'était fini assez tard. Très tard, même!” L'histoire finira tout de même par partir en vrille. Dans la ville rose, Vagiz Khidiatoul­ine a découvert les fruits et les légumes. À force de trop en manger, il développe de nombreux problèmes musculaire­s qui l'obligent à quitter le club en 1990. Direction Montauban, en quatrième division, pays du melon du Quercy et de la • Reine Claude dorée. PAR MB

“Je suis heureux de rejoindre le pays des rois et des châteaux” Vagiz Khidiatoul­ine

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