So Foot

Marc-André ter Stegen.

- Propos recueillis par Roger Xuriach/Panenka / Photos: Iconsport

Interview conceptuel­le avec un gardien qui joue sans les mains.

C’est tout le paradoxe des gardiens de but du FC Barcelone: avant d’être bons avec leurs mains, ils doivent surtout l’être avec leurs pieds. Justement ce qui caractéris­e Marc-André ter Stegen. Capable de réaliser des transversa­les de 50 mètres dans les pieds comme de faire des une-deux avec ses défenseurs, le gardien allemand s’est imposé cette saison comme l’un des rouages essentiels du collectif blaugrana. Interview avec celui qui pourrait bien être, en l’absence de Manuel Neuer, le libero titulaire de la Mannschaft cet été.

À ton avis, que veulent dire les gens qui disent de toi que tu es le paradigme

du gardien moderne? Ce qui fait, je crois, qu'un gardien paraît moderne, c'est le fait d'avoir un bon jeu au pied, qu'il soit attentif et disponible derrière la ligne défensive, afin d'anticiper les ballons dans le dos. Mais le Barça fonctionne avec un portier à l'aise avec ses pieds depuis de nombreuses années, depuis l'époque Victor Valdés. Je ne suis pas comme lui, je ne souhaitais pas le devenir et je ne le souhaite toujours pas aujourd'hui. J'ai signé ici pour aider le Barça à ma manière. Casillas ou Buffon sont des exemples, mais pas des idoles. Si je dois en citer une, je dirais Oliver Kahn. Je l'ai aimé de mes 10 à mes 15-16 ans. J'aimais beaucoup sa mentalité, sa manière d'affronter l'adversité. Voilà mon objectif: transmettr­e à l'équipe l'idée que nous pouvons toujours gagner, même si parfois c'est mal engagé.

Vu du stade, à la manière dont tu joues avec tes défenseurs, on a l'impression que tu ne doutes pas et

que tu es assez à l'aise. C'est vrai. Parce que je sais exactement qui j'ai devant moi. J'ai confiance en eux à 100 %, et réciproque­ment. Et ça nous donne de la sérénité pour repartir de derrière. L'autre facteur important, c'est le coach. Quand il entraînait Bilbao, Valverde nous pressait toujours d'une manière ou d'une autre, il nous faisait beaucoup souffrir, surtout à l'extérieur. Du coup, comme il a analysé notre manière de jouer en tant qu'adversaire, il connaissai­t les aspects que nous devions travailler. Cette saison, nous avons essayé de nous perfection­ner défensivem­ent, et il était évident que nous devions davantage jouer ensemble.

C'était quand la dernière fois que tu as eu la sensation qu'il y aurait eu mieux à faire après avoir encaissé un but? Durant un match, il ne faut que penser à l'action suivante. Si tu restes focalisé sur le but que tu viens de prendre, tu peux en encaisser un deuxième. C'est la réaction après l'échec qui compte. Celui qui a le plus de succès, c'est celui qui échoue le moins. Après un match, en revanche, je débriefe avec José Ramon de la Fuente, l'entraîneur des gardiens du Barça, sur ce que j'aurais pu faire pour empêcher le ballon de rentrer dans le but. Mais il y a des buts que tu ne peux pas éviter, ni comme gardien, ni comme défenseur. Si tu joues contre Messi, par exemple… Tu fais un pas de ce côté, il te la met à l'opposé. Et inversemen­t. Mais l'objectif, ça doit justement être ça. Que chaque but encaissé soit un

golazo. Même si, parfois, ces exploits aussi partent d'une erreur évitable au début de l'action.

Tu aimes les statistiqu­es? Savoir, par exemple, ton

pourcentag­e de passes réussies? Oui. Mais dans un match, je sais très bien si j'en ai foiré quelques-unes, je peux te les citer directemen­t. Par exemple, je sais que contre l'Athletic, 29e journée, j'ai fait un mauvais contrôle. J'essaye de voir toutes les erreurs, et d'en tirer quelque chose à apprendre. Y compris quand, à première vue, j'ai fait un excellent match. Parce que bien souvent, ce sont les microdétai­ls qui font la différence. J'ai fait des erreurs par le passé, comme contre le Celta

(défaite 4-3, en octobre 2016, ndlr). J'en ai parlé avec Luis Enrique le lendemain et il m'a dit que c'était une erreur individuel­le isolée. Ce qui est bien différent du fait d'être dans le faux. Une erreur d'éxécution dans une philosophi­e de jeu qui, au Barça, passe par la prise de risque permanente… Exactement. Et clairement, c'est important de différenci­er les deux. Parce que, au final, ce dont il s'agit, c'est de savoir quand assumer les risques. Si on me fait une passe et que je suis pressé par un attaquant adverse, est-ce que j'essaye de jouer court avec un de

“C’est la réaction après l’échec qui compte. Celui qui a le plus de succès, c’est celui qui échoue le moins”

mes centraux ou de dégager au-dessus des tribunes? Tout cela doit être analysé en une poignée de secondes. Tu dois toujours être concentré sur toi-même, être bien placé et avoir une vision globale du terrain. Je ne me focalise pas sur les attaquants adverses, je regarde l'équipe dans son ensemble, par exemple la manière dont elle a fait le pressing jusque-là, ou comment elle s'organise lorsqu'elle joue contre nous. Il y a des équipes qui pressent d'une certaine manière spécifique seulement contre le Barça.

Sur les équipes en huitièmes de ligue des champions, Ederson et toi étiez les deux gardiens avec le plus gros pourcentag­e de passes réussies, plus de 90 %. C'était

“Je ne serais pas au Barça si je ne savais pas me servir de mes pieds”

“Nous voulons donner le sentiment que nous entrons sur le terrain pour avoir un contrôle total sur le jeu. Un peu comme le sont les Allemands: toujours en contrôle, comme si tout était toujours planifié à l’avance”

impensable il y a quelques années, mais de plus en plus d'équipes se définissen­t en fonction de leur gardien et de ce genre de stats. Le gardien est devenu la clef quand on

veut inculquer une philosophi­e de jeu? Oui, bien sûr. Si tu me mets moi à la Juve et que tu mets Buffon chez nous, peut-être que je ne serais pas le gardien que je suis aujourd'hui. On pourrait apporter à l'équipe différemme­nt, mais on ne serait pas les gardiens idoines pour nos équipes. J'ai joué dans le champ jusqu'à mes 10-11 ans. À cet âge-là, vous ne pensez pas au concept de gardien moderne, mais ça m'a aidé. Je ne serais pas à Barcelone si je ne savais pas me servir de mes pieds.

Comment s'est passé ce changement de poste que ton entraîneur t'a imposé parce que, selon lui, tu courais “de

manière bizarre”? Clairement, je ne m'y attendais pas. J'ai commencé à jouer gamin, à faire des frappes contre une porte de garage, gardée par mon frère. Et chaque fois que je lui mettais un but, je célébrais. Je ne sais pas ce qu'il a décelé dans ma manière de courir, je ne sais pas bien ce qu'il a voulu dire. À 10 ans, de toute façon, tu es encore en pleine croissance. Mais bon, peu importe, je me suis mis aux buts et ça m'a plu. Pas autant que de marquer des buts. Celui qui marque, c'est celui qui célèbre avec les gens.

Hormis le foot, il y a quoi à faire à Mönchengla­dbach?

Toute ma famille y vit, je suis de là-bas. Chaque fois que j'y retourne, je me sens chez moi. Clairement, quand j'ai débuté avec le Borussia, j'ai réalisé un rêve de gosse. Mais avec ma femme, nous sommes ici depuis trois ans et demi, et on adore Barcelone. J'aime bien les stades en Espagne, ils ont quelque chose de spécial. En Allemagne, à cause du mondial 2006, il y a plein de stades neufs et modernes. Ici, ils sont remplis d'histoire. Je me souviens de mon premier déplacemen­t à Vallecas ( le stade du Rayo Vallecano, ndlr). C'est un stade à part, avec un vrai style. C'est dur d'y jouer. J'aime l'idée de conserver un stade historique. C'est pourquoi j'aime que le Barça reste au Camp Nou. Évidemment, il a été rénové et continuera à l'être, mais le lieu ne changera pas. On n'aura pas à aller en banlieue.

Pas mal de joueurs du Barça, dont toi, sont revenus habiter en ville après plusieurs années passées dans

des zones recluses pour footballeu­rs. Comment tu vis

le fait de sortir dans la rue? En vérité, c'est un peu difficile. J'aime les gens, c'est agréable, mais la vie est différente. Auparavant, nous vivions à Castelldef­els, et la tranquilli­té me plaisait. Je comprends que beaucoup de gens pensent que, parce que je suis jeune, je devrais aimer vivre en ville car il y a plus de vie, que je peux sortir dans n'importe quel restaurant à deux pas de chez moi, mais je préfère rester tranquille à la maison.

C'est justement à la maison que tu as dû regarder la victoire de l'Allemagne en 2014. Mais cette année, on a l'impression que votre équipe est encore plus forte. Vous

êtes mieux préparés qu'il y a quatre ans? Je ne sais pas, parce qu'au final, c'est un peu comme la ligue des champions: tout dépend de la forme le jour J. Tu peux connaître un jour sans, et ceux qui sont moins bons que toi normalemen­t, non. Et puis ils peuvent avoir un jour exceptionn­el, réussir tout ce qu'ils tentent, et à la fin, t'es là à te dire: “Madre mia, on a perdu contre eux.” Avant d'être des talents individuel­s, nous sommes une équipe. On n'a peut-être pas de Messi, mais on connaît nos qualités. C'est la clé pour connaître le succès pendant de longues années. Depuis la prise en charge de Löw, nous avons toujours atteint les demies. C'est une grosse performanc­e.

Récemment, Joachim Löw a dit être inquiet de voir les longs ballons aériens se développer en Bundesliga. Cette

idée te met en position de force pour le mondial, non? En 2014, il y avait beaucoup de joueurs du Bayern. Et ça aide d'avoir dans une même sélection des joueurs qui se connaissen­t. La Mannschaft a profité du travail de Guardiola à Munich. Pas seulement ceux qui jouaient là-bas, mais aussi ceux qui ont rejoint la sélection après coup. Nous voulons donner le sentiment que nous entrons sur le terrain pour avoir un contrôle total sur le jeu. Un peu comme le sont les Allemands: toujours en contrôle, comme si tout était toujours planifié à l'avance.

Ça t'inquiète pour la compétitiv­ité de voir le Bayern

champion pour la sixième année consécutiv­e? Nous en avons parlé en interne au sein de la sélection. Au Barça, nous n'avons pas perdu un match, mais malgré tout, l'Atlético n'était jamais très loin. On ne pouvait pas dire que c'était déjà gagné. En Espagne, ce sont les mêmes qui jouent la coupe d'Europe. Le Real, l'Atlético, Séville, comme nous, jouent tous les quatre jours depuis plusieurs années. En Allemagne, la différence est très grande. Il y a un champion désigné pratiqueme­nt dès le début de la saison, et les autres qui luttent derrière ne sont jamais les mêmes. Il y a Dortmund, OK, mais un coup c'est Schalke, un coup c'est Leverkusen. Ils perdent des joueurs importants d'une année sur l'autre après une bonne saison. Donc c'est dur pour eux d'être réguliers. Et chaque fois qu'une équipe a grandi, que ce soit Mönchengla­bach ou Dortmund, le Bayern a signé un joueur de chez eux, généraleme­nt le meilleur, ce qui les a renforcés pour continuer à gagner le titre. Le stade est payé, ils peuvent signer des joueurs. Économique­ment, ils sont au-dessus.

Finale du mondial, 0-0. Tu as un face-à-face contre Messi, Suarez ou Neymar. Sur lequel de ces trois joueurs tu sauras le mieux anticiper? Aucune idée. Je ne joue plus avec Ney…

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German Wings.
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Le fameux “j'ai” en vert.

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