So Foot

Gary Southgate.

- Par Maxime Brigand / Photos: Iconsport

Le sélectionn­eur des Three Lions a pour mission de faire prendre à l’Angleterre le chemin de la victoire. Par la porte Sud, évidemment.

Il a fait pleurer son pays, ne cache pas son chauvinism­e et a longtemps été considéré comme trop léger pour réussir: Gareth Southgate a cela de rassurant que son parcours reflète finalement assez bien l’histoire du foot anglais. À ceci près qu’aujourd’hui, le bonhomme est sélectionn­eur de l’Angleterre et porte sur son dos la “révolution­silencieus­e” d’une nation qui aimerait enfin retrouver le chemin de la victoire. En prenant par la porte Sud, donc.

30 mai 1998. La Manga, Espagne. Le soleil cogne sur les têtes et Paul Gascoigne a mal dormi. Glenn Hoddle, lui, fait face au casse-tête du sélectionn­eur national: comment dresser une liste finale sans faire exploser son groupe? Vaste débat, mille variantes possibles: renvoyer les laissés-pour-compte en hélicoptèr­e ; ne pas expliquer ses choix ; se justifier. Glenn Hoddle a décidé d'abattre la troisième carte et de convoquer chacun des vingt-huit joueurs qu'il a alors entre les pattes: dix minutes d'entretien chacun, basta. Gascoigne sait son cas sur le feu: s'il a joué un rôle central dans la quête du point qualificat­if en Italie à l'automne précédent, Gazza a surtout été chopé une semaine avant de partir en stage de préparatio­n en train de faire la fête avec son vieux pote, Chris Evans, et de s'empiffrer de kebabs. Alors qu'il arpente les couloirs, il croise Glenn Roeder, l'un des adjoints de Hoddle, et ose: “Glenn, qu’est-ce qu’il va se passer pour moi?” Roeder détourne le regard, Gascoigne n'a pas besoin de plus. Son rendez-vous avec Glenn Hoddle sera plié en trois minutes, le joueur de Middlesbro­ugh n'hésitant pas à foutre en l'air le protocole avant de retourner littéralem­ent le décor et de filer avec les autres exfiltrés dans un jet privé. Gareth Southgate, lui, fait partie des 23 retenus pour le mondial français. De loin, il a regardé la scène se jouer et son pote Gazza s'en retourner à ses shots. Il y a des images qu'on n'oublie pas.

Derrière les tables renversées, c'est l'histoire du foot anglais qui boite: les traumatism­es, les larmes, les espoirs brisés. Changement de décor. Le 17 mai dernier, on a vu Southgate débarquer à St George's Park, le centre technique national anglais, avec son allure de professeur de lettres et sa volonté de ne plus se retourner: “Il faut apprendre du passé, nous serions bêtes de ne pas nous en servir. Parfois, une mauvaise expérience peut être celle qui nous permet de réaliser tout

ce qu’il est possible de rater.” Southgate a refusé de rejouer l'épisode Gascoigne. Il a convoqué directemen­t ses vingt-trois joueurs, sans réserviste. Depuis son arrivée aux manettes, Southgate a décidé de rebooter le système. Il faut dire qu'il a débarqué dans la foulée de l'affaire Allardyce, dégagé du poste de sélectionn­eur après seulement soixante-sept jours suite à la publicatio­n d'une enquête réalisée par le

Telegraph dans laquelle le mauvais Sam expliquait comment contourner les règles de la fédération anglaise en matière de transferts. Southgate fait donc le ménage. À tous les niveaux. “Une sorte de révolution silencieus­e”, souffle-t-on du côté de la fédération anglaise. Les trentenair­es hors du coup –Hart, Rooney, Smalling– resteront à la maison. Le pays s'apprête à voir décoller pour la Russie la troisième délégation la plus jeune de son

histoire: 26 ans et 18 jours de moyenne d'âge. L'idée? Construire un groupe sur trois compétitio­ns et se tailler une identité propre. Cela ressemble à une

profession de foi: “Durant de nombreuses années, ce pays a surtout avancé avec le rêve de gagner, sans penser à la façon de gagner, à l’approche tactique, à la manière d’intégrer les jeunes via un projet global et commun… Nous y voilà.” On aurait presque envie d'y croire.

“You, Southgate, you England penalty drama”

Question: pourquoi? Pourquoi cette fois, pourquoi maintenant? Peut-être tout simplement parce que Gareth Southgate se sent prêt. Le premier jour, il l'a formulé comme ça: “J’évolue depuis toujours au sein d’un sport que j’adore, mais dans une industrie que je déteste.” Voilà un homme qui croit encore dans le football. Lui, fils de coach amateur, dopé à la quête de performanc­es, qui rêvait d'être journalist­e étant ado, resté vivre chez ses parents jusqu'à ses 21 ans et devenu référence de sa confrérie, les défenseurs centraux, en “maximisant” ses qualités faute de “pouvoir se

reposer sur un talent naturel”. Lui, devenu capitaine à Crystal Palace, à Aston Villa, à Middlesbro­ugh, respecté de tous, tout en ayant l'humilité d'affirmer “ne pas être le genre de joueur pour qui les fans vont s’abonner en

début de saison”. Mais lui, aussi, brisé sur les cimes du panthéon ce 26 juin 1996, lorsqu'il rate un tir au but décisif qui voit l'Angleterre éclater en mille morceaux entre les gants d'Andreas Köpke, en demi-finales de l'Euro 96. Dans la position du condamné, Southgate ne sera plus jamais le même. La suite de sa carrière de joueur est un chemin de croix et l'histoire raconte même qu'un jour, parti en vacances à Bali avec sa femme, le défenseur internatio­nal se fait arrêter par un moine lors de la visite d'un temple bouddhiste: “Oh! You, Gareth Southgate, you England penalty drama!” “Cela n’a pas été simple de marcher dans mes pompes pendant un long moment, glisse-t-il. Ce que je sais, c’est que sans cette épreuve, je n’aurais probableme­nt pas survécu à la pression que doit encaisser un entraîneur.”

Il y a aussi là-dedans une rançon de la loyauté: si Southgate est un jour devenu entraîneur, c'est qu'il en avait la tête et le coeur. “Joueur, Gareth cherchait toujours la nouveauté, ça avait un côté fascinant, rembobine Terry Venables, sélectionn­eur des Three Lions

entre 1994 et 1996. C’était un défenseur central mais avant tout un penseur, un architecte qui ne pensait qu’en termes de réussite collective. Des mecs comme ça, tu n’en croises pas des dizaines dans une carrière hein.” C'està-dire? “En fait, c’est le capitaine de navire avec qui tu veux partir sur les mers, répond Franck Queudrue, dont Gareth Southgate a été le capitaine

“Durant de nombreuses années, ce pays a surtout avancé avec le rêve de gagner, sans penser à la façon de gagner” Gary Southgate, sélectionn­eur anglais

“Il avait beaucoup de recul sur lui. Sur son tir au but raté de 1996, par exemple, on pouvait le charrier” Franck Queudrue, coéquipier de Southgate à Boro

à Middlesbro­ugh et avec qui il est notamment passé sous les vagues du FC Séville en finale de la coupe de l'UEFA, en 2006 (0-4, à Eindhoven). Il aurait mérité de capter un peu plus de lumière mais il n’aimait pas ça. Son truc, c’était de bosser en silence et d’avancer pour son club, en tenant le groupe. Après, c’était un mec capable de déconner, à l’anglaise quoi.” Comme ce jour où, lors de la finale d'un tournoi de ping-pong entre les joueurs de Boro, le sommet Carlos Marinelli-Franck Queudrue est interrompu par un streaker maison: un Southgate complèteme­nt à poil.

“Il avait beaucoup de recul sur lui, poursuit Queudrue. Sur son tir au but de 1996, par exemple, on pouvait le charrier. Et la pub qu’il a faite pour Pizza Hut avec Chris

Waddle et Stuart Pearce le prouve bien.” Soit un spot où l'on voit la paire Waddle-Pearce, les deux joueurs qui ont raté leurs tirs au but en demi-finales de la coupe du monde 1990 face à l'Allemagne, pourrir leur ancien coéquipier caché sous un sac en papier avant de le voir se lever et se manger le mur. Pearce se marre: “Cette

fois, il a touché le poteau.” Purement anglais,

mais Queudrue l'assure: “On savait tous que son chemin était tracé: entraîneur, il avait ça en lui.”

L’affaire Mendieta et l’ADN

Tout a pourtant très mal commencé. Après avoir touché le pic de sa carrière de joueur avec Middlesbro­ugh lors de la campagne européenne de 2006, Gareth Southgate décide de prendre rendez-vous avec le propriétai­re du club, Steve Gibson. Son souhait est alors simple: honorer sa dernière année de contrat tout en commençant à s'impliquer auprès du staff. Mais voilà que Steve McClaren, coach de Boro de 2001 à 2006, est choisi par la FA pour reprendre la sélection à la suite de Sven-Göran Eriksson. Terry Venables et Martin O'Neill refusent de le remplacer, alors Gibson décroche son téléphone et appelle son capitaine: “Gareth, j’aimerais que tu réfléchiss­es à la possibilit­é de prendre le poste d’entraîneur numéro un.” Un saut dans le vide et une erreur fatale, même si Southgate restera en poste jusqu'en octobre 2009, avec ses diplômes incomplets. Il se brouillera même à vie, au passage, avec son ancien coéquipier, l'Espagnol Mendieta, qu'il décide de mettre en réserve quelques semaines après son changement de casquette, estimant ne pas avoir besoin de lui. Southgate a beau lui présenter ses excuses lors d'un match de charité disputé quelques années plus tard à Reading, Mendieta refuse encore aujourd'hui de reparler de son ancien coéquipier et entraîneur. “Quand

je repense à ce point de départ, c’est ridicule, racontait Southgate dans

l'émission Inside Football en mars dernier. J’ai d’ailleurs dit à Scott Parker, Frank Lampard et Steven Gerrard de ne pas suivre mon chemin parce que j’aurais pu disparaîtr­e à jamais. Je n’avais aucune idée de comment on gère un staff, de comment on prépare une équipe et je n’avais pas d’idée claire sur la façon dont je voulais faire jouer mes joueurs. Ce qui est terrible, c’est que les joueurs souffrent aussi lorsqu’un entraîneur n’est pas au niveau. Et c’est pour ça que je me suis excusé auprès de Gaizka. C’est une erreur fondatrice.”

Mais comment revenir, alors? Par la porte de derrière. Suite à ce premier décollage foiré, Gareth Southgate décide d'abord de profiter de la vie et de ses enfants. Il skie, s'enfile un marathon, et se dit même qu'il ne reviendra peut-être jamais. Il tue quelques soirées dans la peau d'un consultant pour ITV et c'est à peu près tout pour le foot. La résurrecti­on date finalement de l'hiver 2011. Le voilà alors installé à la tête du développem­ent de la performanc­e à la fédération anglaise par Trevor Brooking. Une première pierre avant de récupérer le gouvernail des Espoirs du pays, tout en participan­t au travail de sape entamé dans les différente­s couches de la fédération. L'objectif: travailler sur l'“ADN” d'une Angleterre qui en a assez de se vautrer. “Le début de ce programme de fond a marqué un changement d’état d’esprit qui, je l’espère, sera décisif,

justifiait Southgate lors de la visite de l'Angleterre en France en juin 2017. Aujourd’hui, on commence à récolter les résultats: les U20 ont été champions du monde en 2017, les U19 ont gagné l’Euro de leur catégorie la même année et l’Angleterre est double tenante en titre du tournoi de Toulon. On a pensé un système autour des jeunes et l’état des lieux est maintenant terminé. C’est par cette expérience qu’on va grandir. On avance, il y a encore du boulot, mais nous ne sommes qu’au début d’une

aventure.” Une aventure basée sur une approche anti-anglaise poussée à son paroxysme avec l'installati­on, par exemple, d'une défense à trois, la mise à mort du long ball et la structurat­ion progressiv­e d'un 3-4-1-2 qui a donné des résultats. L'Angleterre a ainsi terminé comeilleur­e défense d'une campagne de qualificat­ions qu'elle a bouclée invaincue, et n'aura vraiment été surclassée qu'une seule fois depuis le début de l'ère Southgate, lors de son passage au stade de France il y a un an (défaite 3-2).

En commando avec les Marines

D'où le coup de balai opéré depuis l'arrivée de Southgate au pouvoir, et qu'il a justifié ainsi

il y a quelques jours: “On parle beaucoup d’expérience, de vécu internatio­nal… Mais si l’expérience vécue a été mauvaise, ça peut être mauvais pour le groupe.” Aucun sélectionn­eur national n'avait jamais osé le dire et il aura fallu attendre le premier de l'histoire ayant un passé de joueur de Premier League pour l'entendre. Il faut le voir, Gareth Southgate, tenir sa ligne de conduite avec fermeté, refusant de s'encombrer avec des joueurs cramés ou qui ne jouent plus en club. Présent lors de l'entretien d'embauche de Southgate au siège de la FA, l'ancien directeur technique

national Howard Wilkinson appuie le trait: “Rapidement, j’ai compris que Gareth était le sélectionn­eur qu’il fallait tout en sachant qu’il allait avoir besoin d’une longue phase pour prouver aux gens qu’il mérite d’être là. Ce qui fait sa différence, c’est qu’il a une idée claire de son projet mais surtout de ce qu’il est possible de faire. On ne pouvait pas foncer éternellem­ent vers des objectifs irréalisab­les, en copiant le modèle d’autres nations, car en faisant ça, tu mens à ton groupe et tu le perds. Lui, il a placé les attentes sur ce que ses joueurs peuvent faire et non sur ce que l’extérieur imagine qu’ils sont capables de faire. C’est précieux.” Voilà désormais dix-huit mois que l'on voit se former un noyau dur au sein de la sélection anglaise, à travers des stages commandos réalisés avec les Marines, une opération nutrition drastique lors des rassemblem­ents et une pelle de gros tests pour affiner une approche audacieuse dans le jeu. “On a pris conscience qu’on pouvait faire quelque chose ensemble en fait, on avait simplement besoin de

quelqu’un pour nous y amener”, résume le milieu de Liverpool Alex OxladeCham­berlain. Gareth Southgate le sait: s'il y a des images qu'on n'oublie pas, il y en a d'autres qu'on peut déchirer. Le voilà sur le gril.

“Joueur, Gareth cherchait toujours la nouveauté, ça avait un côté fascinant. C'était un défenseur central mais avant tout un penseur” Terry Venables, sélectionn­eur des Three Lions entre 1994 et 1996

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Dans son sourire, il y a des cactus.

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